PISA et les mathématiques : Tout ne doit pas être rapporté aux programmes, mais tout ne doit pas y échapper… 

Que nous disent les résultats de la dernière enquête PISA concernant les mathématiques ? Comment les interpréter ? Comment remonter aux causes possibles de la situation constatée ? Quelles mesures peuvent être envisagées pour l’améliorer ? Il convient tout d’abord d’être conscient de la complexité de ces questions et d’éviter de s’aventurer vers des réponses simplistes ou limitées.

 

Le constat

 

La performance des élèves de 15 ans, en France, se situe au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE. Le document de synthèse (Principaux résultats de l’enquête PISA 2012) fait apparaître que la France se situe également au niveau de la moyenne de l’OCDE pour le pourcentage d’élèves peu performants et pour le nombre d’élèves très performants.

 

Depuis 2003, cette performance s’est dégradée passant de 511 points à 495 points (soit une baisse d’environ 3 %, ce qui relativise les termes catastrophistes utilisés pour la décrire). Il faut ajouter que la plus grande partie de cette baisse est à rapporter à la période 2003-2006.

 

La dégradation est due, pour l’essentiel, à l’augmentation importante du nombre d’élèves en difficulté et qui sont situés sous le niveau 2 de compétence (sur une échelle de 6 niveaux) caractérisé ainsi « Les élèves peuvent interpréter et reconnaître des situations dans des contextes qui leur demandent tout au plus d’établir des inférences directes. Ils ne peuvent puiser des informations pertinentes que dans une seule source d’information et n’utiliser qu’un seul mode de représentation. Ils sont capables d’utiliser des algorithmes, des formules, des procédures ou des conventions élémentaires. Ils peuvent se livrer à un raisonnement direct et interpréter les résultats de manière littérale » (document Cadre d’évaluation et d’analyse du cycle PISA 2012).

 

La France figure parmi les pays où les élèves ont le moins confiance en eux pour ce qui concerne leurs compétences en mathématiques. La France est également le pays où les élèves font le moins preuve de persévérance, plus d'un élève sur deux abandonnant rapidement face à un problème à résoudre.

 

En résumé, la France est un « élève moyen » dont les performances en mathématiques sont plutôt en baisse, notamment du fait d’une augmentation du nombre d’élèves en difficulté et  d’un creusement des écarts entre les élèves très performants et les élèves peu performants (pour reprendre les termes utilisés dans la note citée précédemment) et sans doute du fait aussi d’une anxiété et d’un manque de persévérance des élèves plus forts qu’ailleurs.

 

L’interprétation, les causes possibles

 

L’étude PISA met en évidence la corrélation entre le milieu socio-économique et la performance et l’implication des élèves, plus marquée en France que dans d’autres pays de l’OCDE. Si on note que les inégalités sociales se sont fortement aggravées entre 2003 et 2012, on peut trouver là un facteur explicatif de la diminution des performances des élèves. D’un côté, cette analyse peut conduire à dédouaner l’école de la responsabilité du recul constaté ; d’un autre côté, elle interpelle son incapacité à compenser ces inégalités et à apporter à ces élèves l’éducation mathématique dont ils ont besoin et, par là, à leur ouvrir les mêmes perspectives qu’aux élèves plus favorisés.

 

Un autre facteur explicatif pourrait se trouver dans la nature des épreuves proposées. Pour avancer sur ce terrain, il faut préciser que PISA se propose d’évaluer dans quelle mesure les élèves sont capables d’utiliser des mathématiques pour résoudre des problèmes en contexte, celui-ci pouvant être personnel (activités courantes), professionnel (monde du travail), sociétal (vie collective) ou scientifique (science, technologie). Pour résoudre les problèmes proposés (sous forme écrite), les élèves peuvent être amenés à « formuler des situations de façon mathématique » (25 % environ des points attribués), à « employer des concepts, faits, procédures et raisonnements mathématiques » (50 % environ des points attribués) ou à « interpréter, appliquer et évaluer des résultats mathématiques » (25 % environ des points attribués). Cela avec trois catégories d’items : à réponse construite ouverte, à réponse construite fermée et à choix multiple. Enfin, il faut ajouter que « les élèves peuvent utiliser une calculatrice pour répondre aux épreuves papier-crayon si c’est d’usage dans leur établissement ».

 

Toutes les épreuves sont basées sur des supports écrits (textes, illustrations, schémas…), ce qui sollicite des compétences dans le domaine de la maîtrise de la langue. Pour comprendre et résoudre un problème, il faut d’abord lire et comprendre l’énoncé et en extraire les données utiles. On aimerait connaître la part d’élèves qui sont arrêtés par des difficultés dans ce domaine avant même de pouvoir engager un travail mathématique. Mais il est très difficile de discerner ces difficultés liées à la maîtrise de la langue de celles qui sont spécifiques des mathématiques, autrement dit de déterminer quelle proportion d’élèves est en difficulté du fait de difficultés en lecture et non en mathématiques.

 

Les épreuves concernent la résolution de problèmes. Elles ne sont pas destinées à évaluer les connaissances des élèves, mais ce qu’ils sont capables de faire avec ce qu’ils ont appris dans des situations spécifiques rapidement décrites plus haut. Les élèves français, à l’école primaire comme au collège, sont-ils préparés ou entraînés à utiliser ce qu’ils savent dans des situations inédites, ouvertes demandant de faire preuve d’initiative ? Du côté de l’école primaire, la référence à ce type de problèmes a disparu avec les programmes de 2008 et sa pratique n’était pas très fréquente auparavant. Beaucoup d’élèves ne sont donc pas familiers de ce type de tâches, les problèmes qu’ils ont rencontrés étant le plus souvent des problèmes d’application du cours précédent.

 

Dans cette optique, il faut aussi interroger l’image que les élèves se sont façonnés du travail scolaire, largement façonnés par les types d’évaluation mis en œuvre. L’évaluation est plus souvent là pour sanctionner la réussite ou l’échec que pour orienter l’enseignement, préciser les processus didactiques ou les aides à apporter aux élèves. L’erreur est plus fréquemment faute qu’indicateur à portée didactique. Les évaluations nationales mises en place ces dernières années au CE1 et au CM2 n’ont fait qu’aggraver cette situation, destinées qu’elles étaient à vérifier qu’un programme infaisable était fait malgré tout (et même terminé en janvier pour le CM2 !). Pas étonnant alors que nos élèves soient plus que d’autres anxieux et facilement déstabilisés par la nouveauté, plus enclins à essayer de deviner la réponse attendue que celle qui résulte d’une investigation. En matière d’évaluation, l’institution se doit de donner l’exemple… en distinguant les propositions destinées à aider les enseignants à faire le point avec leurs élèves (donc destinées à la classe) et celles qui sont destinées à faire un état des lieux des acquis des élèves français (donc destinées à l’institution).

 

Mais, prenons garde. Il serait trop facile, à partir de là, de se réfugier derrière ces arguments et notamment derrière celui qui consiste à affirmer que les élèves français ne réussissent pas aux épreuves PISA parce qu’ils ne sont pas préparés à ce type d’épreuves. Mieux vaut se demander si les épreuves PISA sont représentatives de ce qu’on peut attendre d’un élève au terme de sa scolarité obligatoire. Même si ces épreuves ne sont pas exemptes de défauts, les finalités qui guident leur élaboration ne peuvent être que reconnues : « La culture mathématique est l’aptitude d’un individu à formuler, employer et interpréter des mathématiques dans un éventail de contextes, soit de se livrer à un raisonnement mathématique et d’utiliser des concepts, procédures, faits et outils mathématiques pour décrire, expliquer et prévoir des phénomènes. Elle aide les individus à comprendre le rôle que les mathématiques jouent dans le monde et à se comporter en citoyens constructifs, engagés et réfléchis, c’est-à-dire à poser des jugements et à prendre des décisions en toute connaissance de cause ».

 

Et il faut bien alors interroger l’enseignement donné aux élèves, les programmes scolaires et leur mise en œuvre ainsi que les moyens fournis aux enseignants pour cela, la formation et les outils professionnels.

 

La question des programmes est importante… et d’actualité. Si le programme est trop lourd, si le volume des connaissances à faire acquérir par les élèves est trop important, au terme de l’année l’enseignant aura peut-être « bouclé le programme », mais combien d’élèves en auront acquis véritablement l’essentiel ? Comment les élèves qui rencontrent des difficultés sur tel ou tel point auront-ils pu être aidés ? Comment le temps d’acquisition (variable d’un élève à l’autre) aura-t-il pu être pris en compte ? Comment aura-t-on pu revenir sur des apprentissages ratés ? Comment aura-t-on pu mettre en place cette démarche spiralaire souvent recommandée ? Si certaines connaissances sont inadaptées pour des élèves d’un âge donné, comment en assurer le minimum de compréhension qui en conditionne la maîtrise ? Comment éviter de mettre en place des techniques fragiles parce qu’elles sont incomprises ? En mathématiques, peut-être plus qu’ailleurs, perdre le fil de la compréhension pour une notion donnée c’est souvent perdre la possibilité de pouvoir continuer à apprendre.

 

Parmi les causes possibles des résultats des élèves français, tout ne doit pas être rapporté aux programmes, mais tout ne doit pas y échapper. Quelques points d’achoppement sont fréquemment mentionnés pour l’école primaire. Pour se limiter au domaine numérique, citons en quelques uns.

 

L’importance première de la résolution de problèmes, comme finalité et comme moyen des apprentissages, et cela d’au moins deux points de vue. Le premier point de vue est qu’il faut familiariser très tôt les élèves avec une démarche d’investigation en mathématiques, leur apprendre à chercher au sens d’affronter une situation et de mettre en œuvre des stratégies (faire des essais et les organiser, faire des hypothèses, faire des déductions, partir des données ou partir de la question pour déterminer des étapes de résolution…) et des outils mathématiques pour en venir à bout. Le deuxième point de vue est que ce qu’on appelle le sens des opérations relève d’un apprentissage structuré, que, par exemple, il n’est pas naturel pour un élève de CE1 de considérer que la soustraction permet de trouver ce que Pierre possédait avant de gagner 18 billes et d’en avoir maintenant 54. Trop d’élèves donne un sens limité à chaque opération (par exemple, pour la soustraction, ce qui reste après une perte).

 

La nécessité d’une bonne aisance en calcul mental (sous le double aspect de la mémorisation et du calcul raisonné). Elle conditionne évidemment les compétences en calcul posé (et on sait combien il est néfaste d’inverser les priorités dans ce domaine), mais elle influence aussi la capacité à résoudre des problèmes aussi bien dans le choix des calculs à réaliser que dans leur exécution (le travail sur la proportionnalité en est un exemple) et elle est déterminante pour l’apprentissage de notions numériques nouvelles qui sont toujours d’abord étudiées avec des petits nombres. Comme tout apprentissage mathématique, celui du calcul mental est le résultat d’un travail axé sur la compréhension et d’un travail axé sur l’entraînement. Le seul entraînement risque d’être stérile s’il n’est pas adossé à des points d’appui solides qui concernent notamment la structuration des nombres. Celle-ci revêt un triple aspect : la structuration arithmétique qui débute par les combinaisons des très petits nombres articulées avec des figurations (la relation « plus un » ou « moins un » avec le suivant et le précédent, les doubles jusqu’à 10, les décompositions avec 5, les compléments à 10…), la structuration liée à la numération décimale (décompositions du type 23 = 20 + 3), la structuration liée à l’ordre et en particulier la suite des nombres qui permet une autre illustration du fait que de 7 à 10, il y a 3 parce que 10 c’est 3 après 7.

 

La compréhension en profondeur de notre système positionnel et décimal d’écriture des nombres en chiffres (des nombres entiers d’abord puis des nombres décimaux). C’est un autre savoir fondamental. De sa compréhension dépendront la compréhension et la maîtrise de la manière dont est organisée la suite des nombres, celle des procédures de comparaison des nombres, celle des techniques de calcul posé, celle des procédures de calcul mental, celle de la multiplication d’un nombre par 10, 100…, celle du système métrique…

 

Quelques orientations possibles… dont les programmes seraient une clé de voûte.

 

L’ambition d’un programme ne se caractérise pas par le volume des connaissances et des compétences à maîtriser, mais par le fait que celles qui y sont inscrites peuvent être acquises dans le temps scolaire imparti, en laissant aux élèves le temps nécessaire pour maîtriser les savoirs les plus fondamentaux, ceux dont une bonne maîtrise, "en profondeur", est indispensable à tout progrès en mathématiques. Un « bon programme » devrait donc pointer ces savoirs structurants (ceux qui conditionnent l’acquisition d’autres savoirs) et ensuite distinguer les connaissances indispensables de celles qui sont moins importantes au niveau considéré. C’est une des conditions de prévention des difficultés en mathématiques ou de traitement de ces difficultés lorsqu’elles apparaissent. Ce travail de hiérarchisation ne peut pas être laissé à la seule charge des enseignants.

 

Le programme est fait d’abord pour les élèves. Ses auteurs doivent donc se demander s’il est ou non raisonnable de proposer tel apprentissage à tel niveau de la scolarité. D’expérience, les enseignants savent par exemple qu’il est illusoire de vouloir faire apprendre une technique de calcul posé de la soustraction au CE1, en assurant un minimum de compréhension aux élèves. Il suffit d’ailleurs d’analyser les acquis préalables nécessaires à la compréhension des diverses techniques possibles pour comprendre ce fait. Au CE2, cela devient plus raisonnable. Cet exemple souligne qu’il faut aussi faire confiance à l’expérience des enseignants pour éviter certaines chausse-trappes. En sachant également que, mises en place prématurément et de façon purement mécanique, les techniques de calcul posé risquent de devenir des obstacles au développement de stratégies de calcul mental dont le caractère primordial a été souligné.

 

Le programme doit être marqué par la continuité des apprentissages proposés du début de l’école primaire jusqu’à la fin du collège. De ce point de vue, il faut remettre en cause fondamentalement les programmes de 2008, en particulier ceux du cycle 3 qui ont inscrit pour ce niveau plusieurs notions mathématiques qui sont ensuite entièrement reprises en classe de Sixième et, pour certaines même, en classe de Cinquième.

 

Le programme doit précisé ce qui est réellement attendu à un niveau donné. Donnons deux exemples dans le programme de 2008.

 

Au CE1, il est indiqué « Résoudre des problèmes relevant de l’addition, de la soustraction et de la multiplication». Les travaux de Gérard Vergnaud ont mis en évidence la très grande variété de ces problèmes et, pour une même opération, le fait qu’ils sont de difficulté extrêmement diverse. L’enseignant serait fortement aidé si on lui indiquait quels types de problèmes relevant par exemple de la soustraction doivent être proposées au CE1 et, selon les cas, si on en attend une résolution à l’aide de la soustraction ou seulement une résolution personnelle faisant appel à d’autres outils mathématiques.

 

Au CM2, il est indiqué « Résoudre des problèmes relevant de la proportionnalité et notamment des problèmes relatifs aux pourcentages, aux échelles, aux vitesses moyennes ou aux conversions d’unité, en utilisant des procédures variées (dont la “règle de trois”) ». Consultant les programmes de collège, l’enseignant de CM2 y lit que les pourcentages sont enseignés en Sixième, en Cinquième et en Quatrième et que la règle de trois n’est mentionnée qu’en Cinquième. Il se demande alors légitimement ce qu’il doit enseigner à ses élèves… Le flou des programmes peut entraîner leur alourdissement…

 

Pour conclure, un programme ambitieux doit viser l’acquisition d’une culture mathématiques, faite de connaissances, de compétences, d’aptitudes à investiguer, raisonner pour juger, choisir et décider…

 

Roland Charnay

 

Chercheur en didactique des mathématiques et responsable scientifique de la plateforme « Télé formation mathématiques »

 

Par fjarraud , le mercredi 11 décembre 2013.

Commentaires

  • Franck059, le 11/12/2013 à 12:13
    Il est bien vrai que la rédaction des programmes de 2008 du cycle 3 en regard de ceux du collège relevait bien souvent de l'hérésie.
    Par exemple, la mise en oeuvre de la proportionnalité peut se traiter de multiples façons : par additivité, en utilisant un coefficient de proportionnalité, en utilisant un coefficient de linéarité, en revenant à l'image de l'unité, en utilisant une règle de trois. 
    J'ai toujours été effaré de voir des élèves de 6ème utiliser une règle de trois comme une recette, sans en connaître le sens et de toute façon en se trompant une fois sur deux pour cause d'avoir mal dressé le tableau de proportionnalité ! La moindre des choses aurait été de laisser aux enseignants du collège la mise en place des procédures expertes. Non pas que les professeurs des écoles n'en soient pas capables, mais parce que les capacités cognitives des écoliers n'ont pas atteint la maturité nécessaire.
    De même pour les aires et périmètres : de bons élèves de 6ème connaissent les formules !!! Mais le sens véritable ? Rarement d'où confusion souvent entre aire et périmètre, confusion aussi entre unités de longueur, d'aire et de volume. On pouvait se contenter en primaire de faire émerger les notions de périmètre, d'aire et de volume. Une fois ces notions bien assimilées (et il faut du temps !), on peut au collège passer derrière pour établir les formules qui permettront de gagner en efficacité.
    L'aire du disque et du triangle quelconque au primaire est un autre exemple d'absurdité...

  • Viviane Micaud, le 11/12/2013 à 10:40
    Il est normal que des élèves qui n'ont pas eu d'entraînement à des exercices "type PISA" se découragent plus facilement et aient des résultats moindres. 
    Ce que PISA appelle la culture "mathématique" fait bien partie des fondamentaux pour se débrouiller dans la vie. L'utilisation des quatre opérations et des proportions dans la vie de tous les jours doit bien faire partie du socle de connaissance.
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