Comment l'Education nationale sabote les réformes... 

Peut-on réellement changer l'Education nationale ? Au moment où l'Assemblée nationale adopte la loi de refondation, la mémoire collective n'a pas loin à chercher pour trouver des exemples de réformes ratées. Ce fut le cas dans une large mesure pour la loi de 2005 et sa principale mesure : le socle. Comment ça se passe ? Quels mécanismes , quelles situations génèrent ces échecs ? Peu de spécialistes ont travaillé sur ce sujet pourtant passionnant. Aurélie Llobet , université Paris Dauphine, a travaillé sur "la neutralisation" d'une réforme. Ecoutons la...

 

Dans un bel article publié par la revue Gouvernement & action publique de juillet septembre 2012, Aurélie Llobet étudie la mis en place du dispositif "ambition réussite". Impulsée en 2006 de façon brutale, la réforme arrive dans un collège où A Llobet suit de façon minutieuse la façon dont elle est appliquée et finalement "neutralisée". Au final la réforme est mise en place dans les apparences. Mais pour cela elle est largement vidée de son contenu et de ses objectifs.

 

Protestation larvée

 

Dans un premier temps la réforme qui est bombardée par l'administration, se heurte à une protestation larvée. Les assistants pédagogiques sont accueillis froidement. "Bien sur on les encadre", témoigne un enseignant, "mais on se limite, on se refuse à leur donner des préparations". Les enseignants boudent les nouveaux postes en même temps que l'administration exige des résultats. Pour le principal il est impératif de trouver des solutions. Il le fait en nommant sur des postes ambition réussite des enseignants qui souvent ne sont pas réellement en accord avec les objectifs de la réforme. "Le dispositif a du faire face à des formes de non coopération des enseignants". Cependant un peu de la réforme perfuse. "Le corps enseignant reproduit une partie des pratiques anciennes. Il revoit en parallèle des manières de faire. Il sont plus enclins à participer à des projets collectifs".

 

Des profs résistants à tout changement ?

 

"L'article relativise l'échec", nous a confié Aurélie Llobet dans un entretien. "Le dispositif contribue à modifier les manières de travailler. Sur le long terme, il s'inscrit dans une démarche de travail sur projet, de prise en charge de tâches annexes à l'enseignement.... En l'espèce, l'échec s'explique par la rapidité de la prise de décision et les modalités de mise en oeuvre. Rien n'a été défini en amont, la hiérarchie intermédiaire se voit confier l'application. Dans un tel contexte, l'incertitude est plus forte. Dans ce collège, il n'y a pas eu échange, pas de consultation. Des professeurs ont pris des postes mais se sont retrouvés seuls pour remplir les missions. Je crois que la consultation et la préparation des modalités de mise en oeuvre peuvent renforcer l'efficacité des réformes".

 

Le rôle central de la hiérarchie intermédiaire

 

"L'article montre que la hiérarchie intermédiaire a un rôle essentiel dans la mise en oeuvre", poursuit A Llobet. "La direction définit, sans consultation des enseignants, les postes Ambition-Réussite. Face aux délais serrés, ils ont du décider sans consulter. Cela a un effet très important, une partie des professeurs ne sait pas en quoi consiste la réforme.  Pour la direction de l'établissement, la réforme Ambition Réussite a été un moyen pour maintenir certains professeurs dans l'établissement. Dans un contexte de suppression de postes, la direction se sert de ces postes comme palliatif".

 

Consultation du terrain et fine connaissance des stratégies des corps intermédiaires semblent des facteurs clés pour l'application du changement. Des observations à méditer pour l'application de la loi d'orientation.

 

François Jarraud

 

Gouvernement & action publique, 3 juillet-septembre 2012

 

Le sommaire


Par fjarraud , le mercredi 20 mars 2013.

Commentaires

  • Nimier, le 20/03/2013 à 09:31
    Cet article est très intéressant, à mon avis, car il met le doigt sur les processus systémiques dans l'école. Nous n'avons pas,  à rejetter les échecs de rénovation sur les parents, les enseignants, le ministère, etc... mais à percevoir les processus systémiques sous jacent qui provoquent ces échecs. C'est comme cela qu'on aura une action efficace.
    A coté des processus décrits dans cet article il en existent d'autres que je décris dans cet article: "La dégradation des bonnes idées"
    http://www.pedagopsy.eu/degradation_bonnes_idees.htm 
    • Michel MATEAU, le 21/03/2013 à 11:45
      Toute réforme est systémique, par définition.
      Dire qu'une réforme bloque à cause du système n'éclaire pas beaucoup les choses me semble-t-il.
      Au contraire même, en laissant supposer l'existence d'un processus aveugle et d'une fatalité irréductibe, elle dédouane tout le monde. Personne n'est responsable, puisque c'est le système qui l'est. C'est l'ultime mauvaise foi, le dernier voile posé sur le refus et le conservatisme.
      Depuis... presque toujours dans le système éducatif, je n'ai jamais vu de rouage, de morceau, de bout, de piston...de système mais des hommes et des femmes. Des hommes et des femmes dont certains qui acceptent volontiers de faire évoluer leur façon de travailler et beaucoup qui ne l'acceptent pas.

    • maria1958, le 20/03/2013 à 09:45
      Sans avoir lu l'étude d'Aurélie Llobet, et donc sans préjuger de ce qu'elle en dit, il faudrait quand même s'entendre sur un point:  
      "Les réformes", ça dépend lesquelles.... et dans quel sens elles vont ! 

      Dans mon collège les enseignants ont collectivement résisté à Ambition Réussite et l'ont soigneusement vidé, au prix d'une vigilance constante, de tout ce qu'ils ont jugé pernicieux pour les élèves et pour le travail d'équipe. Ils sont partis du principe qu'en Education prioritaire, les élèves avaient droit autant (voire plus) qu'ailleurs à des profs qualifiés, et que la solution ne consistait pas à sous-traiter la difficulté scolaire à des personnels peu diplômés, non formés et précaires (les assistants pédagogiques). 

      S'ils n'avaient pas cadré strictement l'utilisation des AP, on aurait eu dans ce collège la même dérive que JY Rochex a constatée dans de nombreux établissements de l'Education Prioritaire, où une une part croissante du temps scolaire est pris en charge par des personnels moins qualifiés que dans les établissements de centre ville. Le problème, ce n'est pas "la" réforme en soi, c'est de savoir si on admet que les enfants de pauvres aient un pauvre collège ? Ne pas l'admettre n'est pas une posture assimilable à un refus de changer ou au corporatisme borné dont les enseignants sont parfois taxés un peu vite....

      Ambition Réussite n'a pas seulement été un dispositif imposé: les critères d'implantation ont été largement arbitraires, discutés nulle part, et le dispositif ne répondait en rien aux demandes formulées par les équipes de terrain (en particulier il laissait entier le besoin d'une décharge de service pour concertation pour tous les profs). 
      Quand l'IA adjoint est venu présenter la chose, la réaction de la salle des profs a été unanime et homérique, tant les attentes étaient déçues. 
      Quand des propositions constructives ont néanmoins été formulées pour choisir intelligemment le profil des référents, elles ont été mises au panier car non conformes à ce que la hiérarchie devait de toute façon imposer....

      Quand le collège a été d'office classé ECLAIR, ce fut le même dialogue de sourds: vote contre en CA, passage en force du rectorat, résistance opiniâtre au quotidien pour préserver vaille que vaille un fonctionnement conforme à l'éthique professionnelle, aux solidarités collectives et aux droits de nos élèves. 

      Il est préoccupant de constater, près de dix mois après l'arrivée du nouveau gouvernement, que ECLAIR, pourtant largement rejeté et clairement inefficace au vu de la dégringolade des performances des élèves concernés, est toujours en place et apparemment pour quelques temps encore ? 

      La suppression de ce dispositif éviterait que les postes profilés y restent bêtement vacants ce qui n'arrange pas la fameuse stabilité des équipes, et changerait l'atmosphère partout où le management a instauré un climat délétère. 

      Ca serait déjà un progrès... et pour un coût budgétaire zéro..... donc le changement, c'est pour quand ?

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