STI2D : L'administration face à la souffrance des professeurs 

Il y a des documents que l'éducation nationale ne veut pas voir circuler. C'est le cas de la "synthèse de témoignages d'enseignants de STI2D" réalisée par le CHSCTA de Nancy-Metz. Il met crument l'administration face à un très haut niveau de souffrance au travail d'enseignants qui se retrouvent brutalement déqualifiés et précarisés. Alors que les procédures de mutation vont être lancées, le stress est au plus haut. Le rectorat affirme faire ce qu'il peut dans les contraintes budgétaires actuelles. La rue de Grenelle se tait.

 

"Lors de cette année de souffrance en technologie au collège, Madame X, chargée de mission  est venue m'inspecter. Je lui ai clairement dit que j'espérais trouver la force de me mettre en disponibilité pour pouvoir échapper au suicide. Comme elle a fait mine de ne pas m'entendre, je lui ai répété la chose. Le résultat de cette super inspection, fût un rapport tout à fait anodin et une nomination, dès avant la rentrée de septembre 2012 au collège de XX. Cela dit, mes propos n'étaient pas du vent et j'ai effectivement demandé une mise en disponibilité. Je suis aujourd'hui sans ressources, essayant de subsister par le biais d'une auto-entreprise de maintenance informatique à domicile qui m'a, pour l'instant, rapporté le chiffre d'affaire faramineux de 260€ !". C'est un des témoignages réunis par le Comité d'hygiène et de sécurité de l'académie de Nancy-Metz au terme d'une enquête auprès de 471 enseignants de STI sur les 521 que compte l'académie.

 

Des enseignants déqualifiés

 

Quel contraste avec le lancement de cette réforme à la rentrée 2011. Luc Chatel lui-même s'était déplacé dans un des plus prestigieux lycées parisiens pour vanter une réforme qui devait sauver cette filière technologique. La réforme supprime une quarantaine de spécialités dans lesquelles les enseignants sont de vraies "pointures" pour une filière unique avec des enseignements moins spécialisés reprenant plusieurs spécialités. En même temps les pratiques pédagogiques changent. On passe de la machine à l'ordinateur, de la fabrication à la simulation informatique, du bleu à la blouse blanche. L'enseignement transmissif est remplacé par une démarche d'investigation qui suppose chez les élèves une attitude active et des méthodes de travail. Il y a à la fois réforme des programmes et des méthodes.

 

Du jour au lendemain, des enseignants hyper spécialisés, qui arrivaient à asseoir leur autorité dans cette filière technologique par leur haut niveau de compétence se retrouvent totalement déqualifiés alors même que la nouvelle carte des formations fait valser les postes. " Comment faire si nous devons enseigner des domaines que nous ne connaissons pas ? Comment être performant sans formation ? Comment maîtriser un autre domaine avec trois heures de formation bimensuelles durant deux ans !! Ceci n’est pas acceptable !!", écrit un enseignant. "On demande à l’enseignant d’appliquer une réforme qui va modifier le contenu à enseigner d’une manière très importante, et l’institution prévoit logiquement en même temps de modifier les méthodes pédagogiques en installant de nouvelles notions telles la transversalité, la spécialité et la notion de projet", poursuit un autre. "C’est pour cela que pour l’enseignant déjà bien affaibli, nous allons lui imposer avec violence un changement de statut pour l’obliger à s’adapter plus rapidement en augmentant sa précarité et son sentiment d’inadapté... L’argument du changement inévitable sous peine de disparaître nous est rappelé comme un message biblique pour nous motiver et justifie toutes les violences manageriales".

 

Enseignants zombies

 

"Les gens deviennent de vrais zombies", nous confie Thierry Valette, élu Sgen Cfdt au CHSCT de Nancy-Metz. Il estime que son académie compte une cinquantaine d'enseignants en grande souffrance. La réforme oblige les professeurs de STI soit à se reconvertir vers STI2D soit à chercher un reclassement vers la technologie au collège ou une autre discipline. Dans le premier cas la formation à distance est jugée très insuffisante. Dans le second, le passage d'étudiants de BTS à des collégiens est souvent mal vécu.

 

Minimiser le problème

 

" Je suis actuellement en mode survie comme beaucoup je pense, me préoccuper de mon efficacité je ne puis, je cherche juste à ne pas disparaître d’épuisement…", témoigne un autre enseignant. "Suis actuellement en arrêt depuis septembre. La STI2D en est la cause profonde. Psychologiquement, je ne suis pas bien (peur d’être à la ramasse devant les élèves)".

 

Doyen des IPR et inspecteur de STI, Laurent Brault rappelle que "toute réforme entraine des difficultés". Il assure que le DRH de l'académie suit de près le dossier et qu'il y a "une grande écoute" mais "qu'il est difficile de suivre 580 enseignants". Il écarte la peur suscitée par le mouvement et le recrutement sur postes fléchés en STI2D. L'académie aurait prévu 40 à 50 postes en appui pour des enseignants en difficulté en fin de carrière mais à condition qu'ils optent pour STI2D.

 

"L'administration a acquis qu'il y a un problème", estime T Valette. "Mais elle minimise les difficultés". Le syndicat demande une véritable formation  en présentiel. Et des garanties pour le mouvement des anciens professeurs de STI.

 

François Jarraud

 

 

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Par fjarraud , le jeudi 21 mars 2013.

Commentaires

  • thierrygo, le 03/02/2014 à 21:04

    Moi prof transplanté en sti2d.

    Au commencement dans la discipline électrotechnique en lycée technologique, j’ai pour cela passé un concours dans lequel on a évalué mon degré de connaissances. Il m’a été demandéune solide base dans le domaine choisi, lors d’épreuves écrites, de testspratiques, d’interrogations orales. Pour réussir ce concours j’ai dû suivre plusieurs semaines de formation en complément de mes formations initiales,suivies de plusieurs mois d’entraînement. Après avoir été reçu au concours il m’a fallu montrer à un inspecteur mes capacités à enseigner cette matière.

    Pendant près de 20 ans j’ai ensuite enseigné, je n’étais pas un prof dont les élèves gardent sans doute un souvenir exceptionnel, j’avais des bonnes et des mauvaises années. Mais je faisais mon métier. Lorsque j’arrivais devant mes élèves j’avais le sentiment de pouvoir leur apporter mon expertise technique, mon écoute pédagogique. Je pensais que certains tireraient profit de mon enseignement pour leurs métiers futurs.

    Puis les effectifs de nos sections techniques ont commencées à baisser, on a alors entendu de parler de réforme profonde. Réforme qui s’est faite attendre, longtemps.  Elle est enfin arrivée, nous allions peut être sauver notre enseignement technologique, pouvoir de nouveaux former des jeunes et les préparer à devenir des techniciens recherchés par des entreprises.

    Année scolaire 2010- 2011 :Nous commençons les formations de mise à niveau. Débuts difficiles les collègues du lycée qui nous accueillent ne décolèrent pas sur la forme prise par la réforme. Ils craignent le pire, ils n’ont pas confiance, ils veulent plus de délai pour se préparer.  Je les trouve pessimistes, trop réfractaires aux changements, ils avaient raison. Les formations se dérouleront finalement dans un autre établissement. Nous nous y rendrons plusieurs jours de cette année-là. Nous devions choisir des modules de formation, les deux années suivantes nous compléterions avec les autres modules. Moi, j’avais opté pour le module génie mécanique, en quelques jours nous avons vu ce que mes collègues de méca avaient mis plusieurs années à ingurgiter en université. Mais c’est vrai qu’ils étaient bien jeunes alors à l’époque et que notre expérience nous permettait sans doute de faire infiniment plus vite. De toutes façons cela n’avait pas grande importance car on nous expliquait que ce que nous étions censé avoir compris nous n’aurions pas à l’apprendre à nos élèves. Bon ; à la finale je n’ai rien pu en retirer,trop rapide, pas le temps de valider les acquis par des exercices, des applications avec un prof qui vous aide, vous accompagne ; ça sert à ça un prof.

    Année scolaire 2010-2011 :Première rentrée des nouveaux sti2d. Ils sont gentils ses petits. On nous a expliqué qu’il fallait changer aussi nos méthodes pédagogiques. Mais on ne nous a pas expliqué ce qu’il fallait faire. Pas de formation prévue sur ces méthodes nouvelles pour nous, il faudra se débrouiller en allant voir ce que font les collègues qui les utilisent, si on en trouve. Reprise des formations ;dommage les modules ont disparus. Ce n’est peut être pas plus mal, pour ce qu’on y apprenait. A la place on travaille sur des maquettes, des systèmes didactisés, histoire d’essayer de mettre en place des embryons de séquence pédagogique. Un peu de saupoudrage sur des systèmes nouveaux également.  Finalement le principal profit de ces journées a été de ne pas être ; pendant ce temps ; devant nos élèves,à ne pas savoir quoi leur faire faire.

    Année scolaire 2011-2012 :C’est la première année de ce nouveau bac. Vu que l’on est sans doute maintenant trop formé, les journées prévues ont disparues. Moi j’ai l’amère impression que je me suis bien fait avoir. Il va falloir continuer devant les élèves avec les outils que j’ai, inadaptés aux nouveaux programmes. Miracle enfin d’année tous nos jeunes obtiennent « le précieux sésame » ;impression de gigantesque fumisterie.

    Parait qu’il y a pire ; dans certaines académies les formations ont été mises en ligne, aux collègues de se débrouiller avec. Çà sert à quoi alors un prof ?

    Mon quotidien maintenant ; je galère toutes les semaines pour trouver de quoi occuper mes élèves de terminale sti2d. Heureusement j’ai encore des heures de cours en BTS, sections dans laquelle je maîtrise le contenu. Ces heures sont mes plaisirs hebdomadaires, retrouver ce que je sais faire, le faire appliquer, l’expliquer,évaluer le niveau d’apprentissage. Pour les autres heures ; la majorité ; je résiste à l’envie de tout foutre en l’air. A cinquante trois ans, après plus de 25 ans dans le métier difficile d’espérer refaire carrière,même tout simplement un boulot sympa pour attendre la retraite. Un collègue de Marseille a trouvé sa solution, le suicide. Pas envie, j’aime la vie encore, ma famille. Et puis je ne me sens pas responsable de cette situation, alors pourquoi j’en paierai la note. Non je vais faire de mon mieux pour traîner ma lassitude jusqu’à la retraite. J’éprouve bien un sentiment de culpabilitévis-à-vis de ces jeunes à qui l’on ment sur leur formation, sur nos compétences. Mais qu’est ce que je peux faire de plus. Je me suis entretenu de ces problèmes avec mon directeur lors de la signature de ma note administrative. C’est un nouveau venu, il a semblé surpris de la situation, il a promis de se renseigner. Que pourra-t-il faire ? Même de bonne volonté.Il faudrait pouvoir nous libérer de cours pendant des mois afin de nous apporter un vernis suffisant de connaissances, un panier pédagogique et des éclaircissements sur ces programmes.

    Nous pouvons être inspectés.C'est-à-dire qu’un inspecteur de l’éducation nationale peut venir évaluer la qualité de notre travail. Normalement il peut en profiter pour nous apporter aussi de précieux conseils, dont nous nous devons de tirer parti. Si un de ces messieurs venait je risquerai d’être sévèrement jugé. Il ne me restera plus qu’à argumenter que c’est l’institution qui m’a placé dans cette difficulté. Ce qui ne l’empêchera pas, sûr de son autorité, de me faire un rapport défavorable, voire de baisser ma note.

    Voila, j’ai écrit ce texte histoire de libérer un peu de ce trop plein d’incompréhension qui me ronge. Histoire d’essayer de trouver une soupape pour ne pas m’aigrir davantage. Histoire de montrer au monde extérieur ; si quelqu’un me lit ; que le métier de prof peut cacher des problèmes insoupçonnés. On n’a pas vraiment entendu parler tout ça dans les médias. Encore une tare de l’enseignement technique, les collègues de prépa qui râlent, ça c’est accrocheur, les technos qui lâchent, ça ne doit pas intéresser grand monde. Juste pour terminer, j’utilise une analogie pour expliquer aux gens de mon entourage la situation telle que je la vit. Je me sens comme un boucher auquel on aurait montré les outils du boulanger en attendant très officiellement de lui qu’il fasse du bon pain. 

    • Viviane Micaud, le 10/11/2014 à 13:11
      Merci à Thierry pour ce témoignage. Merci au café pédagogique pour cet article remarquable. 
      J'ai le même diagnostic depuis que j'ai lu la lettre d'adieu du collègue de Marseille.
      Le problème n'est pas qu'on a demandé au personnel de changer de métiers, mais on les a mis dans une situation où ils ne pouvaient pas donner du sens à leur nouveau métier, car celui-ci n'en n'avait pas.
      La demande réelle de l'administration était qu'ils "affirment que les doctrines pédagogiques voulues en haut lieu étaient bien appliquées" (pas qu'elles le soient puisque tout la hiérarchie intermédiaire savait qu'elles étaient inapplicables), non pas de transmettre ou aider à construire des connaissances et compétences aux élèves. 
      Je ne comprends pas pourquoi, la ministre n'a pas nommé "un chef de projet mis à plat de la STI2D" directement rattaché à son cabinet pour résoudre les problème de fond. 
      Ce chef de projet doit capable de comprendre "ce qui permet de construire du sens au personnel" et quelles sont les "connaissances et compétences utiles aux gamins".
  • Nimier, le 21/03/2013 à 10:14
    On a peu conscience qu'une déstabilisation institutionnelle (réformes multiples...) peut entraîner une déstabilisation psychique chez certains enseignants et au moins une souffrance psychique chez les autres. Et pourtant, que ce soit dans l'apprentissage ou l'évolution d'une instittution il n'y a pas progrès sans une certaine déstabilisation ! Mais cette dernière demande "un accompagnement" pour être recevable; c'est cette aspect qui est le plus souvent oublié. On peut voir:
     - "La misère psychique"  http://www.pedagopsy.eu/ind_13_01.htm
     - "La personne comme système de tensions internes" http://www.pedagopsy.eu/tension_intrapsychique.htm 
    • Boumbadaboum, le 04/04/2013 à 23:16
      "Une certaine déstabilisation ???"

      Manifestement vous ne savez pas du tout de quoi vous parlez. Il ne s'agit pas du tout d'une certaine déstabilisation, mais d'une destruction de l'enseignement technique.

      Comme disait l'autre on va réindustrialiser la France... Sûr,demain on commence, mais demain seulement parce qu'aujourd'hui on a un léger problème...
    • colbair, le 25/03/2013 à 07:02
      Je trouve un peu présomptueux de commenter sans connaître réellement le problème.
      Progrès pour qui ? Pas pour l'enseignement technologique qui ne trouve plus sa place entre l'enseignement général et l'enseignement professionnel. Pas pour les élèves de ces filières, qui y trouvaient une voie de réussite, et qui ne se retrouvent pas dans cet enseignement trop conceptuel. Pas pour les industriels* qui ne se trouvent plus les techniciens dont ils ont besoin.
      *Les vrais, ceux qui savent ce qu'est une machine. Au passage, ce qui est dommageable, ce n'est pas l'apparition de l'ordinateur, familier depuis plus longtemps des filières technologiques que des filières générales, mais la disparition de la réalité de la production.
      Il est illusoire de penser que les cols blancs peuvent se passer des cols bleus.

      Quant aux enseignants, les champs disciplinaires traités sont trop vastes pour croire qu'une formation, quand elle existe, parviendra à en faire autre chose que des répétiteurs mal à l'aise au quotidien. C'est nier la profession pour une gestion à court terme de la masse salariale. Au demeurant, l'application de la réforme STI2D (qui garde des aspects positifs comme le projet), ne nécessitait pas un tel bouleversement de la nomenclature des enseignants.
      RL

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