Une charte de la laïcité, oui… mais pour qui? 

En première ligne des disciplines qui doivent faire face à des problèmes de laïcité : l'EPS. Alors que V. Peillon publie la nouvelle « charte de la laïcité », comment ce texte va-t-il permettre de répondre aux problématiques du terrain ? Pour Julien Gout, professeur d’éducation physique et sportive en région parisienne, les problématiques sont plus larges. Parler de laïcité n’a souvent pas lieu d’être dans des établissements où plus de 90% des élèves ont la même croyance. L’auteur repositionne d’ailleurs le débat sur la culture scolaire qui est proposé : « les problèmes liés à la natation sont souvent très loin des problèmes religieux et de laïcité, en effet, quel intérêt pour un élève d’apprendre à nager, alors qu’il n’a quasiment aucune chance de voir la mer un jour dans sa vie, ou de payer l’accès à une piscine publique… »

 

L’article 10 insiste sur la nécessité de garantir l’égalité entre filles et garçons. Justement dans certains établissements de quartiers populaires ou vous avez enseigné pendant plusieurs années, qu’en est-il ? La charte peut-elle être un point d’appui ?

 

 En effet, il existe un véritable besoin autour des problématiques de genre dans les établissements des quartiers populaires. Cela rythme le quotidien des enseignements. En EPS, il va de soi que certaines activités posent problème. Enseigner l’acrosport, la danse peut être perçu par le public masculin comme une véritable agression. Il est souvent nécessaire de rentrer par le défi, l’exploit et une connotation plus « masculine » pour faire pratiquer l’élève. La charte ne sera pas un appui, mais une occasion de rappeler de nouveau certains principes, comme l’acception d’un point de vue. Evaluer une chorégraphie en Danse demande une certaine acrobatie, pour sortir des jugements qui se limitent le plus souvent à l’exploit et faire rentrer les élèves dans la perception de l’esthétisme, du langage du corps. Dès lors, la charte est un outil, parmi tant d’autres mais pas un moyen.

 

On évoque le plus souvent les problématiques liées à la pratique de la natation, et au refus de certains élèves, ou parents, d’aller « à la piscine » ? Cette problématique est-elle réelle ? Et comment peut-on la prendre en compte ?

 

Il est vrai que souvent, la problématique de refus d’accès à la piscine est justifiée par des choix liés à la religion. La charte aurait dans ce cas là un intérêt évident. Mais les explications peuvent aussi être plus communes. Sans rentrer dans de longues explications, quel adolescent n’a pas un rapport à son corps problématique ? Un élève entre la sixième et la terminale prend 50 cm, les enfants, deviennent de futurs adultes. Des solutions existent, mais elles demandent un travail de l’ensemble des acteurs de l’établissement, du médecin scolaire, à la CPE, en passant par l’infirmière pour expliquer, vérifier, et évoquer les enjeux de l’apprentissage du savoir nager. Mais encore une fois, les solutions existent et la natation se déroule très bien dans de nombreux établissements, même les plus difficiles. Par contre, il convient de noter que les problèmes liés à la natation sont souvent très loin des problèmes religieux et de laïcité. En effet, quel sens peut trouver un élève dans le fait d’apprendre à nager, alors qu’il n’a quasiment aucune chance de voir la mer un jour dans sa vie, ou de payer l’accès à une piscine publique ? Il me semble que la véritable problématique est plutôt celle de la cohérence entre l'offre culturelle accessible pour les habitants des quartiers populaires et la culture scolaire.

 

Justement vous évoquez le décalage de la culture scolaire avec la culture présente au sein de ces quartiers. Pourtant, l’article 8 souhaite favoriser « l’accès à une culture commune et partagée » Comment répondre à cette réalité ?

 

Je dois avouer qu’avant de travailler en zone sensible, la formation que j’avais reçu a souvent insisté sur la nécessité de prendre en compte la grande hétérogénéité des élèves. Or l’hétérogénéité n'est pas évidente dans les collèges dit "sensibles". Les élèves sont presque tous issus de catégories sociaux professionnelles défavorisées, et sont pour beaucoup en grande difficulté scolaire. Dès lors le tableau peint est véritablement différent.

 

Par contre, ce qui est frappant c’est le décalage entre la culture que l’on souhaite enseigner, la culture scolaire et les possibilité d'accéder à cette culture en dehors de l'école. Quel sens revêt le fait d'intégrer des valeurs telles que la solidarité, le respect de l'autre,... quand la réalité du quartier fait la part belle à "la loi du plus fort" ? Evoquer la laïcité et la nécessité de l’accès à une culture commune de haut niveau, c'est bien. Mais il est nécessaire que cette préoccupation de l'école soit également prise en compte dans la politique sociale du pays. Cette charte ne peut avoir qu'un impact limité en l’état actuel des choses. Les problématiques ici sont principalement des problématiques sociales, territoriales. Il s'agit plus d'un pansement que d'une solution pérenne.

 

Propos recueillis par Antoine Maurice

 

EPS et laïcité : Les documents de B. Lefort

Ramadan, voile et EPS

 

Par fjarraud , le lundi 09 septembre 2013.

Commentaires

  • maria1958, le 09/09/2013 à 10:15
    Bonjour,

    Les propos recueillis sont fort intéressants en ce qu'ils témoignent sur le vif des problèmes rencontrés au quotidien, mais une formule du "chapeau" introductif procède d'un "raccourci" qui met mal à l'aise....

    Quand on écrit "Parler de laïcité n’a souvent pas lieu d’être dans des établissements où plus de 90% des élèves ont la même croyance.", on ne fait sans doute pas allusion aux établissements publics des régions de France où le catholicisme est une pratique massive (s'il en existe encore). C'est une façon elliptique d'évoquer les établissements ghettoïsés des "quartiers".

    Mais avec une telle formule, on laisse entendre que lorsque 90% des élèves sont d'origine immigrée, ces 90% ont tous une croyance religieuse - il n'y aurait donc pas d'immigrés agnostiques ou athées ? 
    Et que ces 90% d'élèves, tous nécessairement croyants et dûment pratiquants, adhèreraient tous à la même religion - à supposer que ce soit l'Islam, c'est faire bon marché de la diversité interne à l'Islam comme à toutes les religions, christianisme compris....

    Ce genre de raccourci simplificateur aboutit à "rabattre", implicitement et en toute bonne conscience, immigration sur appartenance religieuse, monolithisme religieux, pratique effective de la religion.... Pourtant les familles immigrées - comme les familles françaises de culture catholique, protestante, juive.... - sont largement laicisées, pas nécessairement pratiquantes, et en leur sein chaque personne a un rapport au religieux qui lui est propre.... 

    En renvoyant en bloc les élèves, par ce genre de formule, à une identité religieuse collective supposée, on brouille le message éducatif de laïcité (liberté de conscience individuelle). 

    Quand on fait remplir aux élèves une fiche de rentrée, on ne leur demande pas quelle est leur (éventuelle) religion. 
    On n'a donc pas de statistiques sur le % d'élèves catholiques, protestants, musulmans, juifs, bouddhistes et incroyants, dans chaque établissement public. Et c'est très bien comme ça.


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