Geek, technogeek, allergeek... 

En cette fin de première période de 7 semaines de l'année scolaire, la décontraction peut être de mise, les premières vacances approchent. Aussi ai-je choisi de parler d'un type de personne que l'on rencontre sous certaines formes dans la population des élèves, mais aussi des enseignants : les geeks... La page wikipédia qui y est consacrée est signalée comme ne citant pas suffisamment ses sources et pourtant elle particulièrement riche en informations. Au delà du clin d'oeil à la remise en cause des sources de et comme wikipédia, il y a dans la personne du geek une figure qui sert aussi bien l'admiration que la défiance. En dépassant le seul terme de geek, on peut aussi parler du "branché" (ou de la "branchée") bref tout ce qui différencie quelqu'un par un usage remarqué des objets techniques en particulier numériques. 

 

Prenons le cas des enseignant(e)s particulièrement attiré(e)s pas les TIC. Ces personnes ont depuis le début de l'arrivée des ordinateurs dans les établissements scolaires pris une place bien particulière et assez variée. En premier lieu précisons qu'ils sont souvent considérés par leurs collègues comme "à part" dans le monde enseignant. Admirés pour leur capacité à passer de nombreuses heures auprès de machines en menant une intense activité qui, assez souvent, les déconnecte du reste du monde, il sont aussi mis à distance car souvent considérés comme inaccessibles au commun des mortels. Les motivations intimes qui incitent à se mettre ainsi dans cette position de geek sont nombreuses et assez profondes. On ne manque pas de témoignages, parfois catastrophistes, de ces enseignants geek qui en venaient à délaisser quelque peu leurs élèves. Bien qu'au demeurant très serviables envers leurs collègues, ils ont cependant une propension à montrer leur maîtrise qui très vite renvoie l'usager de base à ses chères études, voire à son ignorance numérique. Bref, le(la) geek prof est une personne qui semble hors du monde.

 

Si nous considérons les élèves, les jeunes, alors, le geek est aussi un personnage à part. Les yeux plus souvent marqué par la trace des écrans que par celle des livres, les mains au format d'un joystick davantage que d'un stylo, leur corps est marqué par leur temps passé avec, dans, autour de ces machines. Il est assez fréquent que dans la salle de classe leur attitude fasse la désolation des enseignants. Dans la cour de récréation, c'est un mélange mitigé de sentiments que l'on peut percevoir entre rejet, admiration, exclusion... Car pour les jeunes le geek (l'accro aux écrans) c'est un peu chacun d'eux, mais en partie seulement.

 

Ce qui est intéressant de noter c'est que si le geek est désormais associé aux technologies de l'écran, il est d'abord quelqu'un d'extrêmement compétent dans un domaine précis. Entre le passionné et l'addict, le geek est quelqu'un qui s'investit outre mesure dans un domaine. Mais si l'on veut rapprocher la question du geek prof et celle du geek élève, il nous faut trouver un dénominateur commun. Or ces sont les "allergeeks" qui nous en donnent la clé, tout en s'en rapprochant. Ce qui traverse ces groupes humains c'est la "fascination" : fascination pour l'écran, fascination pour l'autre, fascination pour des objets variés de savoir, d'activité. Or le problème posé par la fascination, c'est qu'elle est synonyme d'aveuglement ou tout au moins d'abandon de ses facultés critiques. Le passionné, un niveau au dessous, semble lui être capable de critique, l'addict lui, un niveau au dessus, semble plutôt en état de dépendance totale. Le geek serait donc un fasciné, et désormais fasciné par les technologies de l'information et de la communication.

 

Et pourtant, sans être geeks, nous sommes nombreux à être fascinés, de plusieurs manières et à plusieurs niveaux d'intensité par le monde numérique qui nous entoure. La grille d'analyse que propose l'étude de la fascination est d'autant plus intéressante à mettre en oeuvre qu'elle articule les faits et le discours, le réel et l'imaginaire. Le monde scolaire se trouve depuis très longtemps confronté à ce problème et il doit le gérer dès lors qu'il propose une réflexion sur le numérique, voire une action concrète. Que la fascination génère de l'enthousiasme ou du rejet, le fondement psychologique est le même. Il s'agit d'une sorte de force qui dépasse la personne elle-même et qui l'entraîne vers des prises de positions, voire des actions, qui dépassent parfois le raisonnable, mais pas la raison. Or c'est ce dépassement qui fait peur dans un système scolaire pour lequel la 'tyrannie de la majorité" tend à normaliser les comportements.

 

Car ce que nous révèlent les comportements des geeks, c'est notre propre relation à la fascination. Ils nous interrogent, quoiqu'on s'en défende, en bon rationalistes, ils nous dérangent. On peut être tenté de les ranger dans une catégorie commode, la maladie. Mais le modèle ne tient pas longtemps, il est surtout métaphorique. On peut être tenté aussi de les exotiser, de les rejeter, comme inaccessibles. Là encore leur capacité à agir surprend toujours, même s'ils délaissent par ailleurs une partie de la norme de vie sociale.

 

En fait les geeks sont la partie visible et spectaculaire de ce que l'on nomme plus simplement la passion. Mais pas la passion amoureuse, bien plutôt la force, la soif, l'envie d'avancer. Certes le sens n'est pas posé calmement, rationnellement, mais ils avancent. Or dans nos sociétés de concurrence les geeks sont un modèle de ce que pourrait être une réussite sociale à moyen terme, sorte de point de passage obligé. Comme si pour obtenir une place dans la société il faudrait avoir été geek à un moment de la vie. Peut-on considérer que le passage dans certaines études très sélectives suppose d'être geek à l'apprentissage des connaissances académiques ? On peut penser que oui, au vu de ce que l'on exige de ces jeunes s'ils veulent réussir leur parcours. Or le geek numérique s'impose parfois des situations qui sont au moins équivalentes à celles de l'étudiant de classe prépa ou de première année de médecine. Il suffit d'aller dans la piscine de l'école 42 de Monsieur Niel pour s'en convaincre.

 

Il n'est pas certain que la figure du geek soit très valorisante. Malheureusement, dans une sorte de "tyrannie de la moyenneté" on peut même penser que le système scolaire est aux antipodes de cette figure (Monsieur Niel le laisse entendre dans ses argumentaires). Et pourtant ce moteur formidable que chacun peut laisser éclore en soi mérite qu'on s'y attarde autrement qu'à l'enfermer dans des murs, comme ceux de nos établissements scolaires qui deviennent de plus en plus petits pour ces jeunes qui veulent en réalité aller vers le monde, parfois même le dévorer. Il ne faudrait pas que l'on enferme la figure du geek dans les traits caricaturaux que l'on peut lire ici ou là, mais que ce soit une incitation à la curiosité, l'enthousiasme et la passion, en particulier dans le monde scolaire, le numérique nous le rappelle chaque jour.

 

Bruno Devauchelle

 

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Par fjarraud , le vendredi 18 octobre 2013.

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