Tisseron : L’enfant, l’école et l’enseignant transformés par le numérique 

Comment le numérique bouleverse-t-il tous nos repères et nos rapports au monde et aux autres ? Invité de l'Université d’Automne du Snuipp, Serge Tisseron, psychiatre, directeur de recherche à Paris 7, a réaffirmé son engagement pour offrir aux enfants, dès la maternelle, une véritable éducation aux images et au virtuel, dans la lignée de la campagne qu’il a lancée il y a quelques mois, « 3-6-9-12 : maîtrisons les écrans ».

 

Culture du livre, culture des écrans : une indispensable complémentarité

 

Incontestablement, l’Internet et le numérique sont venus bouleverser les repères traditionnels dans la société : tout le monde s’est emparé du numérique, cet outil a un succès énorme et on l’oppose régulièrement à la culture de l’écrit, qui se perdrait par substitution de la culture de l’image. Plutôt que de les opposer, Serge Tisseron préfère montrer en quoi elles peuvent être complémentaires et associées, notamment dans le cadre du développement de l’enfant. Culture du livre, culture des écrans, c’est surtout la rencontre de deux intelligences à disposition de tous, l’intelligence temporelle et narrative et l’intelligence spatialisée, qui, contrairement aux idées reçues, existe dès le début de l’humanité. Ainsi, l’image ne serait-elle pas inférieure aux textes (une simple illustration) mais bien complémentaire du texte. Il reste que de nombreuses problématiques demeurent dans la gestion du lien texte / images puisque chacun des deux supports à ses avantages et ses inconvénients et qu’on reproche souvent aux enfants actuels de passer trop de temps sur les écrans. L’école, qui doit entrer dans l’ère du numérique, devient alors un partenariat direct des parents dans l’apprentissage de la maîtrise des écrans, sans se substituer à un nécessaire travail parental. Le chercheur rappelle notamment qu’il est nécessaire de comptabiliser le temps passé chaque jour par l’enfant devant un écran, avec lui, et de prendre le repas en famille, tous écrans éteints afin d’encourager la controverse et le débat en famille et d’encourager l’enfant à développer son intelligence temporelle en racontant sa journée.

 

Les enseignants à l’école maternelle

 

Dans cette recherche de partenariat entre l’école et les familles, Serge Tisseron n’hésite pas à donner des pistes concrètes d’utilisation du numérique en classe. Et pour lui, très clairement, les écrans ne sont pas indispensables à l’école entre 3 et 6 ans, à la maternelle. Il lui semble plus essentiel de favoriser le jeu et le « faire-semblant » comme support de compréhension du virtuel. C’est cela qui permet aux enfants de développer l’humour plus tard, humour basé sur le faire-semblant, le fait de faire semblant que cela existe. L’enfant qui a beaucoup de temps pour jouer aura une capacité à rire et à faire rire dans le monde et ne s’ennuiera jamais. Il invite donc les enseignantes de maternelle à proposer en classe le jeu des trois figures (l’agresseur, la victime et le redresseur de torts) pour aider les enfants à passer de l’image à construction narrative, objectif doublé par une rééducation de la violence – ce jeu de rôles ayant des effets bénéfiques en termes de prévention de la violence.

 

Et à l'école élémentaire

 

Pour le primaire, Serge Tisseron parle bien d’accompagnement personnalisé des élèves, de parcours individualisés. Pour ce faire, il conseille notamment aux enseignants d’utiliser le module de la main à la pâte en ligne depuis  février 2013, intitulé « Les écrans, le cerveau… et l’enfant » qui permettra de redonner aux enfants le goût de la science, en faisant des hypothèses, en observant, en vérifiant, en menant de nombreuses expériences autour des écrans, des images,… Par exemple, il leur faudra réfléchir aux images des emballages. Et l’enseignant pourra ainsi exposer les modèles économiques et marketing d’Internet : informer les élèves sur le droit à l’image et l’intimité, échanger sur les dangers et les avantages des jeux vidéos notamment, en demandant aux parents compétents ou qui ont des connaissances dans le domaine numérique de venir eux-mêmes expliquer en classe leur rapport à l’Internet.

 

Enseigner une culture numérique

 

Quoiqu’il en soit, à tous les niveaux scolaires, Serge Tisseron invite à s’appuyer sur les axes positifs qui organisent les relations des jeunes à la culture numérique. Ils sont de différents ordres :

-           valoriser la controverse et le débat, au sein de la famille, comme à l’école, en faisant utiliser les conjonctions de coordination ;

-           en classe, faire alterner travail individuel et travail en groupe face à un seul et même écran : introduire les enfants au numérique en rappelant que c’est un support collaboratif, faire appel à l’intelligence collective (logique communautaire et non compétitive).

-           favoriser le tutorat par les pairs

-           valoriser les productions numériques des élèves : par exemple, les faire participer à un concours ou  à un festival.

Au final, Serge Tisseron rappelle qu’aujourd’hui, on apprend trop tôt à des enfants à lire et écrire. Quel intérêt d’utiliser le passé composé et l’imparfait si on est incapable d’oraliser ? Ils passent trop de temps devant la télévision, aussi devient-il urgent de réintroduire du langage et des activités pour apprendre aux enfants à oraliser.

 

Alexandra Mazzilli

 

Ressources utiles :

Site de Serge Tisseron : http://www.sergetisseron.com/

Campagne 3/6/9/12 :

Module d’enseignement sur la main à la pâte : les écrans, le cerveau… et l’enfant :

 

 

Par fjarraud , le jeudi 24 octobre 2013.

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