PISA : Pierre Merle : Pourquoi les inégalités françaises ? 

"Pour expliquer les inégalités de compétences scolaires entre élèves, une erreur classique est de se focaliser uniquement sur l'élève en difficulté. Le problème viendrait de l'élève : il n'aurait pas la « bonne culture », le bon « rapport au savoir »… Ou bien, l'élève en difficulté ne bénéficierait pas de « bons parents » ou de « bons enseignants »… ces explications ont le tort d'évacuer les explications structurelles des difficultés scolaires des élèves faibles conformément à l'aphorisme de Bachelard ce que l'on croit savoir occulte ce que l'on devrait savoir". Sociologue, auteur d'ouvrages sur la ségrégation scolaire, Pierre Merle décrypte pour nous le principal enseignement de PISA : la montée des inégalités. Il propose des solutions mais marque aussi un certain pessimisme sur la capacité de l'école française à se réformer.

 

Les résultats 2012 de l'enquête PISA (Programme for International Student Assessment) délivrent un message désormais habituel. L'école française est sur une mauvaise pente : le niveau baisse et les inégalités montent. Pour comprendre la situation actuelle, il est nécessaire de présenter les données chiffrées essentielles pour cadrer la situation actuelle de l'école française par rapport aux autres pays de l'OCDE. Il faut aussi s'interroger sur l'essentiel. Pourquoi cette dégradation lente de la situation des élèves français ? Pourquoi, dans d'autres pays, les évolutions observées sont exactement contraires : le niveau monte et les inégalités baissent.

 

La baisse des compétences des élèves en cultures mathématique et scientifique

 

Dans le cadre de PISA, la mesure des compétences des élèves se réalise, à 15 ans, dans trois domaines de compétences : culture mathématique, compréhension de l'écrit, culture scientifique. L'année 2012 a été spécifiquement consacrée à l'enseignement des mathématiques. Une première façon de considérer les performances des élèves d'un pays consiste à classer ceux-ci en trois groupes. Ceux dont les performances sont supérieures à la moyenne des pays de l'OCDE ; ceux qui sont en dessous ; ceux qui sont dans la moyenne. Il existe un lien structurel global entre le niveau de développement d'un pays et les performances de ses élèves. A ce titre, les élèves français devraient se situer dans le groupe des pays dont les élèves sont, en moyenne, les plus performants. Cette situation n'est vérifiée que pour la compréhension de l'écrit encore que, en 2012, le score des élèves français (505 points) soit bien éloigné de celui des élèves les plus performants, par exemple les élèves japonais (538 points), et très proche du score des élèves qui se situent dans la moyenne des pays de l'OCDE tels que le Royaume-Uni (499) ou le Danemark (496).

 

Par contre, en culture mathématique, les élèves français ont, depuis 2003, progressivement rejoint le groupe des pays intermédiaires avec un score de 495 points. Les scores des élèves les plus performants sont bien supérieurs : 573 points à Singapour ou 536 points au Japon. Les élèves français sont aussi devancés par une bonne part de leurs voisins européens tels que les suisses (531 points), les néerlandais (523), les polonais (518), les allemands (514). En culture scientifique, les élèves français se situent également dans la moyenne de l'OCDE.

 

Les inégalités solaires : le record français

 

La limite d'une analyse en termes de moyenne et de classement des pays est de cacher les écarts de compétences des élèves autour de la moyenne nationale et le niveau des inégalités scolaires. La baisse du niveau moyen des élèves en mathématiques peut résulter de trois évolutions éventuellement combinées entre elles : une baisse égale du niveau de l'ensemble des élèves, une diminution de la proportion des bons élèves, une augmentation de celle des élèves faibles. C'est cette troisième dynamique qui explique la baisse du niveau de compétences en mathématiques. Une telle évolution signifie que la baisse du niveau résulte d'un échec spécifique de l'école française à l'égard des élèves en grande difficulté scolaire. Ceux-ci sont constitués de deux catégories qui se recoupent en partie : les enfants immigrés, les enfants des catégories populaires.

 

En termes d'inégalités scolaires, les résultats PISA 2012 sont explicites. En France, les élèves issus de l’immigration ont des scores inférieurs de 37 points à ceux des élèves autochtones de même origine sociale, soit presque l’équivalent d’une année d’étude. A titre de comparaison, cet écart n'est que de 27 points, en moyenne, dans les pays de l’OCDE. L'effet de l'origine sociale est également particulièrement marqué en France. La baisse d’une unité de l’indice PISA de statut socio-économique d'un élève entraîne une baisse moyenne de son score en mathématiques de 39 points dans les pays de l’OCDE et de 57 points en France, soit la baisse la plus marquée de tous les pays de l’OCDE. La conclusion est incontestable. Dans l'OCDE, le système éducatif français est celui dans lequel le poids de l'origine sociale influence le plus sûrement le destin scolaire. Cette situation est paradoxale tant la référence à la méritocratie est fréquente dans les discours sur l'école.

 

Une explication structurelle de compétences faibles et d'une inégalité scolaire forte

 

Pour expliquer les inégalités de compétences scolaires entre élèves, une erreur classique est de se focaliser uniquement sur l'élève en difficulté. Le problème viendrait de l'élève : il n'aurait pas la « bonne culture », le bon « rapport au savoir »… Ou bien, l'élève en difficulté ne bénéficierait pas de « bons parents » ou de « bons enseignants »… Ces explications ordinaires ne sont pas toutes inexactes mais présentent trois limites. D'abord, une partie d'entre elles sont difficiles à valider. Elles ne sont que des conjectures, des idées générales plus que des faits scientifiques. Ensuite, ces explications ont le travers de désigner des boucs émissaires : l'élève est inadapté faute d'un « bon rapport au savoir » ; le professeur n'est pas suffisamment capable de comprendre la difficulté scolaire ; les parents ne sont pas mobilisés, etc. Ce n'est pas la désignation plus ou moins implicite de coupables qui peut fonder une politique éducative. Enfin, ces explications ont le tort d'évacuer les explications structurelles des difficultés scolaires des élèves faibles conformément à l'aphorisme de Bachelard ce que l'on croit savoir occulte ce que l'on devrait savoir.

 

Parmi les explications structurelles des inégalités scolaires et des différences de compétences des élèves selon le pays, il est possible d'en retenir une particulièrement classiques. Elle est connue notamment par les préconisations de l'OCDE qui indique que « L'un des meilleurs moyens de parvenir à l'équité [est] d'adopter des politiques qui améliorent l'inclusion verticale et horizontale [c'est-à-dire qui réduisent la ségrégation inter-filière et intra-établissement] ». En Europe, suite aux premières évaluations de PISA 2000, il existe deux pays qui ont mené une politique d'inclusion pour améliorer leur système scolaire initialement moyennement performants : l'Allemagne et la Pologne. A partir de 2000, l'Allemagne a réduit la place des filières de scolarisation courtes et de relégation (Realschule, Hauptschule, Förderschule) au profit d'une scolarité commune des élèves dans des Gesamtschule, incluant parfois les élèves du Gymnasium. La Pologne a suivi une politique de même type avec la création d'un collège unique (un gimnazjum équivalent d'un lower secondary) et une orientation en lycée repoussée d'un an. L'effet positif d'une scolarité commune et indifférenciée des élèves tient à l'existence d'effets de pairs. Concentrer tous les élèves faibles dans les mêmes classes suscite le découragement et la démobilisation. A contrario, l'hétérogénéité sociale et académique favorise les ambitions scolaires et professionnelles des élèves faibles sans diminuer celles des bons élèves des catégories aisées. En Allemagne et en Pologne, la politique d'inclusion a produit rapidement des effets bénéfiques : augmentation du niveau et baisse des inégalités.

 

Des contre-modèles : les écoles française et suédoise

 

Depuis 2000, contrairement à l'Allemagne et la Pologne, la France est globalement restée sur les mêmes politiques éducatives : la promotion du « collège pour chacun » ; une politique de labellisation des établissements (Education Prioritaire, ECLAIR…) stimulant les stratégies de choix des établissements par les familles ; une multiplication des options sélectives, notamment les sections linguistiques, qui différencie de plus en plus les établissements ; une gestion de l'affectation des élèves qui laisse à l'enseignement privé la possibilité de choisir ses élèves et favorise les phénomènes ségrégatifs. L'école suédoise est un contre-modèle particulièrement instructif. Elle s'est éloignée du modèle nordique du collège unique pour favoriser le développement des écoles privées et la différenciation des cursus. L'essentiel n'est-il pas de permettre le choix individuel et de s'adapter à la diversité des élèves ? Ces politiques éducatives sont contreproductives et pénalisent les élèves qu'elles sont censées aider. Depuis 2000, les écoles suédoise et française connaissent des dynamiques comparables : baisse du niveau et inégalités croissantes.

 

Les résultats PISA et les comparaisons internationales ont le mérite de faire connaître les politiques éducatives efficaces et équitables, ainsi que le rôle central de la mixité académique et sociale des classes et des établissements qui demeure, en France, une question taboue. De fait, aucune mesure régulière du niveau de mixité n'est réalisée par le ministère et, chacun le sait, pour résoudre un problème, il faut d'abord le reconnaître comme tel… Les politiques éducatives structurelles menées en Europe avec succès pourraient inspirer des pays qui, tels la France, peinent à repenser réellement leur système éducatif.

 

Pour freiner le déclin de l'école française, faute de repenser la structure, il serait possible de mettre en œuvre des politiques simples dont l'efficacité est avérée. Dans une recherche particulièrement solide, Piketty et Valdenaire ont montré que la baisse du nombre d'élèves par classe dans les établissements de l'Education prioritaire augmenterait sensiblement les progressions de ces élèves. Avantage considérable pour l'époque, cette réduction de l'effectif moyen par classe peut se réaliser à coût constant en augmentant d'un élève par classe l'effectif des classes dans les établissements situés hors établissement. Cette augmentation n'exerce pas d'effet sur la progression de ces élèves.

 

Mais qu'il s'agisse d'une modification de la structure des enseignements, des politiques de labellisation des établissements, de la profusion des sections et options de surcroît couteuses ou de la réduction du nombre d'élèves dans les classes des établissements de l'éducation prioritaire, un problème central de l'école française et de ses acteurs tient à la difficulté à penser et à mener le changement tant la tendance ordinaire d'une organisation est de réaménager les politiques passées plutôt que de les refonder.

 

Pierre Merle

 

Quelle réforme de l'école ?


Par fjarraud , le jeudi 05 décembre 2013.

Commentaires

  • Viviane Micaud, le 05/12/2013 à 09:33
    Je ne suis nullement convaincue par ces propositions. 
    En effet, les trois problèmes qui expliquent l'échec scolaire sont :
    - les harcèlements des élèves entre eux et la stigmatisation dans nombreux établissements des jeunes qui s'investissent dans l'effort scolaire (ceux qui ne sont pas soutenus par leur famille abandonnent).
    - la méconnaissance par les enseignants de primaire de la variété des mécanismes cognitifs d'apprentissage des fondamentaux par les enfants (lecture, calcul, expression) à cause de la doctrine de "non-apprentissage" de ceux-ci de manière à garder la connaissance utile aux bureaucrates (phénomène bien connue de la bureaucratisation en sociologie des organisations). 
    - les programmes et modes de contrôles associés en 5ème, 4ème et 3ème qui font que les enfants qui maîtrisent insuffisamment la lecture et l'expression écrite ne peuvent pas les réussir, quels que soient leurs efforts.
    A part la diminution du nombre d'élèves par classe aucune des propositions n'apporte une solution à ceci. Quant à reculer d'un an l'orientation, il s'agit d'une proposition contreproductive. Pour les 10% des élèves qui sont noyés dans des cours dont ils ne peuvent pas tirer parti, qui n'apprennent quasiment rien et dont l'estime de soi se détruit peu à peu, la proposition de "les garder un an de plus dans cette situation" est évidemment une stupidité qui ne peut qu'augmenter le taux de décrochage. J'ajoute que celles et ceux que vous proposez de garder en situation de souffrance un an de plus ne s'appelle pas Anne-Charlotte ou Pierre-Henri. 
    • Franck059, le 05/12/2013 à 15:54
      Pierre Merle parle de problèmes d'ordre structurel avant tout. Ce sont des recommandations de l'OCDE suite aux évaluations PISA. En effet, l'OCDE ne se contente pas d'évaluer, elle analyse très finement. Des pays qui ont pris en compte ces recommandations -l'Allemagne ou la Pologne par exemple - ont progressé. Bien entendu qu'il faut agir au niveau pédagigique, mais ce sont tous les leviers qui doivent être activés et donc ceux qui touchent à la structure AUSSI. En effet, par le passé, beaucoup de moyens ont été alloués aux établissements étiquetés ZEP, RAR, ECLAIR, sensibles) sans amélioration notoire des résultats pour autant ! La France n'a pour l'instant absolument pas tenu compte des recommandations PISA (je rappelle qu'augmenter le salaire des enseignants est aussi une recommandation de l'OCDE) et figure en fin de classement dans les inégalités scolaires, c'est cela la véritable claque. Honnêtement, je ne pense pas, d'après les réactions que j'observe autour de moi, qu'il y ait une volonté de diminuer la ségrégation intra-établissement et/ou inter-établissement....
  • Franck059, le 05/12/2013 à 07:42
    Superbe analyse pleine de bon sens :
    - En finir avec la labellisation des établissements, ce qui les stigmatise et oriente le choix des parents
    - En finir avec une orientation précoce en filière courte démotivante pour les élèves
    - En finir avec les sections d'élite (Euro, bilangue, théâtre, ateliers scientifiques, ...) coûteuses et inefficaces
    - En finir surtout avec la ségrégation de l'enseignement privé qui choisit ses élèves ! SUJET TABOU !!!
    - Diminuer le nombre moyen d'élèves par classe dans les secteurs socialement défavorisés

    Les 1er, 2ème et 5ème points ci-dessus sont des objectifs atteignables. Les 3ème et 4ème points sont tabous en France tant auprès des enseignants que des parents. Ce qui me fait croire qu'on en a pas fini en France avec la ségrégation par l'élitisme. 


    • Viviane Micaud, le 05/12/2013 à 09:43
      Personnellement je pense que la persistance de fortes inégalités scolaires en France provient d'un groupe de personnes qui se sont mis d'accord sur des diagnostics faux et qui cherchent à imposer une "pensée unique". 
      La négation de la souffrance des enfants aujourd'hui noyés dans des cours dont ils ne peuvent tirer parti est le principale moteur de l'incapacité de trouver des solutions qui permettent à tous les enfants de progresser.
      Les rumeurs fausses qui font croire qu'à "compétence égale un enfant aurait moins de chance de réussir les formations les plus sélectives" entraînent une auto-censure qui explique la plus grande partie des discriminations sociales dans les formations sélectives. 
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