Véronique Favre : Des tablettes en petite section, pour quoi faire ? 

Ce n'est pas l'apparition des tablettes qui a fait de Véronique Favre une grande instit. C'est plutôt le contraire. Enseignante dans un quartier populaire du nord-est parisien, si Véronique Favre sait tirer des nouveaux outils une redoutable efficacité pédagogique  c'est qu'elle ne perd pas de vue l'essentiel : travailler le langage avec ses petits élèves souvent non francophones, entretenir au quotidien le lien avec les parents, construire au quotidien sa formation professionnelle via Twitter. Tout ça toute seule. Comme une grande.

 

 C'est un peu par hasard que Véronique Favre a rencontré les tablettes. Après une vie professionnelle déjà assez longue et être passée par tous les niveaux du primaire, elle a saisi au bond, il y a trois ans, la proposition de son inspectrice et accepté un prêt qui dure maintenant depuis trois ans. Quatre tablettes ont atterri dans sa classe de petite section de maternelle, comme sait le faire l'éducation nationale : sans formation, sans accompagnement, sans même attentes institutionnelle sérieuse. Mais l'inspectrice avait choisi la bonne personne. En trois ans, Véronique Favre a acquis de l'expérience. Ce qu'elle fait elle le  partage volontiers sur son blog ou sur Twitter. Au point d'être devenue un repère quotidien et une amie pour de nombreux enseignants.

 

Tablettes et langage

 

"La tablette c'est formidable pour travailler le langage". En petite section c'est un souci prioritaire pour les enseignants. Pour V Favre ça l'est encore davantage qu'ailleurs car, dans sa classe de la rue d'Orsel, dans le 18ème arrondissement parisien, la moitié des élèves sont non francophones. Certains parlent très bien. D'autres ont du mal à aligner quelques mots corrects. La tablette permet d'apporter des ressources. Mais elle offre surtout la possibilité de créer des livres images avec les enfants. Ainsi, les enfants s'enregistrent quand ils racontent l'histoire de "Roule galette". Chaque petit groupe prend en charge une page de l'album. Chaque enfant va donner ce qu'il sait mieux faire, à la fois dans la prononciation et l'intonation. Les enfants s'enregistrent , ne gardent que le meilleur. Ils peuvent aussi en autonomie se réécouter et réentendre l'histoire. "Ils 'améliorent en écoutant leurs camarades. Ils sont aussi valorisés car cahcun participe à l'album commun, ne serait-ce que pour deux mots", nous confie V Favre. "L'album entretient une forte émulation". L'intérêt de l'album numérique c'est aussi qu'on peut le réécouter quand on veut. V. Favre fait aussi réaliser des albums à partir de photos de classe où les enfants s'expriment. La maitresse corrige la prononciation et les enfants progressent à petits pas, chacun son rythme.

 

"Evidemment, avant la tablette on faisait déjà des albums", explique V Favre. "Mais il fallait répéter avec chaque enfant. Avec la tablette l'enfant écoute et s'enregistre en autonomie. Il intervient beaucoup plus souvent. Il apprend aussi à se débrouiller sans les adultes. Et en plus ça économise la maitresse !"

 

Socialisation

 

V Favre a aussi constaté des effets dans la socialisation des enfants. Là aussi, les enfants n'ont pas attendu la tablette pour développer des relations. Mais la tablette les emmène dans le récit, dans le faire. Elle facilite la collaboration en la rendant facile. V. Favre estime qu'ils s'aident davantage et qu'ils s'alignent plus vite et plus souvent sur les meilleurs.

 

Mais la socialisation emprunte aussi des moyens traditionnels. "Avec les enfants on va au théâtre, au musée. On a la chance à Paris d'avoir énormément de ressources à portée de main. On a visité la boutique du boulanger et observé comment se fait le pain. On en a ramené quelques photos et les enfants peuvent revoir cela sur les tablettes".

 

Et les parents ?

 

Les tablettes de la classe de Véronique ne sortent pas de l'école. Comment pourraient-elles alimenter le lien avec les parents ? Véronique Favre a créé un blog protégé par mot de passe alimenté quotidiennement avec les documents numériques réalisés en classe. Les parents peuvent voir ce que font leurs enfants en classe. De fait la moitié se connecte très régulièrement et tous le font quand ils y sont invités par mail. "On rend visible ce qu'on fait en classe", explique V Favre. "Souvent les parents n'imaginent pas le travail réalisé. Ils découvrent vraiment et sont ébahis de voir que l'école maternelle est une vraie école".

 

Et les collègues ?

 

"Dans mon école, je suis une enseignante comme les autres", rappelle V Favre. L'expérimentation tablette n'apparait pas sur le site de l'école. Elle suscite d'ailleurs peu de curiosité dans l'environnement professionnel de V Favre, alors que son travail est suivi par de nombreux enseignants. "Twitter est devenu ma salle des profs idéale. J'aime apprendre et avec Twitter on échange beaucoup entre enseignants". Le seul fait de devoir raconter ce que je fais m'oblige à penser davantage mes pratiques. Et découvrir ce que font les autres remet en question tout ce qui finit par ne plus etre pensé dans la vie de la classe. Ca entretient aussi l'admiration pour le travail des autres , leur créativité". Suivie de près par des dizaines d'enseignants en France et au-delà, Véronique Favre a trouvé avec Twitter sa définition du métier d'enseignant. "Le vrai métier trouve c'est ce bouillonnement d'idées".

 

François Jarraud

 

Le blog de V Favre


Par fjarraud , le mardi 04 février 2014.

Commentaires

  • vairaunik, le 04/02/2014 à 17:04
    Merci monsieur Jarraud pour cet article très gentil sur mon travail.

    Je ne souhaite pas entrer dans la polémique que soulèvent certains des commentaires (que je respecte) (je souhaite défendre mon travail, ça oui) mais je dis simplement que ces tablettes sont des outils qui me permettent de TRAVAILLER : de diversifier, de différencier les apprentissages dès la petite section, oui.
    Ces outils technologiques cohabitent et s'intègrent à tout un matériel dit "traditionnel", qu'ils ne remplacent pas mais enrichissent (est-ce si grave ?).
    Mes élèves ne passent pas la journée devant un écran ... non ... Je suis l'adulte de la classe, responsable, et je régule, j'organise, je sélectionne, je prépare des ateliers ...
    Pourquoi vouloir nous retirer, messieurs, un outil qui nous permet de MIEUX travailler ? 

    - Je précise que le fait d'être seule au début m'a permis de m'approprier la tablette.
    On n'avait pas, il y a 3 ans, de retour d'expérience ; on explorait chacun, les possibilités qu'elles pourraient offrir. Ce n'est pas un obstacle de travailler seule si on accepte le défi ...
    Les enseignants sont désormais mieux accompagnés, parce que beaucoup ont défriché le terrain et que nous avons des usages, du recul, à partager avec eux.
    Il fallait que certains s'en emparent et diffusent.

    - Il y a bien des attentes institutionnelles, formelles, régulières (même si j'aime bien rendre compte régulièrement du travail avec un matériel qui m'est prêté avec une confiance que j'apprécie) : mes retours, nos retours de testeurs sur les expérimentions sont utiles et nécessaires pour faire avancer le numérique à l'école et l'Ecole Numérique.

    - Si si ... j'ai déposé sur le site de mon école, discrètement, quelques retours d'expérience. L'expérimentation se passe rue d'Orsel, il serait dommage que les parents ce cette école ne soient pas au courant ! ;-)

    Merci de cet espace de parole et d'échange sur un sujet qui ne fait pas (encore) l'unanimité ... 

    • jerome1q, le 04/02/2014 à 20:32
      Personne n'est contre le numérique. Les tablettes, dans tous les analyses sont critiquées et ne sont là que pour le jeu ( voire les enquête au Canada , sur la lecture numérique inefficace sur ipad ...). De plus, Apple et ses ipad à 600 ou 700 euros avec les applis à 5 ou 10 euros par ci ou par là commencent à bien faire. Nous sommes heureux d'apprendre que ces petits de deux ou trois ans se noient dans le wifi contrairement à ce que est demandé par V.Peillon. Et pourquoi pas des cartes 4G aux ipad. C'est meilleur pour leur santé.
      Bientôt à 3 mois.
      Manipuler le réel est essentiel en maternelle et en élémentaire. Ils auront bien le temps d'acheter un ipad 1022 et un iphone 5470 dans dix ans.
      • vairaunik, le 05/02/2014 à 14:36
        Avec les tablettes : ils s'entraînent, apprennent, créent / enregistrent livres et chansons, animent, imaginent, parlent, regardent, jouent aussi (je sélectionne les jeux, oui).
        Jouer à 3 ans ? quelle horreur n'est-ce pas ?
        Lecture inefficace ? justement, ils ne savent pas lire ... entendre une histoire si, et écouter une consigne orale aussi ...
        Pas de wifi : mode avion en classe. Ah mais zut les bornes des immeubles alentour et les smartphones des parents ... comment faire ?
        Avec un peu de temps consacré à son travail, j'ai réussi à avoir de nombreuses applications passées gratuitement temporairement. Les prix varient de 0,79€ à 4,49€. Le dernier livre de bibliothèque acheté à la librairie à côté 17,10€ ... alors j'ai un caddie de 40 livres de la bibliothèque municipale pour 4 semaines.
        Oui, monsieur, ils manipulent le réel, chaque jour, croyez-moi, ils jouent avec du vrai bois, du joli plastique et font rouler des autos, de l'encre qui tâche et de l'acrylique qui salit les doigts (et pas que les doigts), ils versent même parfois de la farine, de la semoule ... 
        Non monsieur, nous ne sommes pas des enseignants irresponsables ...

        Quant au prix des iPads voyons longévité, solidité, fiabilité et le prix d'une simple armoire au catalogue de la ville.
  • jerome1q, le 04/02/2014 à 13:23
    voir article récent du café pédagogique

    Arrêtez avec vos tablettes en maternelle, élémentaire.... toutes les études montrent qu'elles ne servent qu'à jouer et envoyer 2 mails comme un smartphone. On est en mode consommation.
  • EricV, le 04/02/2014 à 13:08
    Lisez-la ! Le blog relate une expérimentation menée de façon mesurée et sensible au devenir des enfants. Tout le contraire de ce qu'on pourrait appeler une monoculture numérique. C'est une bonne contribution à l'indispensable réflexion sur les usages pédagogiques des tablettes numériques dans ces classes et les autres aussi bien. Et il y a de l'intérêt dans les activités décrites qui ne viennent pas supplanter toutes les autres, mais les complètent.
    • vairaunik, le 04/02/2014 à 17:08
      Merci beaucoup de prendre la défense du numérique à l'école, ici à l'école maternelle : vous avez tout (bien) dit ! 
  • tchabel, le 04/02/2014 à 09:59
    Je suis assez  d'accord avec Franck059.
     Bien sûr que les tablettes sont un outil riche de possibilités mais à réserver à mon avis au primaire. Les jeunes enfants ont besoin d'autre chose que d'écrans!
     Et avant tout: de s'ébrouer dans la vraie vie, de parler avec de vrais gens, de manipuler de vraies choses avant d'être plongé dans un monde virtuel. Ils y seront bien assez vite...
  • Franck059, le 04/02/2014 à 07:34
    Confronté à la multiplicité des écrans (télévision, ordinateurs, smarphone et maintenant tablettes), la plupart des élèves dont le manque de concentration est évident, risquent fort de devenir, pardonnez-moi l'expression, des "agités du bocal". Et c'est l'Education Nationale qui montre l'exemple en introduisant très tôt ces outils présentés comme innovants et révolutionnaires (c'est d'ailleurs ainsi dont on parlait de la télévision dans les années soixante, on en mesure les dégâts aujourd'hui). Une récente étude de la DEPP prouve (comme s'il était encore nécessaire de le prouver !) que le recul des résultats scolaires des collégiens et lycéens s'explique par l'utilisation excessive de ces écrans.
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