Pourquoi ont-ils tué le soldat Peillon ? 

Une semaine après le remaniement gouvernemental, associations et syndicats se mobilisent pour ou contre la réforme des rythmes et la poursuite de la refondation. Loin d'être convaincus par le discours d'installation de Benoit Hamon, de nombreux acteurs de l'Ecole se demandent pourquoi V. Peillon a été contraint à quitter l'éducation nationale, c'est à dire pour quelle politique ?

 

Il faut d'abord se souvenir de la position particulière de V. Peillon dans le gouvernement. Après une campagne où il portait le thème principal (l'éducation), François Hollande avait fait de son ministre de l'éducation nationale le numéro 2 du gouvernement. Le ministère disposait  d'une garantie budgétaire le dotant d'un statut totalement dérogatoire puisque chaque création de poste dans l'éducation nationale signifiait à un autre ministre une suppression..

 

Il faut aussi se rappeler le travail accompli par Vincent Peillon. Quelques jours avant d'être limogé, V. Peillon venait de réaliser un exploit politique : signer avec les syndicats un accord sur le métier enseignant, ce dont n'avaient même pas pu rêver ses prédécesseurs. Ces mêmes syndicats souhaitent aujourd'hui ardemment que B Hamon garde dans son cabinet le négociateur nommé par V Peillon. Quelques mois auparavant, au prix d'habiles négociations avec les groupes parlementaires, Vincent Peillon avait réussi à réunir des majorités parfois assez larges (au Sénat) sur la loi d'orientation. Il avait fait preuve de vrais talents de négociateur. Ensuite, en quelques mois, il a commencé à appliquer la loi, mettant en place, par exemple les Espe.

 

Certes Vincent Peillon a pu sembler affaiblir sa position en annonçant son départ pour participer aux européennes. Certes la question des rythmes divise les enseignants du premier degré et mobilise l'opposition. Mais rien n'empêche le président ou le premier ministre d'intervenir dans ce dossier, on l'a vu dans le passé. Par conséquent on s'interroge sur le départ d'un ministre qui a construit la vision présidentielle sur l'Ecole et qui a réussi à amorcer la refonte profonde de cette dernière.

 

Puisque le ministre n'a pas démérité, on en est réduit aux hypothèses. S'agit il de marquer symboliquement une rupture, pas évidente, entre l'ancien gouvernement et le nouveau gouvernement, en changeant quelques têtes  ? S'agit-il  pour le premier ministre de prendre au sérieux la nouvelle politique économique, le pacte de responsabilité, et d'avoir un ministre capable de l'appliquer ?

 

Certes Vincent Peillon lui même a dit le 2 avril " Je suis certain que Benoit Hamon sera tout à fait à même de mener cette tâche de la refondation là où elle doit aller". Certes, Benoit Hamon a ajouté " J'essaierai de m'inscrire dans les pas du ministre de l'éducation nationale à travers les réformes qu'il a engagées... Je mettrai toute mon énergie à servir cette priorité de l'éducation et de la jeunesse choisie par le président de la République. Le chemin ouvert par Vincent Peillon doit continuer". Mais si c'était pour continuer la refondation, alors pourquoi ne pas garder Peillon ?

 

Certes le président de la République a pris soin de mentionner à coté du pacte de responsabilité "le pacte de solidarité" au sein duquel il place l'éducation. Mais on voit bien que l'éducation n'est plus à la même place protocolaire. On a du mal à imaginer que le gouvernement puisse dégager 50 milliards d'économies sans toucher au ministère qui dispose du plus gros budget. On sait aussi que la réforme du collège, éventuellement une nouvelle réforme du lycée pourraient aussi se traduire par la libération de milliers de postes.

 

Alors sommes nous en train de rejouer 2005 ? Cette année là la majorité de droite adoptait une loi d'orientation pour l'Ecole qui lui fixait des objectifs et installait le socle commun. L'encre en était à peine sèche qu'une bonne partie de la droite regrettait ce texte. Sous la pression d'une  partie de la majorité d'alors, la loi de 2005 allait sombrer dans le  grignotage et l'escamotage. Le même sort est il en train d'arriver à la loi d'orientation de 2013 ? Quelques mois après son adoption, la situation économique et politique semblent avoir totalement changé. Ses orientations supposent des moyens nouveaux pour l'Ecole qui semblent inaccessibles dans les lignes budgétaires. Cette loi d'orientation est -elle destinée à entrer dans le purgatoire des lois ? L'Ecole a le droit de le savoir.

 

François Jarraud

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 07 avril 2014.

Commentaires

  • Delafontorse, le 08/04/2014 à 06:47
    L"exploit politique" de Vincent Peillon...

    Le SGEN et l'UNSA ont voté le 27 mars dernier pour la casse des statuts des professeurs certifiés et agrégés et leur placement à la rentrée 2015 sous le régime de la corvée, devant effectuer des "missions liées" prévues par l'Article 2 du projet de Décret Peillon, toutes obligatoires, non rémunérées, non comptabilisées, en nombre et en nature indéfinis.

    Une grande première dans l'histoire du syndicalisme : des syndicats ont voté pour la réduction à l'esclavage des adhérents qu'ils sont supposés défendre ou bien ne s’y sont pas opposés.

     

    Rappelons que FO, la CGT et Sud ont voté contre ce projet de Décret.

    Le SNES, lui, s’est abstenu, permettant par cette abstention que le projet de Décret soit voté. Les prochaines élections professionnelles seront l’occasion de se souvenir de ce comportement qui ne vaut pas mieux dans la trahison des adhérents que celui du SGEN et de l’UNSA.

     

    Ce qui a été voté le 27 mars n'est pas un toilettage anodin du Décret dit "de 1950", c'est son abrogation et sa casse en effet, en même temps que celle du métier de professeur tel qu'il est défini aujourd'hui.

    Le projet de Décret Peillon redéfinit le métier de professeur, en rendant relative à des missions liées la mission principale du professeur, qui est d'enseigner.

     

    Une toute petite explication de texte en convaincra ceux qui savent lire, et leur permettra aussi de voir que le métier de professeur est redéfini aussi par ce projet de Décret pour être subordonné au régime de la CORVÉE

    --------------------------

    Point II de l'article 2 du projet :


    Il est écrit :

    "(...)les enseignants mentionnés à l’article 1 du présent décret sont tenus d’assurer, sur l’ensemble de l’année scolaire (...) :

    II- Les missions liées au service d’enseignement qui comprennent les travaux de préparation et les recherches personnelles nécessaires à la réalisation des heures d’enseignement, l’aide et le suivi du travail personnel des élèves, leur évaluation, le conseil aux élèves dans le choix de leur projet d’orientation en collaboration avec les personnels d'éducation et d'orientation, les relations avec les parents d'élèves, le travail au sein d’équipes pédagogiques constituées d’enseignants ayant en charge les mêmes classes ou groupes d’élèves ou exerçant dans le même champ disciplinaire. Dans ce cadre, ils peuvent être appelés à travailler en équipe pluri-professionnelle associant les personnels de santé, sociaux, d’orientation et d’éducation."



    Commentaire :

    "Comprendre", cela veut dire "inclure", mais cela ne veut pas dire "se définir exclusivement comme".



    Par conséquent, si les "missions liées" incluent les tâches citées, elles ne se définissent pas exclusivement par elles. 
Ce qui signifie qu'il pourrait exister des "missions liées" non citées dans le texte du projet.

    Conclusion : le texte de l'article 2 laisse ouverte la possibilité de missions liées obligatoiresnon définies en nature et en nombre (on vient de le démontrer), non comptabilisées (nous ne sommes pas aux 35 heures et il n'y a pas de pointeuses dans les établissements) et non rémunérées (ces missions obligatoires sont incluses dans le forfait annualisé de 1607 h du cadre de la fonction publique dont nous relevons en vertu de l'article 1). 



     

    Comment appeler autrement que "corvées" de telles "missions" ?



     CQFD


     

    Où est la lecture précise et démonstrative des textes par les syndicats ayant donné leur aval à ce texte ?

    Et leur lecture de ce verbe-là en particulier, « qui comprennent », qui est le Cheval de Troie par lequel s'engouffre tout le contenu de la Loi d'orientation Fillon de 2005 qui affirme que l'enseignant est responsable de toutes les activités de l'élève au sein de l'établissement ?

    Cette loi n'est pour le moment pas applicable parce qu'il lui manque...ô hasard !... un décret d'application ! 
    Avec le projet de Décret Peillon, elle vient de le trouver.

    Il ne faut pas prendre les professeurs pour des benêts. C’est le dictionnaire qui ici détermine le sens des mots, et particulièrement celui du verbe « comprendre »,  et non l’arbitraire d’un interprète délirant.  Les professeurs savent lire un texte juridique. Ils savent les subtilités de rédaction par lesquelles les juristes et le législateur doivent passer pour obtenir un effet des lois. 

    Et, contrairement aux syndicats qui les trompent, ils n’ignorent pas que le diable est dans les détails.

    http://blog.nonauprojetpeillon.info

    PETITION pour obtenir le retrait du projet de Décret Peillon

    http://www.petitions24.net/non_a_labrogation_des_decrets_de_1950



    • Michel MATEAU, le 15/04/2014 à 17:13
      La situation est bien plus simple. Elle est banale, habituelle. La question est juste de savoir si l'imagination et le courage seront finalement plus forts (ou non) que le délire paranoïaque,  la suspicion maladive, la  rigidité conceptuelle, l'outrance verbale et la sophistique corporatiste...
      Ce n'est donc pas gagné.....mais c'est la norme. Dans l'éducation nationale comme ailleurs, le progrès se fait contre la "Réaction". D'autant plus sournoise chez nous qu'elle se maquille en progressisme.
  • Michel MATEAU, le 07/04/2014 à 10:11
    Dans une institution où toute volonté d'apporter un changement est une déclaration de guerre et toute réforme un combat à mener, aucun ministre ne saurait réussir sans soutien et allié.
    Je ne suis pas certain que la Café Pédagogique ait, au moment où il le fallait, apporté aux réformes proposées par Peillon un soutien à la mesure de l'éloge funèbre qu'il croit bon lui faire.....
    • Delafontorse, le 07/04/2014 à 22:15
      Quand vous lisez cela dans le Cahier de politique économique l'OCDE n°13 et que vous savez que c'est l'OCDE qui commande les enquêtes PISA et pilote depuis au moins 30 ans les politiques éducatives des pays soumis à l'idéologie ultralibérale, vous avez envie d'une réforme, vous ?

       « L’apprentissage à vie ne saurait se fonder sur la présence permanente d’enseignants mais doit être assuré par des prestataires de services éducatifs. Les pouvoirs publics n’auront plus qu’à assurer l’accès à l’apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l’exclusion de la société en général s’accentuera à mesure que d’autres continueront à progresser (….) Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement ».

      Télécharger le Cahier de politique économique n°13 de 1996 de l’OCDE :

      http://www.cip-idf.org/IMG/pdf/ocde_n_13_.pdf


      • PierreL, le 08/04/2014 à 07:22
        C'est drôle que vous ne citez pas le rôle du SNUipp dans l'évolution du statut des enseignants (qui datait de 1950…)
        Qu'il existe une vision marchande de l'éducation, on peut le déplorer, mais pas l'empêcher (la vision).
        Mieux que le déplorer, il faut la combattre. 
        La question qui se pose c'est" comment?".
        Certains en campant sur un statu quo daté et qui grippe le système. Ceux-là cassent les thermomètres, clivent (bipolarisent) les positions, agissent dans les structures intermédiaires, et captent les moyens (il faut voir le nombre de profs hors classe).
        D'autres en essayant de le faire évoluer. La Refondation, c'est le contraire de la vision "ultra libérale" de l'école. 
        Et on ne fera croire à personne que le métier d'enseignant se doit de camper sur les base d'un décret de 1950.
        On peut regarder ailleurs qui obtient, pour leurs élèves, de meilleures résultats. Il y a des systèmes qui ont pu se réformer, retrouver de l'efficacité, sans tomber dans la jungle des marchés.
        On ne peut pas taxer sérieusement Peillon d'ultra libéral.

        Et ce n'est pas à coup de coller/copier que vous serez plus convaincant, tout ce qui est excessif étant...


        • Delafontorse, le 19/04/2014 à 11:50
          Vous remarquerez que je ne copie-colle que le document de l'OCDE et l'article 2 du projet de Décret Peillon...
          Et que vous copiez-collez vous-même les dictons les plus poncifiants, cela
          sans AUCUN argument hors l'autorité (?) avec laquelle vous déclarez que la Refondation, c'est le contraire de la vision ultralibérale.

          L'ultralibéralisme a besoin d'idiots utiles, il est vrai, qui l'aident sereinement à maquiller en effet en "progressisme" confiant et en "réformes" des régressions de tous ordres. 
  • Viviane Micaud, le 07/04/2014 à 09:32
    Vincent Peillon a mis des bases saines pour la refondation. 
    - un texte voté par le parlement globalement très pertinent, 
    - une vraie politique de prévention des violences scolaires (principale cause de décrochage scolaire, et un des moteurs du non-investissement scolaire dans les milieux populaires),
    - un Conseil nationale des programmes qui comme le montre leur charte a une démarche pertinent. Or le manque de pertinence des programmes (incohérents, inadaptés aux classes hétérogènes et infaisables) est la principale cause de dysfonctionnement du système éducation nationale,
    - un conseil d'évaluation du système scolaire qui semble se poser les bonnes questions (voir se qui se passe réellement dans les établissements).
    - la remise en place de 5 matinées dans la semaine des enfants de France (les rythmes scolaires),
    - la remise en place d'une formation des enseignants (ESPE) (Même si celle-ci a aujourd'hui de nombreux défauts, la surveillance est en place pour la faire évoluer.)
    Il a fait des gaffes inadmissibles, a été maladroit avec les enseignants du primaire, a montré une incapacité à communiquer vers certaines populations. 
    Tactiquement, cela ne me semble pas illogique de faire sauter un fusible, et de créer un nouveau souffle avec une nouvelle tête qui n'a aucune raison de remettre en cause ce qu'a fait son prédécesseur.
    Par ailleurs, Vincent Peillon donnait l'impression de vouloir passer à autre chose.
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