" States of Grace" de Destin Cretton : La fureur de vivre d’une jeune éducatrice 

Comment brosser le tableau vivant et réaliste de la vie quotidienne dans un foyer pour adolescents en difficulté en évitant la caricature et les clichés ? Pour y parvenir, Destin Cretton, jeune réalisateur d’origine hawaïenne, s’appuie d’abord sur sa propre expérience : son travail  pendant deux ans comme éducateur dans une institution de ce type a nourri ce film, optimiste et tonique, sélectionné et primé dans de nombreux festivals. Parmi les adultes encadrants émerge la figure subtile d’une éducatrice confrontée aux souffrances des jeunes dont elle a la charge, tiraillée entre les devoirs inhérents à sa mission et les tumultes d’un cœur amoureux. Grâce à son assise documentaire, « States of Grace » interroge avec intelligence les fondements du difficile métier d’éducateur. Une œuvre prometteuse.

 

La célébration  réaliste d’une communauté humaine

 

La première séquence  (la tentative de fuite d’un jeune hors du foyer) ne laisse guère de doute sur la difficulté majeure à laquelle sont confrontés les éducateurs, héros de « States of Grace » : comment former un groupe, souder une communauté principalement constituée d’adolescents en proie à la violence, victimes de maltraitances, tentés par la délinquance ? Tout en soulignant la détermination et le volontarisme de l’équipe, le récit dynamique frappe par la réalité des situations concrètes abordées. Il dessine la vie quotidienne du centre, ses embardées de violence, ses accalmies joyeuses, ses fluctuations d’humeur au fil des petites victoires quotidiennes remportées sur la haine de l’autre et la mésestime de soi chez des adolescents « perdus ». La veine à la fois réaliste et optimiste se nourrit de l’expérience personnelle du jeune cinéaste ; une expérience transcendée par le souci de la restituer dans sa « complexité » et son « ambivalence », à l’image de la leçon tirée par Destin Cretton lui-même au terme de l’exercice de ce travail de « terrain », fondé sur le respect et la confiance mutuels. « Lorsque j’ai quitté cette fonction, je me suis rendu compte que j’avais plus appris à leur contact […]. Ces adolescents n’étaient pas des monstres, ils étaient intelligents, à vif. J’étais admiratif de leur courage. Ils restaient, en dépit d’événements tragiques, des êtres éveillés, amusés, blagueurs »…

 

Le difficile partage de traumatismes

 

Si la foi en l’avenir est de mise, l’attention portée à Grace (interprétée avec finesse par Brie Larson), responsable de l’équipe, nous confronte au poids énorme qui pèse, parfois, sur ses frêles épaules. Lorsque le foyer accueille, en cours d’année, une jeune fille, révoltée et mutique, totalement rétive aux règles, Grace parvient, après de délicats travaux d’approche, à communiquer avec elle et l’instauration de cette relation particulière n’est pas sans risque. Le mal-être de l’adolescente fait écho en elle à des traumatismes enfouis ; des traumatismes qu’elle doit surmonter pour retrouver la bonne distance avec l’adolescente concernée et  assumer sa situation de femme amoureuse et de future mère. Aucun didactisme cependant dans le traitement des « différents états » que Grace traverse mais un coup de force particulièrement réussi qui constitue le noyau central du film.  Grace comprend que la jeune fille dont elle a la charge est en danger puisqu’elle passe le week-end chez un père qui probablement abuse d’elle. Elle se précipite alors, en pleine nuit, au domicile de ce dernier, force l’entrée, retrouve sa « protégée » ; toutes deux passent aux aveux, chuchotés devant le père allongé sur son lit, assommé par l’alcool, et, pour la première fois, nous apprenons que la jeune éducatrice a elle aussi été victime de relations incestueuses. Elle s’empare alors d’une barre de fer et, sous le regard de la jeune maltraitée, entreprend de briser les vitres du véhicule de l’homme, une voiture de luxe garée devant la maison. S’en suit une virée nocturne des deux jeunes femmes à mobylette avant un retour au foyer. Et ce passage inattendu à l’acte violent –condensé de l’empathie de l’une pour l’autre et de son dépassement nécessaire- vaut toutes les démonstrations bavardes sur la complexité du métier d’éducateur.

 

Des larmes aux rires, le pari de la générosité

 

On peut reprocher à Destin Cretton une mise en scène frisant le pathos, certaines scènes gâchées par le manichéisme, surlignées par le recours au ralenti ou par l’usage excessif d’une musique d’accompagnement sentimentale. Dans l’ensemble, le cinéaste trouve cependant le ton juste et la mise en scène se situe sur la ligne de crête des émotions, voyage avec bonheur des larmes aux rires, accompagne les adolescents du repli sur soi à une forme de socialisation,  suit les éducateurs de la distance lucide à la générosité affectueuse. Originaire de l’île de Maui à Hawaï, le jeune réalisateur et scénariste  grandit avec des films pour enfants et des comédies populaires américaines. Il  construit sa cinéphilie, tardivement, au lycée avant d’intégrer une école spécialisée. Il fait ses premières armes dans le documentaire et revendique la découverte de « Breaking the waves » de Lars Von Trier [Palme d’or du festival de Cannes en 1996] comme un choc fondateur : « j’étais totalement bouleversé, hanté par le film […]. Et je suis tombé amoureux du cinéma indépendant américain et européen grâce à Lars Von Trier ». Un peu plus tard, « un nouveau choc » se produit  avec la vision de « Festen », fiction d’un autre cinéaste danois, Thomas Vinterberg [Prix du jury, Cannes, 1998],  « autopsie » cruelle des rapports humains au sein de la famille. L’originalité des sources d’inspiration de Destin Cretton  explique sans doute le souffle de liberté qui traverse son film.  Une modernité assumée qui se conjugue avec l’admiration pour de grands maîtres du cinéma américain, comme Frank Capra : « un film comme ‘La vie est belle’ représente exactement ma conception de [l’existence] ». Un programme ambitieux dont « States of Grace » nous offre une déclinaison stimulante.

 

Samra Bonvoisin

 

« States of Grace, film de Destin Cretton, sortie le 23 avril

Principales récompenses : Meilleure actrice ou Révélation (Brie Larson), festivals de Locarno, Détroit, Austin, Maui ; Meilleur Film, Locarno, Los Angeles, Maui ; Meilleur Réalisateur, Locarno, Chicago, San Diego, 2013.

 

 

Par fjarraud , le lundi 28 avril 2014.

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