Les mots de trop et les gros-mot à l'Ecole... 

Toutes les langues ont leurs gros mots et leur argot. Parler ce n’est pas seulement communiquer à propos de la réalité matérielle des choses, c’est aussi exprimer des émotions, des frustrations, des indignations …

 

Quel est le statut précis de l’illustre interjection que  Cambronne a fait entrer dans l’histoire, le 18 juin 1815 à Waterloo en répondant merde à un officier  britannique ? Ces  cinq lettres appartenaient au français avant cette date, mais c’est ce glorieux général d’Empire qui en perçoit ad vitam les droits d'auteur. Certains termes ont ainsi une place à part... C’est le cas de con  pour Claude Nougaro chantant sa ville ... Ô Toulouse. Un torrent de cailloux roule dans ton accent. On se traite de con à peine qu´on se traite ... Ô Toulouse...  On se fait traiter de con aussi un peu partout en France. En l’occurrence, le 23 février 2008, un président de la République en exercice,  a lancé : Casse-toi, pauv' con ...  à l’adresse d’un  citoyen refusant une poignée de main. Dans la presse étrangère le con  en question fut diversement  traduit ... Dann hau doch ab, Du armseliger Dummkopf : « tire-toi, misérable imbécile » ; Dann hau doch ab, Du Blödmann : « barre-toi, idiot » ; Then get lost, you poor jerk ! : « décampe, pauvre crétin ! » ; Get lost, you stupid bastard ! (dégage, abruti de salaud) ... (1)

 

Je suis excédée par  les imperfections de la vie institutionnelle... "On me casse les couilles dans ce bahut de merde…"

 

Pour la  convocation en conseil de discipline d’un élève épinglé en raison d’un écart de langage, peut-on retenir la faute suivante ;  A insulté le surveillant en disant : « ta mère ! »...  Va-t-on  sanctionner pour ce qu’a compris le pion ou pour les mots effectivement prononcés ? De même, quand Madame Issoire, la prof de lettre de Seconde 8,  reproche à un élève de jurer sans cesse. Le garçon ne sait pas ce qu’il a fait de mal car il  croit que jurer veut dire lever la main droite et  promettre de ne pas mentir comme en cour d’assise, ou en crachant parterre comme en cour de récré. Quand une  lycéenne hurle qu’on lui casse les couilles dans ce bahut de merde... Le CPE voulait-il entendre : je suis excédée par  les imperfections de la vie institutionnelle...  D’ailleurs, aurait-il davantage écouté l’élève ?

 

Le coup de gueule quelque peu grossier est-il  une catharsis (2) ? Ça fait du bien de proférer de temps en temps bordel de merde ! ou dans une version plus actuelle, putain de sa mère … Comme ça fait du bien aussi, dans l’intimité de sa chambre, de sa salle de bain, de sa voiture, de traiter le prof ou le parent qui vient de vous punir, le coiffeur qui vient de vous rater, le copain qui vient de vous traiter  sale con, ou n’importe quelle autre joyeuseté.

 

Une enquête du ministère de l’Éducation nationale (3)  montre que parmi les  incidents graves recensés, il y a 40 % de violences verbales. Les grossièretés proférées par les élèves visent majoritairement les membres du personnel (professeurs, surveillants et autres)... et cette certaines académies les étudient de très prés . (4)

 

 

Thèmes des grossièretés

Éléments du lexique usité

Actes corporels

pisser, péter, chier

Anatomie

bite, con, cul, couilles

Excréments

merde, pisse

Sexualité

baiser, niquer, enculer, sucer, faire la putain

 

Les termes ne se réfèrent pas à la chose ou aux faits mais sont plutôt une allégorie d’un état psychologique de leur utilisateur (frustration, colère). Si l’on retient le cas de merde, putain, con, enculé...  leur utilisation comme exclamation annule le sens premier se rapportant à la chose concrète pour signifier au-delà du mot une hostilité et un mépris.  Tout autre est le langage vulgaire : le mot et la chose sont liés. Il en va ainsi de bouffe, trouille, chiotte et tant d’autres qui ne sont pas aussi choisis que nourriture, denrées ; peur, panique ; toilettes...  Les ados emploient ce style de lexique assez couramment et ce faisant, marquent leur appartenance à un groupe et à une génération.

 

Parler c’est aussi s’amuser (5)

 

En générale, les enseignants  n’approuvent pas ce langage, ils l’entendent toujours de la mauvaise oreille, mais ils ne peuvent pas le classer parmi les insultes.  Il n’empêche qu’ils développent deux genres critiques à l’encontre  des grossièretés. D’une part,  ils les associent à une  tension qui peut quitter à tout instant sa forme verbale pour devenir factuelle. D’autre part, même si aucune violence n’a lieu dans les actes,  ils honnissent le lexique ordurier par principe, par position éducative, culturelle, intellectuelle... Néanmoins, seules les mauvaises pédagogies pourraient prétendre qu’il suffit d’empêcher les mots indésirables  de passer par la bouche des jeunes pour en être débarrassé. Ce n’est pas si simple. Les mots et les êtres ne sont pas séparés. Le vocabulaire, la prononciation, l’accent, etc. sont des marqueurs de nos  origines et du milieu d’appartenance .(6)

 

Comment différencier un mot courant, d’un mot familier ou d’un mot vulgaire... ? Selon les cas un juron se fait injure, insulte, menace, diffamation... Selon le dictionnaire de Jean-Paul Doucet (7), pour un même terme, le droit pénal retiendra l’injure alors que les procédures disciplinaires administratives retiendront l’insulte dans le cas où un subordonné manque gravement au respect dû  à un supérieur. L’injure est une expression de mépris  par action, geste, mimique, discours,  invectives, écrits etc. qui blesse l’honneur et à la considération d’une personne.  D'un point de vue technique, le délit d’injure peut être constitué sans que les juges aient à chercher si la personne visée s'est ou non sentie blessée.  En règle générale, des propos irrévérencieux adressés à des agents publics comme les professeurs relèvent de la notion d’outrage ou de diffamation (8).

 

Parler c’est aussi s’amuser et les gros mots font partie du jeu. Ils permettent une liberté plus ample que la langue convenable. D’ailleurs, on peut inventer des gros mots en marge des grands classiques.  Cet exercice réjouit beaucoup les petits enfants et leur fait découvrir une des composante primordiale de la langue : le plaisir. Dans cet ordre d’idée, les adolescents, collégiens ou lycéens, exercent parfois leur créativité dans les surnoms dont ils affublent leurs profs… Cocotte minute, la prof dit tout le temps chut-chut ; Dring-dring, le  prof dit toujours  c'est moi la sonnerie quand la fin du cours sonne ; Eagle 4 ( eagle for/ il gueule fort) pour le prof d'anglais qui hurle tout le temps ; Tristan, pour un prof qui s’appelle Mr Kuhlet…

 

Gilbert Longhi

 

Notes :

1  http://fr.wikipedia.org/wiki/Casse-toi,_pauv'_con_!

 2 http://www.jeunesviolencesecoute.fr/espace-jeunes/dossiers-thematiques/violences-verbales/ca-sert-a-quoi-les-gros-mots.html

3  http://media.education.gouv.fr/file/2011/48/6/DEPP-NI-2011-13-actes-violence-etablissements-publics-second-degre-2010-2011_197486.pdf

http://media.education.gouv.fr/file/2011/48/6/DEPP-NI-2011-13-actes-violence-etablissements-publics-second-degre-2010-2011_197486.pdf

  Académie de Lille Bulletin Départemental  n° 99 - avril 2007 - INSPECTION ACADEMIQUE DU NORD

4 http://www.ac-lille.fr/dsden59/bulletin_departemental/affichePageResultat.php?numArticle=144&numBD=94&typeaction=theme

5  http://www.jeunesviolencesecoute.fr/espace-jeunes/dossiers-thematiques/violences-verbales/ca-sert-a-quoi-les-gros-mots.html

6  http://www.jeunesviolencesecoute.fr/espace-jeunes/dossiers-thematiques/violences-verbales/ca-sert-a-quoi-les-gros-mots.html

7  http://ledroitcriminel.free.fr/dictionnaire.htm

8 http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/2010/117_Rubriquejuridique.aspx Insulte, injure, outrage, diffamation  (et internet)

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 28 avril 2014.

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