"La cour de Babel " : Un hymne à l'école de la République 

Prenons-en de la graine ! Ils ne sont pas des élèves « comme les autres ».  Ils se prénomment Maryam, Thathsarani, Youssef, Andromeda ou Djenabou. Ils viennent de Pologne, de Côte d’Ivoire, de Chine, du Brésil ou d’Irlande du Nord… Ils ont tous connu l’arrachement à leur pays natal. Ils débarquent en terre inconnue et se retrouvent, du jour au lendemain, dans la même classe d’accueil pour apprendre le français. La cinéaste Julie Bertuccelli s’invite dans la classe durant une année scolaire. Les adolescents et leur professeure la laissent entrer et nous, spectateurs, partageons ainsi leur aventure, de l’apprentissage de la langue à la soif de connaissances, de la confrontation aux autres cultures à l’expérience de la coopération constructive. Filmés par une caméra discrète et attentive, portés par la parole ouverte et bienveillante de leur enseignante, ces filles et ces garçons, venus d’ailleurs, mus par une force morale exceptionnelle, nous donnent à voir leur foi indéfectible en l’école de la République.

 

Au fil des saisons  de la classe d’accueil, le chemin parcouru par chacun de ces élèves, nourri par l’expérience collective, incarne une « utopie en action », selon l’expression de la réalisatrice. En ces temps d’ostracisme et d’intolérance, dans une société menacée de fragmentation, « La cour de Babel », plaidoyer joyeux en faveur de l’intégration, met au jour, chez des jeunes venus de loin,  le potentiel de richesse  pour  notre pays en général et pour notre école en particulier.

 

Origines lointaines, proximités soudaines

 

Que peuvent avoir en commun le jeune serbe qui a fui la persécution de groupes néo-nazis, le garçon argentin venu étudier le violoncelle,  la libyenne en attente du droit d’asile ou la guinéenne venue retrouver sa mère ? Présentations au tableau dans leur langue, souvenirs du dernier jour au pays…Sollicités par l’enseignante, les collégiens, nouveaux arrivants en France, au collège et en classe d’accueil, exposent les conditions et les raisons de leur départ. Acceptation des origines et  prise en compte du passé et de l’histoire culturelle et linguistique de chacun comme autant de « sésames » sur les voies de la maîtrise de la langue, de la connaissance de soi et des autres, de l’épanouissement de tous. Grâce au travail pédagogique de Brigitte Cervoni, la confiance s’installe et une communauté se forme sous nos yeux.

 

Premiers plans sur les adolescents, leurs joies, leurs difficultés, leur volonté de progresser : ce sont les protagonistes ;  leur professeur, –en voix off, faite d’écoute  de respect-, demeure longtemps hors du cadre, à l’image de la relation entretenue avec ses élèves. Et cette distance permet aux enfants de prendre de l’assurance, de trouver leurs modes d’expression et d’apprentissage, de tisser des liens à travers la pratique de la langue française. On pourrait reprocher à la cinéaste de ne pas filmer les moments de « leçons » proprement dits. Elle choisit en effet de nous montrer les effets bénéfiques de cet enseignement sur la construction des savoirs et le développement des personnalités.

 

Grandes épreuves, petits miracles

 

Dans cette petite classe, grande comme la carte du monde, le quotidien exaltant, avec ses temps forts, ses soubresauts et ses rebonds, nous emporte comme un feuilleton à épisodes : la jeune africaine, à la recherche d’un bonnet oublié, finira-t-elle par surmonter sa peur et plonger dans la piscine ? Quel accueil ses camarades vont-ils réserver au chant d’Oksanna l’ukrainienne ? Le film réalisé par la classe sera-t-il récompensé lors des festivals où il est présenté ? Comment se passeront les « tests de connaissances »  à la Maison des examens ? Si nous accompagnons les élèves hors du collège à l’occasion d’événements exceptionnels, l’essentiel réside dans les « petites » batailles remportées chaque jour. Les rencontres régulières  avec la famille et les proches-reçus dans la classe-, voulues par l’enseignante, constituent, à ce titre, une fenêtre sur l’intimité des enfants, les conditions, souvent difficiles, de leur scolarisation.

 

A l’image de la méthode pédagogique, le dispositif du documentaire accueille l’inattendu comme un questionnement philosophique. A l’occasion d’une séquence où chacun est convié à apporter un objet personnel, l’un vient avec le Coran, une autre avec la Bible et un débat s’engage, vif, argumenté, mouvementé, sur les croyances, les cultures, la foi, les religions jusqu’à ce qu’une  élève lance « Dieu, on ne sait même pas s’il existe »; et Djenabou ajoute : « le monde, en fait, c’est une question ».

 

Filmer l’éclosion des élèves, monter la palpitation du vivant

 

A des années-lumière du reportage voyeuriste, Julie Bertuccelli, en immersion pendant un an, se fait oublier, observe avec respect et attention les différents « héros » en train d’écrire une histoire commune et de construire une vie, la leur. Pour aboutir à ce « film choral », un énorme travail de montage restitue les pleins et les déliés de cette aventure humaine, la palpitation du vivant, ponctuée au rythme des saisons par des plans d’ensemble de la cour du collège. Et ce montage et ses respirations mettent  au jour le pouvoir démultiplicateur du collectif : la communauté de tous les possibles dans une classe d’accueil, sa portée utopique prennent corps et voix à l’écran.

 

Evoquant les élèves, devenus sous son regard des personnes et des personnages, la cinéaste constate : « Tous sont des enfants courageux, matures, qui portent des responsabilités très lourdes et affrontent leur destin ». Nous revient alors en écho l’affirmation d’une élève : « Je suis venue en France pour être une femme libre ». « La cour de Babel » démontre, simplement, comment une classe d’accueil devient le creuset de ce désir d’émancipation et accomplit la promesse de l’école républicaine.

 

Samra Bonvoisin

 

Sortie le 12 mars 2014

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 05 mars 2014.

Commentaires

  • eplantier, le 06/03/2014 à 12:32
    Une hirondelle ne fait pas le printemps. À côté de belles réussites, le système éducatif français expose un échec collectif cuisant au regard, justement, des principes républicains, avec un renforcement des inégalités.

    Le caractère pompeux du titre apparaît donc comme fortement décalé.
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