PIAAC : Marie Duru-Bellat : Les résultats interrogent le monde du travail plus que l'Ecole 

Sociologue, spécialiste des questions d’éducation, Marie Duru Bellat est professeur à Sciences-Po (Paris) et chercheur à l’Observatoire Sociologique du Changement. Elle revient sur les résultats de l'enquête PIAAC pour inviter à les relativiser. Plus que l'Ecole, qui a sur hisser le niveau des plus jeunes, elle accuse le monde du travail, l'organisation du travail et le désintérêt envers les compétences des salariés.

 

Les résultats de PIAAC semblent sans appel. Ils sont franchement mauvais et interpellent l'Ecole. Partagez vous cette analyse ?

 

Commençons par la bonne nouvelle : le niveau ne baisse pas. Les jeunes sont meilleurs que les vieux. Comme notre système scolaire s'est développé assez tardivement, et comme il y a un lien important entre formation et niveau de compétences, ça joue. Plus les pays ont développé tard leur système éducatif plus l'effet d'âge est important.

 

Il faut ensuite se méfier d'une lecture simple des résultats. Je veux rappeler qu'en 1995 la France, sous l'impulsion de Claude Thélot, avait décidé de se retirer d'une enquête similaire qui annonçait 40% de niveau 1. C Thélot avait évoqué des problèmes de compatibilité. Il faut voir ce qui est demandé par PIAAC. C'est comme dans Pisa. On met les candidats dans des situations où les gens doivent interpréter un texte, lire un tableau chiffré, montrer que l'on a compris. Or le système éducatif ne prépare pas ce genre d'exercices. Il y a sans doute des pays pour lesquels c'est plus facile. On n'est pas bon dans ces exercices aussi parce que les Français ont tendance à moins répondre que les autres. Ils ont toujours peur de donner une erreur. Il faut garder cela en tête. Attention enfin à l'effet palmarès : les écarts sont-ils significatifs avec tous les pays ?

 

Ces résultats mettent en cause la formation continue qui est moins répandue en France qu'ailleurs. Mais aussi le milieu de travail qui est moins stimulant. En Allemagne par exemple on peut devenir ingénieur quand on entre dans l'entreprise. Il y a des possibilités de formation ce qui n'est pas le cas en France. Cela rejaillit sur l'intelligence des tâches qui sont confiées aux salariés. Donc ces résultats incriminent tout le marché du travail. Quand on n'est pas stimulé, on désapprend avec l'âge.

 

Les conditions de passage des tests jouent aussi. Relisez le numéro 78 de "Education & Formations" de 2008. Un article compare l'enquête IALS et PISA. Les conditions de passation de IALS ont une influence certaine sur les résultats. Par exemple le fait que le passage soit très long élimine les candidats les plus âgés.  Si on change les conditions de passation on a des résultats meilleurs.

 

Bref il ne faut pas récuser ces résultats comme Thélot en 1995. Mais il ne faut pas les chosifier. On voit bien que les pays en tête sont très différents de nous. Nos voisins sont proches de nos résultats.

 

Ca jette quand même un discrédit...

 

Non car les jeunes sont bien meilleurs. Le message c'est que c'est heureux qu'on ait ouvert le système éducatif. L'enquête interroge davantage le mode du travail, son organisation. Dans les pays du nord on a réorganisé le travail pour abandonner la chaîne par exemple.  Les Japonais ont une organisation du travail qui suscite l'intelligence. C'est notre organisation du travail qui aboutit aussi à ces résultats. On s'est longtemps méfié de l'intelligence des salariés. On le paye.  

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

Education & Formations n+78

 

 

Par fjarraud , le mercredi 09 octobre 2013.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces