Primarisation ou secondarisation de l'école commune ? 

Alors que le dernier rapport de Terra Nova a relancé l'idée d'une "école commune" qui regrouperait, avec un même corps d'enseignant, école primaire et collège, on peut s'interroger sur l'évolution de ces corps d'enseignants. Si Terra Nova souhaite ardemment une forme de "primarisation" du collège, il est possible que l'évolution en cours aille en sens contraire vers une secondarisation du primaire.

 

Pour le récent rapport de Terra Nova, l'échec scolaire important et très marqué socialement que l'on connaît en France résulte de la "triple rupture en termes de contenus enseignés et de relation au savoir, de pédagogie et de relation au(x) maître(s), enfin d’éducation et de relation aux normes sociales et morales " qui se produit au moment du passage de l'école au collège.  Cette rupture est surtout pédagogique. " Passer d’un maître (dans la plupart des cas une maîtresse) polyvalent(e), conduisant toute l’année une seule classe, à des professeurs spécialisés chacun dans une discipline, imposant chacun ses préoccupations didactiques et ses exigences pédagogiques, constitue une expérience souvent difficile", affirment les auteurs. Ils mettent aussi en avant les différences dans les règles de vie. A l'école, les maitres surveillent la cour de récréation et les règles de la classe se retrouvent dans la cour. En tous cas les règles sont beaucoup plus explicites qu'au collège où du personnel spécialisé (CPE et surveillants) prend en charge l'éducation à la vie scolaire.

 

Cet encadrement complet de l'enfant par les professeurs du primaire que l'on connait depuis plus d'un siècle est maintenant contesté. Des voix se font entendre chez les enseignants du primaire pour faire remarquer que professeurs des écoles et certifiés ont tous deux un master et sont recrutés au même niveau d'étude. Plus rien ne semble justifier  des services différents. Professeur des écoles et certifié sont  payés sur des échelles de rémunération identiques. Mais l'égalité s'arrête devant le service hebdomadaire. Il reste différent en durée (18 heures et 27 heures dont 24 devant élèves). Et surtout en nature : les enseignants du secondaire n'ont pas à surveiller la cour de récréation et à se mêler de la "vie scolaire". Pour certains enseignants du primaire, cette différence ne se justifie plus.

 

Ainsi, le 12 février, évoquant la mise en place des nouveaux rythmes scolaires, Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp, présente les enseignants du primaire comme les "perdants" de la réforme. Il demande qu'on prenne vraiment en compte leur travail et demande une situation égale avec les professeurs du secondaire. Le Snuipp veut l'alignement de la prime ISAE sur l'ISOE du secondaire. Il ne demande pas seulement l'égalité de salaire mais veut aussi aller vers les 18 heures. Dans une première étape il demande 21 heures de cours devant élèves et 3 heures de concertation en déconnectant le temps élèves de celui des enseignants. "C'est une question de considération", nous a dit S. Sihr. "Il y a un moment où l'engagement des professeurs doit être reconnu". Les enseignants pourraient aussi avoir des spécialités et engager des échanges de service. On est là à la limite de l'organisation du secondaire. Certes, Sébastien Sihr, se dit "attaché à la polyvalence" et souligne que "les enseignants choisissent le primaire pour travailler auprès des enfants" et les accompagner toute l'année à travers plusieurs disciplines. Il n'en reste pas moins que la tentation du secondaire s'affiche ouvertement.

 

Le 6 mars, interrogée par le Café pédagogique lors de la présentation du rapport de Terra Nova, Claire Krepper est consciente de cette tendance à la secondarisation. "C'est un rapprochement inquiétant des cultures du 1er et du second degré", nous dit-elle. Et elle souligne le fait que les programmes de 2008 ont déjà morcelé les emplois du temps des élèves sur le modèle du secondaire. Ce mouvement semble plus fort chez les enseignants du primaire que la tendance à la bivalence ou polyvalence dans le secondaire. L'école commune qui risque de se faire pourrait bien davantage ressembler au collège qu'à l'école primaire.

 

François Jarraud

 
PS : texte modifié dans la journée du 10 mars

 

 

Par fjarraud , le lundi 10 mars 2014.

Commentaires

  • Azertyman, le 10/03/2014 à 20:27
    "Cet encadrement complet de l'enfant par les professeurs du primaire que l'on connait depuis plus d'un siècle est maintenant contesté." 
    C'est assez énorme en effet, même s'il est clair qu'il faut préparer les élèves en fin d'école primaire au passage au secondaire.

    Il y a sûrement quelque chose à repenser dans le collège français. Est-ce que le café pédagogique peut nous dire quel pays impose autant de ruptures éducatives à la fois :

    - passage d'un enseignant à souvent dix enseignants ou plus (rares sont les enseignants encore bi-disciplinaires)

    - un personnel éducatif en charge de la surveillance encore différent du personnel enseignant.

    - des changements de salle pour presque tous les cours.

    - passage d'une structure encore humaine, souvent guère plus de 300 personnes, à des établissements de taille industrielle : 800 élèves et plus couramment.
    - ... ?

    Aucun pays à ma connaissance ne cumule autant.

    Cordialement.

  • eplantier, le 10/03/2014 à 12:41
    "Cet encadrement complet de l'enfant par les professeurs du primaire que l'on connait depuis plus d'un siècle est maintenant contesté."

    "On" lance les contre-feux que l'on peut, n'est-ce pas.
    Celui-là est de type réactionnaire ; quelle honte !
    • Roque, le 10/03/2014 à 18:08
      Elle commence franchement à me fatiguer la groupie de terra nova...
      • eplantier, le 10/03/2014 à 19:28
        1/ Merci de vous montrer poli. L'emploi de la troisième personne est indigne d'un enseignant que vous devez être.

        2/ Chacun n'a que faire de vos humeurs.
  • LionelJeanjeau, le 10/03/2014 à 10:47
    "Primarisation du secondaire"
    "Secondarisation du primaire"

    Est-on devenus si médiocres que nous ne soyons pas capables de sortir des logiques de "reproduction de l'existant" ? Que nous ne soyons pas capables de concevoir et de mettre en place un corps unique d'enseignants qui ne soit ni tout à fait celui du premier degré (né à la fin du 19e siècle) ni tout à fait celui du second (né au début du même siècle) ?

    • eplantier, le 10/03/2014 à 12:42
      Voilà.Votre approche est typiquement progressiste. Laisserons-nous les réactionnaires détenir le pouvoir du maintien de l'échec global du système éducatif français ?
      • Roque, le 10/03/2014 à 18:10
        Les réactionnaires étant ceux qui ont le culot de battre à plates coutures aux élections professionnels les pseudo-syndicats que sont le se-unsa et le sgen-cfdt...
        Pathétique.
        • PierreL, le 11/03/2014 à 07:47
          Il faudrait, juste une fois, afin de bien mesurer celui qui a la plus longue, puisqu'il semble que c'est à ce niveau que vous placez l'essentiel... il faudrait donc que l'on nous donne les % des résultats en tenant compte de l'ensemble du corps électoral… Ce qui conduirait  chacun à plus de modestie et de capacité d'écoute. 
          Et, puis, introduire un peu plus de transparence dans ces élections professionnelles ne serait pas du luxe.
  • maria1958, le 10/03/2014 à 09:50
    Précision: Profs des écoles et certifiés ont été recrutés avec la même exigence de diplôme et ont la même grille de salaire bien antérieurement à la masterisation (2009)….

    C'est la réalité depuis maintenant 25 ans: depuis la réforme de 1989, qui a institué  les IUFM et porté le diplôme minimum requis pour enseigner dans le 1er degré du DEUG à la licence, créant ainsi le corps des Professeurs des Ecoles. 
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