Plaidoyer pour une oubliée : La formation continue des personnels 

Pour Christian Alin, spécialiste de la formation des enseignants, " la formation continue des personnels est toujours, en état de coma profond". Tout a été dit sur ce qu'il fallait faire. Mais la réforme de la formation continue se heurte aux lobbys professionnels... Le moment du courage est pourtant venu...

 

 « Il ne faut pas bouder notre plaisir », souligne Ph. Meirieu . Ce projet de loi sur la refondation de l’école « constitue une vraie bouffée d’oxygène pour un système au bord de l’asphyxie. Pour autant,  Philippe Meirieu  précise que « globalement, le projet de loi qui nous est proposé aujourd’hui n’est pas à la hauteur des besoins éducatifs de notre société... ». Il néglige, en particulier, la formation continue qui est « le cœur du réacteur » de l’évolution de l’école. « Il ne prend aucune disposition particulière pour la formation continue! C’est un oubli préoccupant : les ESPE  formeront 30 000 enseignants par an tout au plus, alors que c’est près d’un million d’enseignants et de personnels en activité qui doivent avoir droit à une formation continue  de qualité !

 

La formation continue une arlésienne et/ou une délaissée permanente

 

On en parle, on l’appelle, on la couvre de bonnes intentions. Le projet de loi, une fois de plus l’inscrit dans ses énoncés (article  L 721.2). Force est de constater  que ses missions et ses moyens restent dans un grand flou. La formation professionnelle continue est considérée comme une obligation professionnelle pour les enseignants dans plus de 20 pays et régions d’Europe. En France, aux Pays-Bas, en Suède, en Islande et en Norvège, par exemple, elle constitue une obligation professionnelle mais, dans la pratique, la participation est facultative.  Surtout, un état des lieux dans les pays européens  sur les vingt dernières années fait apparaître une réduction des efforts dans cette direction . Déjà en 1981 De Peretti   écrivait « l’effort total accompli représenterait pour les dépenses constatées en 1980, 1,50% de la masse salariale (chiffre sans doute optimiste), soit un peu plus que ce qui est exigé actuellement en raison de la loi de juillet 1971 (dont on sait, toutefois, qu’elle prévoyait la croissance de ce pourcentage à 2%), mais par ailleurs beaucoup moins que le pourcentage affecté actuellement par de grandes organisations à une action du même ordre (6,18% à EDF – 6, 10% Chez IBM – 4, 36% à la Banque de France – 3, 5% à Elf-Aquitaine et 2% Chez Renaud. En 2013 le budget alloué pour la formation continue est  depuis de nombreuses années en constante régression alors que celui de l’EDF, par exemple est passé  à 7%. 

 

Savary, De Peretti, revenez vite c’est urgent !

 

Malgré vos formidables et pertinentes recommandations et 30 ans après, la formation continue des personnels est toujours, en état de coma profond. Seule période de notre longue histoire de l’enseignement pendant laquelle elle a pu ouvrir les yeux, suite au rapport demandé en 1981 par le ministre Alain Savary à la satisfaction du monde de l’éducation et de la formation, le temps oublié, valeureux et plein d’innovation des MAFPEN.

 

Relire le rapport d’André De Peretti et constater que ses propositions en matière de formation initiale anticipent une formation universitaire et professionnelle à bac+5, animée par un établissement universitaire professionnalisant. Toutes les problématiques actuelles de l’éducation et de la formation au cœur desquelles est défendue, prônée une formation en alternance intégrative sont présentes. La recherche en Education et en Sciences de l’éducation en lien étroit avec des professionnels et des formateurs de terrain est appelée. Autrement dit, dés 1982 ce rapport proposait déjà des ESPE. En revanche, il écrit : « La formation initiale dans tous les domaines – et quelles que soient les transformations réalisées- ne peut suffire si elle n’est pas prolongée avec vigueur par la formation continue.» 

 

Rappelons les  principales propositions du rapport 

Il importe d’organiser avec rigueur des actions de formation continue qui puissent toucher chaque année la plus grande partie des effectifs par des actions directes et indirectes méthodiquement préparées et cohérentes.

1-         Il convient au niveau financier, de porter dans un temps bref les crédits de formation continue  à un montant atteignant au moins 3% de la masse salariale en prévoyant une montée ultérieur à 5%.

2-         Ces perspectives appellent comme condition

a.         L’annonce solennelle du droit à 2 semaines/année de formation continue sur le temps de service.

b.         La prise de disposition en faveur des personnels qui n’auraient pas pu bénéficier du droit légitime à une formation continue correspondant à leurs fonctions au moment de leur prise de service.

c.         Soutenir et solliciter toutes les actions de formation continue hors temps de service comme celles qu’organisent les universités ou les mouvements associatifs .

d.         En vue d’assurer l’organisation technique d’actions de formation solidement préparée, il est indispensable de mettre un réseau qui relie étroitement tous les moyens en chercheurs et en formateurs, ainsi que  toutes les logistiques qui existent aux plans local et régional (universités, associations de spécialistes, mouvements pédagogiques, CRDP et CDDP, corps d’inspection, Ecoles normales, Centre de formation de PEGC, équipe académiques de la vies scolaire, CASFA, CAFOC, ainsi que des établissements relevant d’autres autorités, etc.

e.         Enfin, le rapport précise qu’une telle ambition doit s’accompagner de moyens propres de remplacement. Il en souligne les difficultés quant à la charge économique mais propose aussi des solutions pouvant diminuer le coût supplémentaire.  (emploi du temps souple, formation sur établissement,  formation de secteur et/ou de territoire, Universités d’été)

 

Formidable vision que ce rapport, tout est dit ! Depuis 1982, tout est déjà dit et la problématique proposée reste d’une formidable actualité et pertinence. Mais encore, il poursuit : « L’organisation d’un tel réseau s’inscrit dans la politique de régionalisation du gouvernement. Elle suppose, en vue d’assurer la régulation scientifique et méthodologique des actions, un centre régional suffisamment étoffé ayant pour directeur ou président un professeur des universités. Cette proposition donnera feu les MAFPEN, Mission Académique de Formation de Personnels de Education Nationale. Autrement dit, les missions dévolues en 2013 aux ESPE ne font que reprendre les problématiques d’un rapport qui date, je le rappelle, de 1982.

 

Alors, comment comprendre un tel état de fait ? Comment se fait-il que 30 ans après les discours des chercheurs, des experts et des enseignants lambda s’accordent sur la pertinence des problématiques évoquées par ce rapport et que rien n’est bougé. Une telle situation, au-delà même des politiques économiques malthusiennes (à droite comme à gauche) qui ont freiné et drastiquement réduit la formation continue des personnels de l’éducation nationale est-elle condamnée qu’à n’être que la courroie de transmission des prescriptions programmatiques de la hiérarchie ? Est-elle condamnée à continuer en ne jamais pendre en compte les besoins et les difficultés individuelles et/ou collectives, locales et/ou génériques, voire les souffrances des personnels au quotidien ? Urgence aussi à prendre en compte les nouveaux enjeux sociétaux qui se sont révélés depuis. (Inter-culturalité, citoyenneté, laïcité, problématique de genre, inclusion des enfants à besoins particuliers, handicap, violence, éducation à la santé, éducation au développement durable, problématique écologique et bien sur l’échec dit « scolaire ».

 

Alors, bien sûr nous devons plaider…

-           Pour la reconnaissance professionnelle du métier d’enseignant

-           Pour une formation universitaire professionnelle de qualité

-           Pour une articulation Recherche-Formation- Innovation

-           Pour une démocratisation et une autonomisation de la formation continue

 

Mais permettez-moi aussi de craindre …

 

Permettez-moi de craindre les jeux de territoires et de défenses corporatistes  qui se profilent dans cette période critique de la refondation de l’école et de la formation des enseignants au détriment des défis qui se posent à l’éducation et à la formation du 21e siècle. Chacun cherche à servir et à défendre en priorité son pré-carré.

 

Du côté de l’université et de ses enseignants

-           Les disciplines académiques ont peur que leur importance, leur influence et leur place dans une maquette de Master qui intègre du professionnel diminuent.

-           Les présidents d’université vont-ils laisser les missions des  futurs ESPE être dépecées par les UFR et par les disciplines ou bien vont-ils au contraire tenter de faire en sorte que les  personnels des ex-écoles internes (IUFM) puissent jouer leur rôle de coordination et de cohérence. Vont-ils  mieux encore tenter de créer une véritable faculté d’Education, de formation et de recherche, rassemblant tous les potentiels et toutes les compétences de l’université dans une structure unique et nouvelle ?

 

Du côté des futurs ex-IUFM et de ses enseignants

Sans conteste les IUFM n’ont pas réussi cette ambition de culture commune et de partage qui avait été déposée au berceau de leur création. Il faut se rendre à l’évidence, sauf dans de très rares endroits et dans de très rares moments entre les anciens, les formateurs de feu l’école normale, les nouveaux formateurs permanents ou associés et les universitaires la mayonnaise d’une formation universitaire et professionnelle, comme l’incitait le sigle IUFM lui-même, n’a pas pris. Pire la crise actuelle de divers changements à la hussarde qu’ils vivent a accentué les divisons et la  défiance entre les trois communautés. Les PEIMF ont retrouvé la mise totale de leur intervention sous l’autorité statutaire du seul rectorat et perdu l’autorité et la liberté pédagogique  que leur procuraient les IUFM. Enfin les universitaires des IUFM restent toujours en quête, parfois obsédante, d’une place parmi les autres universitaires qui, il faut bien le reconnaître, les considèrent comme des universitaires de deuxième division pour employer une métaphore sportive ; ce qui a pour conséquence une très faible implication  de leur part dans l’enseignement et la formation.

 

Du côté de l’inspection

Dans un pays jacobin comme la France, la  volonté de garder, à tout prix, le pouvoir de l’emprise disciplinaire et de la pression hiérarchique sur la formation des enseignants n’est jamais loin. Face à la réalité et à la complexité du métier, cette posture classique et traditionnelle risque de mettre en péril, non seulement toute collaboration interdisciplinaire mais aussi la marge de liberté, d’auto-formation qu’avaient, en son temps, organisée les MAFPEN. Redonner à la seule inspection le monopole de la formation des enseignants et des personnels serait à notre avis une erreur et une faute face au principe de démocratisation, de délocalisation et de subsidiarité que le rapport De Peretti avait  posé comme décisif pour entrainer les enseignants et les personnels à se former. 

 

Du côté des syndicats

Je suis pessimiste quant à leur capacité à accompagner, pour certains, véritablement les enjeux de la refondation de l’école. Certains d’entre eux, face aux incertitudes et aux prises de distance de leur base et que par ailleurs on peut comprendre, ont déployé des arguments discutables. De mon point de vue ils fragilisent temporairement des réformes, pourtant attendues depuis longtemps, et pour lesquelles ils avaient apporté leur aval. Ce qui se passe actuellement pour les rythmes scolaires en atteste.

 

Le pessimisme de la connaissance n'empêche pas l'optimisme de la volonté

 

Enseigner est certes un métier qui s’apprend mais c’est aussi un métier qui doit continuer à s’apprendre. L’auteur de ces lignes a consacré sa vie professionnelle aux liens qui lient la recherche, la formation et l’innovation . Malgré tous les nuages qui s’accumulent, ces jours, sur la refondation de l’école et en particulier sur la formation initiale et continue des enseignants, il veut croire que l’intérêt  et l’ambition de la réussite scolaire de nos enfants, de nos élèves, de nos étudiants, prévaudront sur les luttes de territoires des uns et des autres et que la formation continue pourra apporter à tous les personnels et intervenants l’expertise et le bonheur d’agir qui font la vie de tout métier. En cette fin d’article, je ferai donc mienne la célèbre formule d’Antonio Gramsci, tout en demandant à chacun,  particulièrement dans cette période de crise politique, économique, écologique et quelle que soit sa place et sa fonction de participer à une éducation au courage .

 

Christian Alin,

Professeur d’université émérite en Sciences de l’éducation – UCBL Lyon1 CRIS EA 647

 

Christian Alin est l'auteur de "La geste formation, Gestes professionnels et analyse des pratiques", L'Harmattan, 2010.

 

Analyse de cet ouvrage

 

Par fjarraud , le mardi 19 mars 2013.

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