Carte scolaire : L’assouplissement est bien un leurre 

Lancée en juin 2007 par Xavier Darcos dans le but officiel de « donner une nouvelle liberté aux familles », celle du « libre choix de l’établissement scolaire », et « de favoriser l’égalité des chances et d’améliorer sensiblement la diversité sociale dans les collèges et les lycées », la politique d’assouplissement de la carte scolaire n’a rempli aucun de ces deux objectifs. L’étude officielle de l’Inspection générale, réalisée par Bertrand Pajot et Roger-François Gauthier, confirme les travaux déjà publiés par Le Café pédagogique. Basée sur les statistiques de la Dgesco et des visites dans plusieurs académies, l’étude de l’Inspection générale met en évidence de façon officielle la nocivité de la politique lancée par X Darcos et maintenue par L. Chatel. Les inspecteurs font des propositions pour « rendre l’objectif national de mixité sociale opérationnel ».

 

Une hausse brutale mais relative des dérogations

 

Rappelons-nous la circulaire de 2008. Après des décennies de carte scolaire officiellement inflexible, mais tempérée par les contournements savants des familles les mieux informées, X Darcos invitait les Dsen, pour favoriser l’égalité des chances, à accepter des dérogations à la carte scolaire quand « il n’est pas possible de satisfaire toutes les demandes » dans l’« ordre de priorité » suivant : les élèves souffrant d’un handicap ;  les boursiers au mérite ;  les boursiers sociaux ; – les élèves qui nécessitent une prise en charge médicale importante à proximité de l’établissement demandé ;  les élèves qui doivent suivre un parcours scolaire particulier ;  les fratries ; les élèves dont le domicile, en limite de secteur, est proche de l’établissement souhaité.

 

La mesure a un effet immédiat : elle fait bondir les demandes de dérogation. Alors qu’en 2006 les demandes de dérogation devaient représenter 7% des entrées en 6ème, en 2008 on passe à 10% avant d’atteindre un seuil de 11% qui se maintient jusqu’en 2012. En 2008 , 62 000 demandes sont enregistrées, 69 000 en 2012. Mais au final la très grande majorité des familles n’a pas bénéficié de cette loi qui n’a joué que là où des établissements étaient en concurrence.

 

La mesure n’a pas profité aux boursiers sociaux

 

Officiellement, l’assouplissement devait permettre de renforcer l’égalité des chances. Elle avait été présentée comme un outil pour que les familles populaires puissent sortir des ghettos scolaires. En fait, le nombre de demandes de dérogation des boursiers sociaux a diminué passant de 4500 en 2008 à 3500 en 2012. La grande masse des demandes provient des « autres demandes », c'est-à-dire celles qui ne sont en rien prioritaires, devant les traditionnelles demandes de rapprochement familial ou de parcours particulier. « Seuls 4 % des boursiers sociaux adressent une demande de dérogation, à comparer aux 11 % des demandes pour l’ensemble de la population », note le rapport.

 

Elle a aggravé la situation des collèges prioritaires

 

Pour ses initiateurs, l’assouplissement devait permettre une saine mise en concurrence des établissements scolaires par le libre choix des familles. Cela devait pousser les établissements des quartiers défavorisés à s’améliorer et donc finalement bénéficier principalement aux familles populaires. C’est exactement le contraire qui s’est passé. « Si la mission a pu constater quelques situations, comme celle d’un collège de Concarneau, où l’évitement a pu déclencher le ressaisissement d’un collège qui a décidé de réagir », souligne le rapport, « elle a constaté que, dans la plupart des cas, les transferts d’élèves autorisés par les dérogations ont plus souvent renforcé des déséquilibres préexistants ou en ont créé de nouveaux… La concurrence entre établissements relativement créée en 2007 a surtout figé des situations acquises, qu’il s’agisse de l’attractivité des collèges ou de leur composition sociale.... L’assouplissement avait peu de chance d’améliorer l’indice des collèges évités, les familles relevant de CSP favorisées n’ayant aucune raison de demander des collèges défavorisés, alors que, à l’inverse, la mission a pu constater que des dérogations entrantes sur critères boursiers ont pu infléchir un peu l’indice social de certains établissements. »

 

Pour les établissements prioritaires, « un bilan au niveau national portant sur les collèges RAR fait apparaître que l’évitement de ces collèges, qui était antérieur dans la plupart des cas à l’assouplissement, a continué de 2008 à 2011 en s’accentuant légèrement… Divers auteurs ont souligné ce fait, comme Oberti et al. (2011), qui ont montré dans la région parisienne que les collèges concentrant des CSP défavorisées ou des étrangers ont vu leur homogénéité sociale se renforcer depuis 2007, ce qui indique qu’ils ont perdu encore plus d’élèves de classe moyenne, situation que l’on retrouve pour certains collèges RAR. Reste qu’un sentiment de relégation dans ces collèges peut se renforcer pour les familles qui n’ont pu bénéficier de cet assouplissement, compliquant de fait la vie de ces établissements. De plus, la perte d’élèves finit par poser de réels problèmes d’organisation pédagogique interne à ces établissements : un collège des Yvelines a résolument fait le choix de regrouper les quelques élèves issus des CSP moyennes ou favorisées dans une seule classe par niveau, faute de quoi il s’exposait à des demandes de dérogation. »

 

Le rapport signale également l’effet désastreux sur le moral des enseignants des ZEP. «  Ces équipes expriment un double sentiment, d’abandon par les pouvoirs publics et d’impuissance devant l’évitement de leurs collèges, sans compter l’image négative que cela leur renvoie de leur action d’une façon ressentie comme injuste. D’abandon, parce qu’ils n’ont pas (à tort ou à raison) l’impression que leurs établissements reçoivent un accompagnement à la hauteur des enjeux, mais aussi parce que pour eux, l’assouplissement de la carte scolaire, en donnant priorité aux logiques individuelles au détriment des enjeux collectifs de l’école, est un renoncement du service public. D’impuissance, parce qu’ils ont l’impression que leur action n’a pas de prise sur leur réalité. »

 

Le développement du privé

 

En apparence depuis 2007, la part du privé dans le système éducatif reste stable. Mais, « si on analyse l’évolution des CSP des familles inscrivant leurs enfants dans le privé sous contrat à l’entrée en sixième, on constate une croissance de la part des CSP très favorisées et favorisées », affirme le rapport, « simultanément à une baisse des CSP très défavorisées de 13,9 % en 2006 à 12,3 % en 2012. L’assouplissement semble ici avoir renforcé les différences sociales entre les collèges publics et privés, ces derniers accueillant plus qu’avant 2008 une fraction plus favorisée d’élèves.

 

La mixité sociale doit devenir l’objectif principal

 

Du coup, l’Inspection hisse la mixité sociale comme objectif principale de toute politique de carte scolaire. « Quant à l’équilibre social, il mérite donc d’être clairement désigné comme une référence de l’action éducative : reconnu comme une cause d’intérêt national, il devrait rassembler l’ensemble des parties prenantes : certes les collectivités territoriales des différents niveaux et l’enseignement privé, pour ce qui les concerne, mais d’abord l’éducation nationale elle-même qui doit tracer la voie, et prendre, sur la recherche de l’équilibre social, les décisions fortes qui s’imposent », conclue le rapport. Cela passe d’abord par la création d’observatoires dans chaque académie. « Dans le dialogue de gestion que le DASEN aura avec chaque établissement, l’action en faveur d’un meilleur équilibre social sera prise en compte, et le contrat d’objectif revu si nécessaire en fonction de cet objectif », demandent les inspecteurs. « Les collèges devront aussi être progressivement tirés de situations qui leur sont imposées par des déterminants extérieurs (urbanisme, quartier ghettoïsé, extrême difficulté sociale des enfants, etc.) et ne leur permettent pas de remplir la mission qui leur est confiée : en ces cas, il est évident que la révision courageuse de la sectorisation, dans le sens de la recherche de l’équilibre social, devra être la solution recherchée conjointement par l’État et la collectivité territoriale… »

 

Les inspecteurs veulent aussi affronter les discriminations fabriquées par l’Education nationale à travers l’offre pédagogique. « La mission est sans ambiguïté sur ce point particulièrement sensible et dont la mauvaise gestion peut être délétère sur l’ensemble d’un système local : l’efficacité, l’effet sur l’équilibre social des établissements et la dispersion géographique de tous les enseignements de nature optionnelle, de même que la carte des langues, seront l’objet d’une attention vigilante au sein de l’observatoire de l’équilibre social du secteur et de décisions constantes du DASEN pour éviter qu’ils nuisent à l’objectif général ».

 

Ce rapport enterre la politique mise en place par Nicolas Sarkozy. Elle ne règle pas la question des dérogations qu’elle souhaite voir se résoudre dans une collaboration renforcée entre les conseils généraux et les Dasen. Alors que le ministère réfléchit à sa nouvelle politique prioritaire l’objectif de mixité sociale reste à être traduit en actes.

 

F. Jarraud

 

Le rapport

 

 

Par fjarraud , le vendredi 02 août 2013.

Commentaires

  • Viviane Micaud, le 03/08/2013 à 14:45

    Je retiendrais une phrase de l'excellent article de Nathalie Mons qui est paru en février dans le café pédagogique.
    « Lutter contre les inégalités à l’école passe par le développement d’un service public d’éducation de qualité et de proximité. »

    L'association de parents d'élèves qui a une posture revendicative, exigeait l'assouplissement de la carte scolaire. Certains de ses membres n'hésitaient à utiliser des dénigrements agressifs contre ceux qui prédisait des dysfonctionnements. Dès 2008, j'avais anticipé les dysfonctionnements décrits, on m'a accusé de m'opposer à l'égalité des chances. C'était juste un peu de bon sens, une capacité d'anticiper les comportements humains.
    En réalité pour les lycées, les conséquences sont pires. Le logiciel aveugle qui rebat les cartes dans Paris a créé une hiérarchie des lycées explicites et casse les groupes d'amis. Une de mes amis est prof dans un établissement où 80% des élèves ne sont pas à leur premier choix : il faut un trimestre pour construire la motivation. L'environnement de l'élève, en particulier, la qualité des relations amicales sont un facteur très important de la réussite : ce n'est pas pris en compte par le logiciel d'affectation aveugle. 
    Je crois qu'il n'y a pas de doute : il faut revenir à la sectorisation.
  • Pyerch, le 02/08/2013 à 21:54
    Peut-on interroger ce concept de "mixité sociale" comme un produit socialement construit par la classe moyenne ?
    En effet le lobbying intense de cette dernière, essentiellement dans les collèges et lycées, par sa participation à leur fonctionnement institutionnel, est de contrôler le développement du système optionnel, élément ségrégatif par excellence. D'ailleurs la statistique de l'appartenance sociale de
    ces élus est claire : ce sont les catégories sociales favorisées à près de 95 %.
    De plus les enseignants ne maîtrisent pas l'enseignement différencié : il y a une collusion objective qui aboutit à mettre en avant le concept, dédouanant ainsi des pratiques qui restent, elles aussi ségrégatives.
    L'on en reste ainsi à une reproduction socio-scolaire, qui a certes été dramatiquement accentué par la disparition de la carte scolaire. Restent que des dasen qui l'on pratiquée, vont être maintenant ceux
    qui la mettent en question.. intéressant !
    La question, face à ce produit idéologiquement développé, est bien de savoir comment permettre aux enfants des "classes populaires" d'accéder à un enseignement actuellement réservé à l'élite.
    Refondation, dit-on ?



    • Viviane Micaud, le 03/08/2013 à 11:04
      Vous écrivez : "Les enseignants ne maîtrisent pas l'enseignement différencié". Pour moi, il s'agit d'une injonction paradoxale qui empêche la mise en place de solutions efficaces. En réalité, tels que les programmes sont faits, et les exigences devant être acquises sont explicitées, il n'y a aucune solution d'enseignement qui permettent à tous de progresser. En effet, les contrôles demandent une maîtrise de l'expression. Or, un prof d'histoire-géo ou de SVT ne peut pas réexpliquer dans son cours les fondamentaux de l'expression. Aussi, lorsqu'un enfant en difficulté en 4ème fait des efforts pour écouter et a réussi à assimiler toutes les notions du cours, il n'y a pas d'évolution dans les résultats. C'est bien cela qui crée la spirale du découragement. Mais les "coupables" ne sont pas les enseignants mais les "concepteurs des progarmmes" et les négationnistes qui ne veut pas reconnaître que pour les programmes tels qu'ils sont fait, faire avancer une classe hétérogène dont un quart maîtrise insuffisamment l'expression, et avec 3 perturbateurs est tout à fait impossible.
      La première des actions est : "donner aux enseignants des défis possibles".
      • Pyerch, le 05/08/2013 à 11:07
        Je suis totalement d'accord sur le concept "d'injonction paradoxale" ! Mais l'institution ne fonctionne
        que sur ce mode et que cela puisse déteindre n'est pas anodin.
        Je ne cherche pas des coupables, loin de moi cette idée.
        Que le travail d'apprentissage ne se fasse que sur le mode programmatique est aussi paradoxal, car cela est faux dans le réel.
        Il suffit de voir en Mathématiques comment les IPR sont accrochés au programme de 2008 et leur volonté d'aller vers un travail sur les compétences qui n'est pas compris sur le terrain ! Ou alors c'est la construction d' "usines à gaz" inopérantes !
        Revenons-en aux fondamentaux : formation et identité professionnelle... j'ai très peur quand je vois comment s'élaborent les ESPE d'une part (cf. les matrices.. dont sont exclus les responsables d'établissement à qui l'on va demander une évaluation... que la hiérarchie académique va cadrer en une demi-journée d'injonctions.... paradoxales...), et comment sont jetés "dans la fosse aux lions" des étudiants sans formation, appelés "stagiaires 6h"...
        Laissez-moi rêver à un refondation... d'ici un siècle...
  • Pyerch, le 02/08/2013 à 21:54
    N'oublions pas quand même les deux ouvrages à ce sujet, l'un de Franck Poupeau "Le sens du placement"
    aux Éd. Raisons d'agir et l'autre de A. Van Zanten et J.P. Obin "La carte scolaire" en Que-Sais-Je !
    Leurs analyses sont antérieures à celles de N. Mons, bien en cour en ce moment.


  • heurtebise, le 02/08/2013 à 09:29
    "Ce rapport enterre la politique mise en place par Nicolas Sarkozy." Pour les professionnels de terrain, la politique de François Hollande s'inscrit dans la continuité des politiques économiques, sociales et hélas d'éducation des précédents. Combien d'années et de gâchis pour arriver aux mêmes conclusions avec la prétendue loi d'orientation Peillon... PAS DE REFONDATION SANS FONDATIONS !

    • Viviane Micaud, le 03/08/2013 à 14:46
      Pouvez vous êtes plus clair sur ce que vous reprochez à la loi d'orientation de Peillon ? Je pense honnêtement que c'est une excellente base, pour le primaire et le collège. Maintenant, tout dépend de la manière dont elle sera mis en oeuvre. Le point critique sont les programmes et le type de contrôles associés. Il doivent permettre la progression de chacun avec des classes hétérogènes. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.
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