Terra Nova choisit l'école du socle 

Les réformistes ont leur plateforme. Et il n'est pas indifférent qu'elle soit publiée par Terra Nova, un think tank proche du parti socialiste, au moment où le remaniement ministériel approche. Ce texte recommande la fusion des corps de professeurs des écoles et de certifiés et la création d'une "école commune" regroupant école primaire et collège. Une formule qui rappelle "l'école du socle" que les auteurs soutiennent avec une argumentation vigoureuse au nom de la démocratisation du système éducatif.

 

Les sept auteurs de l'étude publiée par Terra Nova le 6 mars sont bien connus des milieux éducatifs. Jean-Pierre Obin est inspecteur général honoraire, auteur de nombreux rapports comme celui sur " Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires" ou la carte scolaire. Claire Krepper et Gilles Langlois ont des responsabilités au Se-Unsa, Caroline Veltcheff au Sien-Unsa.  Julien Maraval en avait au Se-Unsa avant de devenir personnel de direction. Roger-François Gauthier est inspecteur général et membre du Conseil supérieur des programmes. C'est un spécialiste du socle et des curricula. Jean-Michel Zakhartchouk est membre du bureau du CRAP.

 

La triple rupture de la fin du CM2

 

"Notre projet d’école commune vise un objectif profondément républicain : faire réussir les élèves qui aujourd’hui échouent dans leur scolarité obligatoire et qui sont presque exclusivement, en France, issus des classes sociales défavorisées", affirme l'étude qui veut aussi " la promotion d’une élite plus nombreuse". Or pour les auteurs, ce qui nourrit l'échec scolaire c'est "la triple rupture en termes de contenus enseignés et de relation au savoir, de pédagogie et de relation au(x) maître(s), enfin d’éducation et de relation aux normes sociales et morales " qui se produit au moment du passage de l'école au collège.  Cette rupture est surtout pédagogique. " Passer d’un maître (dans la plupart des cas une maîtresse) polyvalent(e), conduisant toute l’année une seule classe, à des professeurs spécialisés chacun dans une discipline, imposant chacun ses préoccupations didactiques et ses exigences pédagogiques, constitue une expérience souvent difficile", affirment les auteurs. " Ce sont bien sûr les élèves les plus fragiles sur les plans émotionnel, culturel et social qui sont les plus affectés par cette triple rupture cognitive, pédagogique et éducative. Alors que l’école primaire offre aux élèves un cadre stable, un référent unique aux exigences connues, le collège attend brusquement d’eux des capacités à s’adapter à des exigences multiples, dans une permutation permanente des espaces, des temps, des personnes et des codes. Des exigences d’autant plus difficiles à satisfaire qu’elles ne sont pas toujours suffisamment explicitées ni accompagnées, encore moins mises en cohérence par un projet partagé. Il n’est pas surprenant que les élèves dont la culture familiale est la plus éloignée de la culture de l’école soient très majoritairement les laissés-pour-compte".

 

Le Snes mis en accusation

 

Comment en est-on arrivé là ? La mise en place du socle commun "a été réalisée par des gouvernants et des cadres peu convaincus". Surtout, " le seul véritable obstacle semble être l’hostilité du SNES à une réforme dont il est convaincu des effets « régressifs » par rapport à ses conceptions de la culture et à sa vision jacobine de l’organisation scolaire". Le rapport dénonce un "front du refus syndical" regroupant le Snes et " alliés de droite et d’extrême gauche réunis sur des positions conservatrices et des revendications démagogiques". Parmi les mesures proposées par l'étude figure en bonne place " ne plus survaloriser la puissance du SNES" et surtout "cesser notamment d’en faire le partenaire privilégié du ministère". La formule ressemble à un cri du coeur pour ces syndicalistes...

 

Fusionner profs des écoles et certifiés

 

"Il n'y aura pas de grand soir de l'école commune", promet Claire Krepper. Lors de la présentation de l'étude elle se veut rassurante. "Les réponses seront élaborées par les équipes pédagogiques. Ecole et collège scolarisent les mêmes élèves et font face aux mêmes défis". Pourtant les propositions de Terra Nova vont loin et visent une transformation profonde de l'Ecole. La principale c'est "fusionner le corps de professeur des écoles et celui de professeur certifié". Les obligations de service dépendraient alors du poste et non plus du corps. Interrogé par le Café pédagogique, Jean-Pierre Obin précise qu'il n'est pas question de fusionner les agrégés. La réunion des IEN et des IPR n'est pas non plus actée mais est à l'étude.

 

Et la bivalence ?

 

Est-ce à dire que Terra Nova recommande la bivalence ? Le mot n'apparait nulle part dans l'étude. "Une réforme ne peut pas se faire contre l'identité professionnelle des enseignants", explique Claire Krepper en réponse à une question du Café. "Or les études montrent qu'ils sont attachés à leur identité disciplinaire. On reste donc dans la monovalence, les disciplines permettant des ouvertures comme l'enseignement intégré des sciences au collège". Mais l'espoir de la polyvalence apparait bientôt chez JP Obin qui évoque une monovalence à partir de la 3ème... Les auteurs attendent des enseignants qu'ils fassent le choix volontaire de la bi ou de la polyvalence pour atténuer la fracture de la fin de l'école.

 

L'école commune en réseaux

 

L'étude ne recommande pas de fondre école et collège dans une même structure mais de mettre en place des "réseaux écoles-collège" constituant des unités d’enseignement et "un pilotage intégré et dynamique du développement des conseils des réseaux écoles-collège". Ecole et collège seraient confiés "à la même collectivité" territoriale. Mais laquelle ? Les auteurs restent d'autant plus prudents que les maires sont attachés à leur école et que l'avenir du département est incertain... Ce que recherchent les auteurs, plus que la fusion des structures, c'est la continuité des formations grâce aux conseils école collège institués par la loi d'orientation.

 

Comment financer cette réforme ? La plupart des mesures sont peu ou pas couteuses. Mais certaines coutent cher comme la formation continue que les auteurs veulent installer. Ils ont tenté de chiffrer le coût de l'échec scolaire pour l'Etat. Ils arrivent à une perte de 24 milliards du fait de recettes fiscales minorées par la carrière des jeunes sortant sans qualification. Une somme qu'ils invitent à investir partiellement dans la formation continue des enseignants. L'Ecole reste un investissement.

 

François Jarraud

 

L'étude de Terra Nova


Par fjarraud , le vendredi 07 mars 2014.

Commentaires

  • lncrun, le 08/03/2014 à 21:59
    Pourquoi toujours cracher dans la soupe? Le système marche-t-il si mal dans vos bahuts? Dans mon collège, classé zep, toutes les difficultés sociales, économiques, culturelles... bref un parmi tant d'autres, le système et les efforts qu'on fait marchent pour quasiment tout le monde. Certains élèves ne s'y font pas bien sûr, mais c'est toujours ailleurs qu'à l'école que se situent leurs plus gros problèmes, et les profs, ou les instits, ne peuvent pas y faire grand chose. Par ailleurs, je n'ai pas vu cette année les élèves prostrés, complètement tétanisés  et traumatisés par le passage de l'école au collège. Ils mettent quelques semaines pour s'adapter c'est vrai, mais de là à tout reprendre, je trouve cela un peu excessif.
    Ne me lisez pas mal, je ne suggère pas que tout va bien, et toute idée susceptible d'améliorer la situation doit être discutée, mais il serait peut-être temps de montrer combien l'éducation nationale fonctionne bien aussi, et qu'elle a aussi plutôt bien relevé les défis que l'école pour tous et la décolonisation lui ont lancés! 
  • cdivoux1, le 07/03/2014 à 14:41
    "Ce texte recommande la fusion des corps de professeurs des écoles et de certifiés".
    "Les obligations de service dépendraient alors du poste et non plus du corps."
    "Jean-Pierre Obin précise qu'il n'est pas question de fusionner les agrégés."

    Quelle contradiction !
    Serait-ce un think tank proche du parti ... "moi et mes amis d'abord" ?
    Comment faire confiance dans ces conditions ?
    Pas besoin d'en lire plus.

    • eplantier, le 07/03/2014 à 16:31
      Il n'y a pas de contradiction si l'on considère que les agrégés ont vocation à enseigner en lycée et dans le supérieur.

      Pas besoin d'en lire plus ? Continuez d'hiberner, pendant que l'école française est celle de la fracture.
      • bibi10, le 07/03/2014 à 18:26
        L'école est celle de la fracture depuis 10 ans :
        -depuis la suppression du nombre de postes
        -il n'y a plus assez de remplaçants qui servent à tout. Des classes pendant 3 semaines n'ont plus d'enseignant  et cela va continuer.
        -Les 60000 postes, ils sont où ?

        La fusion des professeurs des écoles et certifiés n'a qu'un intérêt : supprimer des postes encore. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'un professeur des écoles ne fera bientôt plus que des maths et du français pour plusieurs classes. Et le reste ? Donné aux collectivités tout simplement.

        Les syndicats ou mouvements réformistes seunsa, snuipp, terra nova,....ne sont là que pour mettre en place les politiques envisagées par les Madelin, Sarkozy, Hollande et Peillon maintenant . Ce sont des larves sans pensée... ils suivent...des moutons qui sont de plus en plus contre les concours et pour le clientélisme, les faveurs...
        L'élève n'est plus du tout au centre du système éducatif depuis 10 ans. Preuve en est que la réforme des programmes était la plus importante à mener, or on s'en fout. Seules les réformes structurelles comptent : rythmes scolaires pour donner l'école aux collectivités, suppression de postes, comptabilité, formation continue à distance avec quelques formateurs (1 seul pour 300 personnes et bientôt pour 10000, juste pour dire : "c'est fait"), prévisions comptables sous forme de tableaux de bord...
        • Delafontorse, le 19/06/2014 à 16:05
          Bibi, vous avez tout dit et tout compris. Merci pour votre commentaire.
  • maria1958, le 07/03/2014 à 09:32
    Pour en rester au fond du problème que Terra Nova entend traiter - les causes de l'échec scolaire et les remèdes à y apporter - on reste quelque peu sur sa faim.....

    En proposant une intégration du pilotage école-collège, c'est le modèle managerial des ECLAIR que Terra Nova entend généraliser, poussant encore un fonctionnement expérimenté par..... la droite sarkozyste.
    Terra Nova se dit de gauche, mais le problème n'est pas là: 
    on a le recul suffisant pour savoir que ce modèle managerial nuit au travail en équipe et que les performances des élèves en ECLAIR ne se sont pas améliorées, au contraire elles ont plongé. Donc quel est l'intérêt de persévérer dans une logique technocratique dont on sait déjà qu'elle ne mène à rien de bon ?

    Pour Terra Nova, LA cause de tous les maux serait une rupture jugée traumatisante entre CM2 et 6e. On en conclut que pour Terra Nova, 
    - les effectifs qui avoisinent 30 élèves/ classe, c'est pas un problème,
    - la réduction des horaires ( semaine réduite de 26h à 24h  en primaire, horaires bac pro amputés de 25% en réduisant de 4 ans à 3 ans...), c'est pas un problème,
    - les centaines d'heures de classe perdues parce qu'on n'a pas assez de profs remplaçants, c'est pas un problème,
    - les inégalités affolantes qui se sont creusées entre les écoles selon le territoire qui les finance, c'est pas un problème,
    etc
    En fait de Terra Nova, ce think tank donne plutôt l'impression de vivre sur Mars…

    Mais en gardant un silence assourdissant sur ces aspects-là de la réalité, alors qu'ils plombent le fonctionnement pédagogique au quotidien, peut-on espérer sérieusement avancer ?

    • PierreL, le 07/03/2014 à 16:50
      Le rapport de Terra Nova soulève de bonnes questions et met le doigt sur de vraies difficultés. 
      C'est une évidence! 
      Comme il faut trouver une cohérence entre les temps éducatifs de l'enfant/élève, il faut trouver les moyens de mieux "accompagner" l'élèves dans ses apprentissage mais aussi à surmonter les ruptures et notamment la plus violente, le passage de l'école au collège.
      - Le nb d'heures de cours /semaine n'est pas un problème en soi pour l'école primaire, c'est leur répartition dans la semaine  qui en pose un.
      - Les inégalités existent, mais ne sont pas toujours proportionnées aux moyens. Par exemple Paris dépense beaucoup pour ses écoles (PVP qui prennent en charge 3h30 des cours /semaine,  directeurs déchargés  à partir de 5 classes -13 dans le reste de la France...),  les résultats n'y sont pas meilleurs. L'efficacité dépend plus dee l'utilisation des moyens que de leurs augmentations dans le statu quo.
      - Il est évident que le nb d'élèves/classe est un facteur aggravant la difficulté scolaire, mais d'autres le sont tout autant et ne dépendent que de l'organisation interne du collège: le poids du cartable, le déplacement des élèves à chaque changement de cours...

      Ce sont bien nos pratiques et notre capacité à changer qui sont interrogées. 
      réformisme VS conservatisme...

    • eplantier, le 07/03/2014 à 16:32
      1958 ? Je pensais que vous étiez née avec le statut de 1950 ! ;-)

      Allons, allons, un peu d'ouverture d'esprit.

      En 1975, Haby, sous la pression, décide de prendre pour le collège le modèle du lycée (CES) contre celui de l'école fondamentale (CEG). Quarante ans plus tard, chacun constate l'échec du système et, alors que certains proposent pour avancer, le ministre recule en enterrant la refondation sous la pression (encore et toujours) de l'immobilisme qui fait que l'école reste celle de l'élite.

      Seule une révolution permettra de refonder ce pays dont la devise devient une insulte au peuple.
      • Roque, le 08/03/2014 à 14:37
        Je ne pense pas que vous ayez beaucoup de leçons à donner en matière d'ouverture d'esprit.
  • Jean Agnes, le 07/03/2014 à 07:48

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