Global Forum : Quand les enseignants et les élèves inventent 

Du 11 au 14 mars, à Barcelone, le « Global Forum » rassemble, venus du monde entier, enseignants innovants, personnels de direction, industriels, politiques pour échanger expériences et réflexions autour du numérique éducatif. Selon Montserrat Gomendio Kindelan, Secrétaire d’Etat espagnole à l’Education et aux Universités, des méthodes d’enseignement dépassées expliquent les relativement faibles résultats des élèves européens dans les enquêtes comparatives internationales. Ils rencontrent notamment des difficultés à résoudre les problèmes, à débattre, à faire preuve d'esprit critique, d’innovation et de créativité. Sur tous ces aspects, le numérique présente des intérêts pédagogiques, pour peu que les enseignants acceptent de changer de posture et cherchent à stimuler les élèves dans les apprentissages : que s’inventent simultanément de nouvelles façons d’enseigner et d’apprendre. En témoignent, rencontrés à Barcelone, trois professeurs de disciplines variées : philosophie, langue étrangère, technologie.

 

La philosophie enrichie

 

François Jourde enseigne la philosophie à l’Ecole européenne de Bruxelles, où il poursuit désormais ses riches expériences innovantes. Ses élèves francophones suivent les cours de philosophie sur 2 années, ce qui offre au professeur plus de temps et de liberté, d’autant plus que le baccalauréat se passe pour moitié en contrôle continu. Les cours habituels s’enrichissent de la création par le professeur et les élèves de ressources digitales ou digitalisées, déposées sur un site dédié : vidéos, quizz, productions multimédias, dessins numérisés… La logique se veut « transformative et sociale » : en transformant les informations, on les assimile et les incorpore pour en faire des connaissances ; en diffusant les productions, on  donne un sens extrascolaire aux travaux scolaires, on renforce la motivation.

 

Les productions numériques sont variées, créatives, ludiques : elles permettent de travailler des compétences académiques selon des modalités non académiques. Par exemple, dans le prolongement d’un cours sur l’augustinisme politique, les élèves sont amenés à produire des flyers invitant à un colloque sur la question : choix de la mise en page, sélection des intervenants, résumé des conférences annoncées, définition du lieu …  Le logiciel Smore est utilisé pour réaliser de telles pages web, qui conduisent à ne pas être dans la simple répétition du cours. Ou encore, selon le principe du mash up, les élèves créent des vidéo-clips parodiques : des extraits de film exotiques sont récupérés sur le web,  un logiciel de montage vidéo comme Windows Movie Maker permet d’inventer des sous-titres imaginaires, c’est-à-dire des dialogues philosophiques mettant en œuvre problématiques, notions, auteurs … L’application Tellagami permet de créer facilement des animations où la voix des élèves vient résumer en 30 secondes un texte de Feuerbach ou de Nietzche.

 

François Jourde cherche aussi à affronter une question essentielle : comment faire que les élèves aillent vraiment voir les ressources publiées. Une première tentative a consisté en l’utilisation de QR Codes placés dans les livres de la bibliothèque : elle a échoué en raison de problèmes de connexion. Le logiciel de réalité augmenté Aurasma est la solution mise en œuvre : le manuel de la classe « Bled Philosophie » y a été scanné, l’enseignant insère des formes visuelles qui constituent des liens vers les productions en ligne, lorsque l’élève braque vers elles son smartphone ou sa tablette il accède aussitôt à des ressources susceptibles d’enrichir, de clarifier, de vivifier les connaissances (carte mentale, quizz interactif, production vidéo, animation Tellagami…). L’expérience prend en compte les usages des nouvelles générations qui utilisent désormais davantage les outils mobiles que les ordinateurs. Elle oblige aussi à produire des ressources adaptées aux écrans nomades (disposition, durée, interactivité…). Le logiciel utilisé présente certains avantages comme la possibilité de « condition temporelle » (on ne pourra accéder à la  ressource qu’à une date définie), la géolocalisation (l'image qui va déclencher le lien peut être assignée à un endroit précis), la création d’une chaîne spécifique à l’enseignant ou à la classe (à laquelle il faut s’abonner, d’autres pouvant créer des ressources différentes sur le même objet physique).

 

Ainsi peu à peu, de génération en génération, se compose collectivement un manuel enrichi par l’enseignant et les élèves eux-mêmes, avec des ressources embarquées qui favorisent dans le temps une culture commune. L’expérience, souligne François Jourde, est transférable dans de nombreuses disciplines et des niveaux variés. Elle permet de gagner l’attention de certains, motive les apprentissages, stimule l’activité des élèves, donne du sens et de la durée au travail scolaire. Elle donne la comblante impression de publier dans la réalité physique via les écrans. Selon un mode d'écriture polyphonique s’invente une œuvre multimédia, mouvante, joueuse. Catalyseur d’inventivité, le projet invente via le numérique une pédagogie renouvelée de la philosophie, de nouvelles façons d’exercer son intelligence, conformément au vœu de J. Merrow : Ask students « How are you intelligent », not « How intelligent are you ».

 

Apprendre l’anglais par l’écriture créative

 

Marie-Hélène Fasquel enseigne l’anglais au lycée Lycée Giraux Sannier de Saint-Martin-Boulogne dans l’académie de Lille. Le projet qu’elle présente au Global Forum est un projet eTwinning qui fait collaborer deux classes de seconde du lycée français et 3 classes de lycéens turcs et italiens : il s’agit de réaliser des livres électroniques pour défendre l'environnement. Les finalités sont fortes : faire s'exprimer de façon authentique, favoriser une évolution des mentalités et des comportements, viser à ce que les élèves soient acteurs des apprentissages et des évolutions. La motivation des élèves se trouve renforcée par les modalités mêmes du travail : les outils numériques favorisent la collaboration, la création de contenus,  la construction des connaissances, la valorisation d’une publication en ligne ; le sujet retenu invite à se battre pour une « vraie » cause et stimule l’engagement citoyen ; l’ouverture internationale rend la communication plus authentique ; le travail fait appel à la créativité et à l’autonomie.

 

Une heure par semaine est spécifiquement consacrée au projet en classe pupitre. Il se prolonge par des séquences autour de l’environnement ou de la nouvelle, en collaboration avec la professeure de français, qui permettent d’étudier textes et documents, de s’approprier des compétences langagières sur le thème proposé. Un 1er livre a été réalisé autour de l’environnement local : les élèves sont invités à prendre des photos (de marques de pollution ou de paysages qu’on aime et qu’on ne veut pas voir abîmés), puis à rédiger autour d’elles des articles journalistiques. Dans un second temps est lancée l’écriture collaborative de nouvelles en lien avec le concours « Paper planes ». Elles sont rassemblées sur traitement de textes, puis exportées en PDF, puis transformées en livre numérique grâce au logiciel de publication en ligne gratuit « Issuu ». D’autres outils numériques sont utilisés, comme Glogster qui permet de créer des posters interactifs ou Padlet qui permet de rassembler sur un mur les productions. Pour que les élèves lisent les nouvelles de leurs camarades, ils sont encore conviés à les transformer en bandes dessinées.

 

La passion de Marie-Hélène Fasquel est à la mesure de l’investissement des élèves, qui cherchent à donner le meilleur d’eux-mêmes, dont les talents divers ont pu être valorisés et pédagogiquement instrumentalisés pour développer de nouvelles compétences. Un jour, raconte-t-elle, elle s’inquiète d’entendre rire très fort des élèves dans la salle avant de comprendre qu’elles sont en train de travailler le personnage de leurs nouvelles… Une autre fois, ajoute-t-elle, elle a la surprise de se voir tutoyée par un élève : c’est que la position de l’enseignante dans l’espace a changé ; c’est que la posture du prof, désormais plutôt accompagnateur, s’est modifiée ; c’est que la relation pédagogique s’est transformée, menant à une authentique connivence et collaboration entre elle et ses élèves. Le bonheur de Marie-Hélène Fasquel est à la hauteur du plaisir d'apprendre des élèves : ils progressent sans même s'en rendre compte, souligne-t-elle !

 

La technologie citoyenne

 

Dominique Nibart est professeur de technologie au collège Pablo Neruda d’Aulnay-Sous-Bois en zone Eclair. Le projet « Cybertech » qu’il présente au Forum est plus particulièrement adapté au programme de 3ème, mais transférable à d’autres niveaux. Il s’agit d’un concours (« et non d’une compétition », insiste l’enseignant) qui invite à réaliser un robot capable de parcourir 5 mètres et de s'arrêter en autonomie dans une zone de 40 cm sans intervention humaine. Les élèves doivent travailler en groupes, mixtes de surcroît. Telles sont les difficultés à surmonter, les inhibitions mêmes tant notre système scolaire n’apprend pas à être créatif et à travailler en groupes...

 

Le concours en est à sa 20ème édition : 2500 élèves participent chaque année avec une super finale qui rassemble plusieurs centaines d’entre eux à Aulnay-Sous-Bois. Dominique Nibart exprime sa stupéfaction de voir de nouvelles solutions chaque année être trouvées par les élèves pour résoudre le défi, faire preuve d’ingéniosité, détourner avec talent le règlement… : déjà 106 solutions différentes ont été imaginées ! Un apport supplémentaire à l’expérience vient d’une imprimante 3D dont le collège d’Aulnay-Sous-Bois est désormais pourvu : une machine particulièrement intéressante pour faire du prototypage rapide, éduquer au développement durable en donnant une seconde vie à des objets obsolètes, abîmés, introuvables, révolutionner les pratiques professionnelles, techniques, industrielles.

 

Du projet Cybertech, Dominique Nibard dresse un bilan enthousiasmant.  Dès qu’il y a transformation de la matière, pour les élèves c'est extraordinaire : il ne faut pas rester dans le tout virtuel, remarque-t-il. La pédagogie de projet développe l’appétence pour ce qui est technologique, réconcilie les élèves avec un domaine qui connaît mondialement une désaffection : « Les élèves que je n'ai pas viennent me voir à l’entrée de ma salle parce qu’ils souhaitent participer. » De surcroît, le projet permet de lancer réflexions et débats sur l'intelligence artificielle, le poids en la matière de la religion dans l’Histoire : « je suis déjà un homme transformé puisque je porte des lunettes, si on remplace mon cœur, suis-je toujours un homme ? si on transfère mon cerveau, suis-je toujours un homme ? si les robots ont un jour conscience de leur existence, comment faudra-t-il les considérer ? Comme de nombreux projets présentés au Global Forum, l’expérience de Dominique Nibard montre combien le numérique, loin de confiner aux espaces virtuels, ouvre l’Ecole sur le monde, combien il participe à une éducation globale des élèves pour en faire des citoyens à part entière.

 

Jean-Michel Le Baut

 

Les travaux des élèves de François Jourde

Le blog de François Jourde

Tellagami

Aurasma

Smore

Le blog de Marie-Hélène Fasquel

Le mur Padlet du projet

Marie-Hélène Fasquel sur Slideshare

Le recueil numérique de nouvelles

 

 

Par fjarraud , le jeudi 13 mars 2014.

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