Primaire : M. Fayol : " L'urgence c'est de réunir des conférences de consensus" 

"On a clairement perdu du temps aussi bien pour l'apprentissage des maths que de la lecture". Dénonçant le retour aux "vieux démons" dans la première décennie de ce siècle, Michel Fayol, membre du Laboratoire de Psychologie Sociale et Cognitive (LAPSCO) de l'Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, invite à relancer les démarches associant enseignants et recherche. Face au piétinement des résultats à l'école élémentaire, il estime urgent de travailler le consensus entre chercheurs pour doter les enseignants d'outils qui puissent les aider pour les progrès de tous les élèves. Il interroge aussi la dernière étude de la Depp : la stagnation du niveau en calcul est-elle réellement liée aux difficultés en maths ?

 

Comment expliquer la stabilité des résultats en Ce2 après des progrès constatés en CP?

 

Dans les années précédent cette évolution en CP on a eu un fort mouvement en faveur du travail sur la phonologie et l'apprentissage de la lecture. Des travaux ont été publiés. Il y a eu un rapport de l'Observatoire national de la lecture . Tous ont montré que la phonologie détermine la réussite dans l'apprentissage de la lecture. On a donc mis au point des outils, des activités pou prévenir les difficultés d'apprentissage.  Certains ont été diffusés par le ministère, d'autres par des éditeurs. Cela a porté ses fruits. Dans notre pays, les enseignants s'en sont emparés et ont amélioré l'apprentissage phonographique, celui qui associe un son à des lettres. On ne peut que se féliciter de ce pas en avant. Et souligner qu'il s'est fait pacifiquement avec une conférence de consensus en 2003 qui a sonné le glas des affrontements stériles.

 

Mais pourquoi ces progrès en CP ne se retrouvent pas dans les résultats de Ce2 ?

 

Le progrès constaté est lié au tout début des apprentissages. Dès qu'on sait lire, deux dimensions importantes entrent en jeu : la fluence, c'est à dire la vitesse d'identification des mots et surtout la compréhension. Or on a moins mis l'accent sur celle-ci et on a moins d'outils. En 2003 on avait signalé cela. Mais après est arrivée la querelle syllabique / globale qui a recouvert le débat scientifique. Quand les enfants découvrent le code , en grande section, ils ont des niveaux différents en langage. Mais cette découverte les remet tous à égalité. Par la suite les différences réapparaissent pleinement. Si on veut améliorer la compréhension en CE2 il faut la travailler. Sur ce sujet on a une bonne équipe, celle de Maryse Bianco. Il faut mettre ses outils à la disposition des enseignants et les adapter.

 

Il faudrait donc que les enseignants se rapprochent de ses travaux ?

 

Il faut que l'école forme les maitres ainsi que les cadres et qu'elle s'empare de ces outils. Il faut donc une volonté politique et ne pas méconnaitre la situation. La formation a été négligée. Il faut la rétablir.

 

L'école peut effacer le poids des inégalités sociales ?

 

L'école française, on le sait, est particulièrement mal placée actuellement sur ce terrain. Mais elle a une marge de manoeuvre. Elle peut doter tous les enfants des capacités de lecture et de compréhension. Elle peut inciter les enfants à lire car la lecture peut contribuer à réduire les inégalités. En 2000 à l'ONL on avait découvert que la compréhension n'est pas enseignée. On l'utilise pleinement pour évaluer les élèves mais on ne l'enseigne pas ! On s'appuie donc sur les inégalités existantes. Il va bien falloir que l'école change cela. Certains pays l'ont fait comme la Finlande.

 

L'étude de la Depp associe la faiblesse en vocabulaire avec le faible niveau en compréhension. Comment enseigner le vocabulaire

 

C'est une grande difficulté. On ne peut pas travailler le vocabulaire par l'écrit en CP ou CE1 car les élèves ne lisent pas assez bien. Il faut donc veiller que dans ces classes l'apprentissage se fasse par l'oral. En CE2 on pourra associer le travail sur le vocabulaire avec celui sur le code. Là aussi on a besoin de développer des outils, des protocoles de lecture pour les enseignants.

 

L'étude de la Depp montre que si des progrès ont été faits pour l'apprentissage du  dénombrement en CP , la maitrise du nombre n'a pas progressé en CE2. Comment l'expliquez vous ?

 

L'amélioration observée en CP ne porte que sur certaines habiletés. Ce qui est évalué en CE2 est éloigné de ces habiletés. Certaines méthodes de CP sont à risque. Elles ne mettent pas assez l'accent sur la quantité. Mais on observe dans l'étude de la Depp des choses étonnantes. Par exemple de gros progrès pour la soustraction. On ne sait pas pourquoi. On voit de scores de résolution de problèmes faibles. On ne sait pas non plus pourquoi. Personnellement j'a une hypothèse et j'ai demandé à la Depp de le vérifier. Je me demande si les mauvais résultats en résolution de problème ne sont pas liés aux mauvais résultats en lecture. Autrement dit n'y aurait-il pas un problème de compréhension de l'énoncé plus qu'in problème de mathématiques ? Dans tous les cas, la résolution de problème est une activité qui doit devenir quotidienne. Pour cela il faut qu'on ait un éventail de problèmes, répertoriés en catégories, diffusé auprès des enseignants.

 

Sur l'apprentissage du nombre, on a le même consensus qu'en lecture ?

 

Ce n'est pas aussi clair car on n'a pas eu de conférence de consensus sur ce sujet. Il en faudrait une qui réunirait les spécialistes et tiendrait compte aussi de la littérature internationale sur ce sujet. Ca nous sommes tous concernés par ce problème. La conférence permettrait d'avoir un accord sur la façon de s'y prendre, un programme de l'école élémentaire en fait. C'est d'autant plus nécessaire que les maitres d'aujourd'hui ne sont pas des scientifiques. C'est une différence importante avec la situation qui prévalait il y a 30 ans. Aujourd'hui les étudiants qui sortent des filières scientifiques vont très rarement vers l'enseignement. Ca devient un vrai problème de société.

 

Si je vous suis bien, on a eu des débats passionnés sur les méthodes de lecture durant la dernière décennie mais on n'a rien fait d'intéressant ?

 

On est revenu à de vieux démons. La conférence de consensus de 2003 elle -même n'a pas été diffusée comme elle aurait du. On a clairement perdu du temps aussi bien pour l'apprentissage des maths que de la lecture.

 

Aujourd'hui les enseignants sont découragés. Comment faire évaluer les méthodes ?

 

J'ai été moi-même enseignant dans le primaire durant 12 ans. On ballote les enseignants d'une direction à l'autre ce qui n'est pas sécurisant. Il est temps d'arrêter les affrontements stériles. Les polémiques désécurisent les enseignants. Je crois que les professeurs ont besoin d'une ligne claire, consensuelle. L'urgence c'est de réunir des conférences de consensus. Il n'y a pas que les maths ou le vocabulaire. L'apprentissage de l'orthographe pose aussi problème. Sur ces questions des conférences de consensus doivent fixer les objectifs et les priorités. Il faut que les enseignants disposent d'outils variés pour lesquels ils puissent exercer leur liberté pédagogique. On doit leur donner des programmes consensuels qui soient établis pour une décennie.

 

Le ministère justement prépare des programmes. Vous êtes écouté au ministère ?

 

J'ai peu de relations avec le ministère. Quand on me sollicite, j'y vais. Je fais part de mes découvertes.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

CE2 : Le niveau stagne

Fayol : L'acquisition du nombre

N'allez pas trop vite

Enseigner l'orthographe

 

 

Par fjarraud , le vendredi 30 mai 2014.

Commentaires

  • emapi, le 31/05/2014 à 21:54
    Je peux comprendre certaines des réactions suscitées par l'article. Néanmoins, pour le coup, Michel Fayol est vraiment, selon moi, un grand Monsieur, dont les recherches ont pu éclairer et aider bien des pratiques. C'est une bonne chose, je trouve, que de telles personnes continuent d'œuvrer pour que les gens de terrains comme nous puissent améliorer les choses. La théorie nourrit la pratique et vice-versa.
    • Jean Maurice, le 01/06/2014 à 16:36
      Loin de moi l'idée de critiquer les personnes et je n'ai nullement l'intention de dénigrer le travail de M Fayol comme de tant d'autres chercheurs. Mais je suis agacé de voir encore apparaître ces idées de "conférences de consensus" et autre phases d'ébullition intellectuelles desquelles sont systématiquement absents les enseignants chevronnés. Tout juste invite-t-on quelques représentants syndicaux dont la fonction première (et la préoccupation quotidienne) n'est pas la réflexion et le développement pédagogique.
      A noter que monsieur Fayol lui-même se plaint d'avoir peu de relations avec le ministère. Pour les enseignants de terrain et de province, il n'y a pas de relation avec quiconque. Donc je maintiens mon propos: le courant ne circule que dans un sens. Et la formation initiale ou continue étant malmenées, il n'y a même plus de circulation de proximité. Les enseignants sont devenus de véritables anachorètes pédagogiques condamnés à s'auto-former sur leur temps libre ou à essayer de négocier quelques compromis d'équipe dans d'illusoires projets d'école. C'est juste regrettable, il y a tant de connaissances et tant de compétences à partager. Encore une fois, l'expérience n'est pas une qualité reconnue en France. C'est le problème culturel d'une société très élitiste.
      La théorie nourrit la pratique. C'est ce qu'on promeut. La pratique qui alimente la théorie... c'est moins fréquent et certainement pas encouragé,  plus vraisemblablement même pas envisagé! Prenons l'exemple d'un conseiller pédagogique de mon département que la rumeur porte au firmament de la maîtrise éducative. Tout le monde raconte que c'est (c'était!!!) un instituteur de grand talent et pourtant nul ne sait ce qu'il faisait dans sa classe. Curieux, en réalité, d'avoir sous la main un formidable exécutant, un novateur, et de n'avoir aucun renseignement, aucun document sur sa pratique, de ne jamais l'avoir vu à l'oeuvre. Non, le système se moque bien de cela. On lui demande juste de porter fort la bonne parole du ministre, d'éplucher les programmes, de corriger les projets d'école et les fiches action... Dommage non?
      • emapi, le 02/06/2014 à 07:53
        Je suis en tout point d'accord avec ce que vous venez d'écrire. Il me semble effectivement que, d'un bout à l'autre de la chaîne de réflexion, nous sommes totalement ignorés mais ce n 'est pas, à mon sens, du fait des chercheurs qui, au contraire, tentent pour la plupart d'ancrer leurs recherches dans des classes bien réelles.
  • Jean Maurice, le 31/05/2014 à 13:22
    + à Viviane Micaud
    C'est navrant, cette faculté qu'ont les "élites" (chercheurs ou supérieurs de tous ordres) à penser que seul leur esprit éclairé validé par LE DIPLOME serait toujours l'ultime recours aux difficultés rencontrées.

    Citons l'article :

    Il faudrait donc que les enseignants se rapprochent de ses travaux ?

     

    Il faut que l'école forme les maitres ainsi que les cadres et qu'elle s'empare de ces outils. Il faut donc une volonté politique et ne pas méconnaitre la situation. La formation a été négligée. Il faut la rétablir.


    Désolant une fois de plus de constater que l'on nie en bloc les capacités des enseignants à proposer des réponses efficaces, qu'on n'accepte leurs idées que par le filtre très déformant de l'édition scolaire (lorsque les enseignants ont assez de courage et d'énergie pour publier un travail très solitaire dans un contexte où pas une minute de décharge ni aucune récompense ne leur est accordée pour cet ouvrage, et alors qu'en parallèle l'institution ne cesse ses injonctions à produire des outils pédagogiques personnels... Cherchez l'erreur!).
    Il serait donc au moins aussi utile que les chercheurs et autres formateurs se rapprochent des enseignants, qu'ils ne partent pas de leurs seules intuitions et s'appuient davantage sur ce qui existe déjà.
    Or, on en revient toujours et seulement aux chiffres globaux. Ah la statistique... Formidable outil, mais à utiliser avec prudence. Et on vous sert des résultats en baisse à tour de bras, sans jamais chercher à repérer si, ici où là, il y aurait localement des résultats en hausse... et surtout pourquoi. On interprète toujours les résultats en fonction des mesures générales, des derniers programmes, des derniers horaires ou rythmes, des dernières directives, à la lumière des moyennes des évaluations... douteuses.
    Tiens par exemple, j'ai réalisé deux années consécutives des évaluations  académiques GS à la demande de ma hiérarchie. Scores plus qu'excellents. Mais personne ne m'a réclamé les résultats. Or j'avais fait ces évaluations en plus des miennes. Que de temps perdu pour satisfaire aux appétits de chiffres de tous ces analystes structurels, pédagogues de salon et de discours. Personne n'est venu voir et personne ne se serait demandé de toute façon pourquoi mes élèves réussissent mieux que d'autres (dans la même commune)...
    Et de raisonner comme si tout le monde faisait la même chose.


    Petite allégorie pour finir :
    Si un pilote automobile dit à son ingénieur que la voiture ne fonctionne pas bien avec les pièces et les réglages testés, on l'écoute et on modifie la voiture avant le crash ou avant la défaite. Si un enseignant à l'outrecuidance de dire qu'un dispositif pédagogique est inefficace, il sera fustigé dans la minute ( si tant est qu'on lui ait donné l'occasion de formuler une telle critique).
    Moi je n'appelle pas cela de la recherche et développement et ne suis donc absolument pas surpris de voir le système éducatif au point mort!

  • Renan, le 30/05/2014 à 16:27
    "Personnellement j'a une hypothèse et j'ai demandé à la Depp de le vérifier. Je me demande si les mauvais résultats en résolution de problème ne sont pas liés aux mauvais résultats en lecture."
    Cette hypothèse a été maintes fois vérifiée dans le passé. En 1989, par exemple, le Recteur Michel Migeon avait déjà écrit, dans un rapport à Lionel JOSPIN, alors Ministre de l'EN, intitulé "La réussite à l'école"(1)  : "Il est acquis aujourd'hui que la compréhension de l'énoncé du'un problème , c'est-à-dire la lecture d'une consigne ..., est une condition préalable à la résolution de ce problème"(page 38)
    (1)Disponible au CNDP
    Il est donc évident qu'une bonne maîtrise de la lecture est la condition essentielle du sucès scolaire. Elle entraîne tout le reste... 
    [voir   http://range.pagesperso-orange.fr/contrib-a-la-reussit-educ.htm  ]
  • Viviane Micaud, le 30/05/2014 à 15:14
    Pour moi, le consensus ne doit pas se faire entre chercheurs, mais entre enseignants reconnus par leurs collègues qui enseignent devant des classes réelles, comme étant de bons conseils. 
    Avant de faire de l'innovation, il faut reconstruire les fondamentaux de l'enseignement qu'on a perdu de vue depuis 30 ans.
  • bad wolf, le 30/05/2014 à 13:13
    M. Fayol s'étonne : "Mais on observe dans l'étude de la Depp des choses étonnantes. Par exemple de gros progrès pour la soustraction. On ne sait pas pourquoi".

    D'où peut venir cette évolution inexplicable ???

    Réponse (tirée de http://doublecasquette3.eklablog.com/tant-va-la-cruche-a-l-eau-a108066756)

        "Ça vient d'un truc bizarre qui s'intitule Programmes de l'école primaire.

         En théorie, parce que cela met toujours un peu de temps à s'installer, les maîtres des élèves de 1999 suivaient  ceux de 1995. Dans ceux-ci, on lit qu'au CP et au CE1 (Cycle des Apprentissages Fondamentaux), on se contentera d'aborder la technique opératoire de la soustraction dont l'étude ne commencera qu'au CE2. Dans les faits, les manuels scolaires proposaient, au mieux, en fin d'année de CE1, une vague initiation à la technique de la soustraction sans retenue, et encore...

         Le maîtres de la fournée née en 2005 ont théoriquement appliqué les programmes 2008 (même si, dans beaucoup de circonscriptions, les hiérarchies ont continué à conseiller de suivre ceux de 2002). Or, dans ceux-ci, la soustraction était à nouveau enseignée depuis le CP et sa technique posée enseignée au CE1 (seulement à partir de 2008).

         Rien d'étonnant donc que les enfants de 1999 aient été moins performants que ceux de 2013. À moins qu'on en soit encore à croire que l'École n'enseigne rien et qu'elle n'a pour rôle que d'accueillir les enfants qui découvriront seuls des contenus qu'elle n'a pas à leur présenter... "

    CQFD
  • Franck059, le 30/05/2014 à 07:40
    "Elle (l'école) peut doter tous les enfants des capacités de lecture et de compréhension."
    Le fait que l'on puisse croire cela révèle la naïveté du discours. 
    Quels outils pour les enseignants face aux élèves, de plus en plus nombreux, qui refusent de travailler et préfèrent s'amuser ? 
    Combien de temps le déni de cette réalité va-t-il encore durer ?
    • Spartacus, le 30/05/2014 à 09:40
      Tu as totalement raison Franck059.
      Avant le job des enseignants étaient de faire bosser les élèves, mais ça c'était avant!!
      Aujourd'hui, les enseignants bossent comme des fous pour trouver des astuces pour faire apprendre de manière ludico-ludique aux petits français qui sont trop stressés par la notion de travail....
      Regardons les analyses de la FCPE qui s'érige en spécialiste de la pédagogie et on verra que la réalité n'a pas fini d'être niée..... Que tous ces messieurs viennent dans les classes!!!!
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