Enseigner peut être le pire comme le meilleur métier du monde…  

Entre 2005 et 2010, en Angleterre, Nicolas Coiffe, un français trentenaire a été prof mercenaire, employé par des sociétés d’intérim pour faire des remplacements dans des établissements aux élèves présumés difficile…   À partir de cette expérience et après trois ans d’enseignement dans un lycée professionnel français, il conduit aujourd’hui une  réflexion qui pourrait être utile aux nouveaux professeurs parachutés dans des zones sensibles, en France…

 

Lors d'un remplacement à la journée dans une école de filles des quartiers nord de Londres, Nicolas Coiffe  a  éprouvé un choc face à sa totale incapacité d'interaction avec les élèves. Il effectuait alors des remplacements depuis plus d'un an et pensait avoir acquis une aisance suffisante pour mener un cours ou animer une session de révision même si les conditions semblaient ne pas être favorables.  Exemple…

 

« Remplaçant ! »…

 

A l'arrivée du professeur dans le couloir, une élève hurle « Supply ! » (« Remplaçant !») à ses camarades qui attendaient devant la salle, une clameur enthousiaste répond à ce cri. D'expérience de remplaçant à la journée cette manifestation de joie promet une heure de cours difficile. L'enseignant ouvre la porte et les jeunes filles se ruent dans la classe sans le saluer ni lui prêter la moindre attention. Une fois dans la salle, le niveau sonore monte très rapidement et il est impossible de commencer un cours. Le remplaçant tente de prendre la parole afin de rétablir le calme. Aucune élève ne l'écoute et certaines entreprennent une partie de « tableskip » .Ce jeu est comparable à la marelle mais les cases dessinées à la craie sont remplacées par les pupitres. Les jeunes filles commencent donc à sauter de table en table. L'enseignant estime que la situation est dangereuse pour la sécurité physique de ses élèves. Il décide de demander de l'aide et saisit son téléphone portable. Or l'usage des téléphones est généralement interdit dans les écoles anglaises. Après une série de sauts, l'élève dont c'est le tour de jouer interrompt la partie, montre le remplaçant du doigt et s'écrie en prenant une grosse voix: « Phones are prohibited sir, it'll be confiscated ! » (« Les téléphones sont interdits monsieur, le vôtre sera confisqué ! ») Tous les regards se portent vers l'enseignant et les élèves rient. Quelques minutes après que le professeur ait appelé la réception de l'école, la directrice entre dans la salle. Les élèves s'assoient et essuient une bordée de réprimandes. Au terme d'une intervention de quelques minutes, la directrice quitte la salle et le remplaçant commence son cours avec une demi-heure de retard. Le reste de la période se passe dans un calme relatif mais suffisant.

 

Votre expérience vous amène à  dire que vous apprenez beaucoup de vos élèves ?   Curieux paradoxe pour un enseignant,  non ?

 

Je ne perçois pas cela comme un paradoxe. A moins de considérer qu'un enseignant soit un individu abouti et qu'un élève n'ait rien à apporter. Si tel était le cas, l'expérience professionnelle n'aurait aucune valeur, or c'est au contact de ses élèves qu'un professeur s'aguerrit. Le métier offre un retour permanent sur sa pratique, c'est un facteur de stress mais aussi une formidable opportunité de développement. Mon cours est-il intéressant ? Est-il instructif ? Ma démarche est-elle fertile ? La réponse à ces questions est apportée, volontairement ou non par les élèves eux-mêmes. C'est à l'enseignant de tendre l'oreille, d'ouvrir les yeux, de faire le tri des informations récoltées et de s'ouvrir une marge de progression.

 

Votre mémoire de Master  s’organise autour de vignettes descriptives qui relatent de véritables situations vécues en classe… Quelle est celle qui illustre le mieux votre travail pédagogique   ?

 

 Les situations stimulantes qui incitent au travail pédagogique sont nombreuses et je ne pense pas pouvoir en isoler une qui soit plus représentative que les autres. L'une d'elle, en revanche a constitué le réel point de départ d'une démarche. Il s'est agit d'un moment difficile, relevant typiquement d'un cauchemar pour un jeune prof : Le dénuement à première vue total face à des circonstances assez inédites et le désintérêt apparemment complet de la part des élèves (Cf. le récit en début d’interview). A posteriori, cette situation m'a permis d'ouvrir des pistes de réflexion. Tout d'abord, elle ne constituait pas un désaveu mais un certain succès. L'appel à l'aide peut en effet écorcher la fierté et passer pour un signe de faiblesse. Cependant, il a permis de désamorcer une situation potentiellement dangereuse et de commencer le cours. Les objectifs premiers ont donc été remplis. L'aspect émotionnel du métier d'enseignant n'est pas négligeable et s'accorder un satisfecit lorsqu'il est mérité contribue à construire sa confiance en soi.

 

L’enseignant a dû faire appel à une aide extérieure…

 

Même si le prof a du faire appel à une aide extérieure pour rétablir la situation, la main à été reprise sur la classe. Cette notion de prise en main est importante et le message ainsi envoyé aux élèves est capital : « On ne fait pas n'importe quoi dans ce cours et une action est suivie d'une conséquence. ».

 

C'est là un aspect fondamental de la « sanction » au sens premier du terme : celui « d'appréciation » et de « validation ». Instaurer clairement le lien action-conséquence a un effet significatif sur les élèves. Tout comportement qui n'a pas sa place dans une classe peut être immédiatement sanctionné, par un regard, un mot, ou, si cela est nécessaire, par une punition, mais surtout, toute ébauche de comportement positif peut être sanctionnée par une gratification et un encouragement. Il s'agit là d'un levier extrêmement puissant.

 

La description de cette séance mouvementée révèle encore un élément important. Malgré l'apparent désintérêt de mes élèves à mon endroit, elles ont unanimement réagi en me voyant sortir mon téléphone. J'ai donc fini par capter leur attention. Un geste atypique de ma part a peut-être satisfait leur désir d'amusement, mais finalement, au cœur d'une situation apparemment désespérée, il me restait une bribe d'influence. D'autres expériences m'ont confirmé que l'adulte est un référent aux yeux d'un élève. Pour un enseignant, sortir parfois des clous ou satisfaire un besoin peut avoir des conséquences surprenantes. Il ne s'agit évidemment pas de se donner en spectacle ou de verser dans la démagogie, mais le simple fait de signaler à un jeune qu'on s'intéresse à lui, et qu'on est disposé à lui venir en aide opère de petites révolutions. Lorsqu'un prof valide l'individualité d'un élève et gratifie ses efforts, même ténus, il satisfait un désir prégnant chez la plupart des jeunes (surtout les plus « durs ») et adopte un comportement qui surprend souvent. Il suffit de demander un carnet de correspondance pour s'en rendre compte : la plupart du temps, un élève s'attendra à une punition. Ecrivez-y un message d'encouragement et voyez le résultat...

 

Dans votre mémoire vous employez un vocabulaire parfois martial.  La relation professeur élève est-elle forcément un affrontement ?

 

C'est la relation éducative qui relève de l'affrontement. Non pas du professeur contre ses élèves mais du professeur et de ses élèves contre les situations qui les attendent si une certaine exigence n'est pas maintenue. Les jeunes risquent de perdre l'opportunité d'apprendre et de se construire et le prof risque de s'éloigner de la teneur de sa mission, à savoir participer au développement de tous les élèves qui lui sont confiés. En ce sens, l'affrontement est bel est bien présent et demande une vigilance permanente.

 

Vous étiez  employé par des sociétés d’intérim pour faire des remplacements dans des établissements aux élèves présumés difficile…   À partir de cette expérience pourriez-vous donner trois pistes de réflexion aux nouveaux professeurs qui ont été parachutés dans des zones sensibles à la rentrée dernière, en France…

 

Je pense qu'il est important tout d'abord de s'attendre à tout, de savoir ensuite appréhender et accepter le caractère humain et donc chaotique de sa mission et enfin de s'adapter. Il me semble fondamental de se méfier des préconceptions que l'on peut avoir des élèves, de soi-même ou encore du métier. Croire par exemple que le respect est dû au professeur promet une désillusion ou pire, un repli stérile sur une vision fantasmée de ce que l'enseignement devrait être. Se réfugier dans un certain mépris pour ces classes rétives qui semblent prendre plaisir à tourmenter leur professeur et se complaire dans l'ignorance est tentant mais totalement vain. Il est utile de garder à l'esprit qu'on n'a pas en face de soi une masse informe, hostile et désespérément barbare mais un groupe d'individus. Des adolescents chez qui l'envie de rébellion est normale et ne révèle souvent qu'un besoin de reconnaissance. Se montrer juste, strict dans la réprimande et généreux dans la gratification permet d'opérer un transfert grâce auquel un élève sera plus valorisé par ses efforts que par ses écarts. 

 

D'autre part, appréhender sa situation avec pragmatisme me semble indispensable. Cela implique parfois de réévaluer sa mission. Un élève n'est pas toujours d'emblée un apprenant. Il revient souvent au professeur de le réconcilier avec l'apprentissage et de lui rendre espoir dans sa faculté à progresser. Se laisser convaincre « qu'on n'est pas payé pour ça » et que l'aspect humain ne fait pas partie du métier ne changera rien aux réalités.

 

Enfin, je pense qu'il est capital de se montrer adaptable. Il s'agit alors d'observer ses élèves sans s’arque-bouter sur des objectifs préconçus : demander à quelqu'un qui ne sait pas nager de s'élancer du grand plongeoir n'est pas un signe d’exigence, cela revient à planifier un échec. Observer les méthodes d’autres enseignants, communiquer régulièrement avec les collègues de la vie scolaire, puiser dans l'abondante littérature spécialisée, expérimenter, analyser les réactions de ses classes sont autant de démarches profitables. Si certaines techniques peuvent être très efficaces, elles fonctionnent rarement immédiatement et demandent de la patience ainsi qu'un certain ajustement à la personnalité de chacun.

 

Je garde toujours à l'esprit que la fonction de professeur offre peu d'acquis, que le respect et la coopération se gagnent, que la marge de manœuvre de l'enseignant est immense, et que  l'aigreur ne mène qu'à une forme de démission tacite peu épanouissante

 

Enseigner peut être le pire comme le meilleur métier du monde. Ayant vécu ces deux extrêmes, j'affirme que la disposition mentale que l'on choisit d'adopter fait toute la différence et que la progression est toujours possible, tant chez l'élève que chez le prof.

 

Propos recueillis par Gilbert Longhi

 

Lien vers le mémoire  de Nicolas Coiffe.

Enseigner en milieu supposé défavorable. Retour d’expérience

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 21 octobre 2013.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces