Réforme de l'Ecole : mauvais cap  

Mais qu’allaient-ils faire dans cette galère ? La réforme des rythmes scolaires est-elle devenue médiatique parce que c’était le souhait du gouvernement (afficher un signe tangible du « changement » rapide et visible de tous) ou parce que les simplifications médiatiques ont, dès le lancement de la « concertation », focalisé sur cet aspect « vendeur » plutôt que de creuser les conditions complexes de la formation ou de la réussite des élèves ? Bien malin qui saurait trancher dans l’alternative. Toujours est-il qu’on sent poindre un risque majeur pour le gouvernement : le blocage et le raidissement, alors que personne n’ignore que la « mobilisation » des enseignants (et des cadres de l’éducation) est LA condition essentielle d’une réforme réussie, c’est-à-dire qui fasse progresser l’Ecole.

 

Pour éclairer la réflexion ( ?), tentons quelques rappels, cependant :

-    depuis le début des discussions et négociations, jamais les acteurs n’ont été réunis ensemble pour négocier. Le vaillant Julliard peut clamer dans le Progrès qu’ « il y a besoin de mettre de nombreux partenaires autour de la table : enseignants, parents, collectivités locales », jamais le ministère ne l’a organisé, prenant le risque de laisser dans l’ombre les problèmes « à régler », entre ceux des élus qui attendaient la réforme des rythmes dans le cadre d’un « projet éducatif territorial » susceptible de renforcer leur pouvoir dans l’Education, les services académiques comptables de l’équité du service public, et les enseignants peu enclins à négocier leurs horaires de travail avec les mairies, et souhaitant revenir sur les réformes Darcos (aide personnalisée notamment). Les négociations bilatérales ont (comme toujours) cherché à maintenir les ambiguïtés entre des promesses opposées, plutôt que d’engager les acteurs à chercher des compromis comme on le demande aux partenaires sociaux du privé !

-    fatigués d’une décennie difficile à tous points de vue, que le rythme à quatre jours avait rendue encore plus intenable, les enseignants des écoles attendent des preuves de la priorité au primaire. Mais même si chacun a compris que la promesse des 60 000 postes ne se confondait pas avec la corne d’abondance, le sentiment d’une réforme en demi-mesure des rythmes a enflé. Rappelons que contrairement à ce qui est cité dans la presse, la question de l’organisation des rythmes (journée, semaine, année) n’est absolument pas consensuelle, comme l’ont notamment montré plusieurs enquêtes en 2012.

-    Les élus eux-mêmes, y compris ceux de gauche, ont compris que la mise en œuvre de la loi allait leur poser de nouveaux problèmes (économiques, pédagogiques, de recrutement, de cohérence du projet local…) que beaucoup pensent ne pouvoir résoudre sans risquer les dérapages incontrôlés. Il suffit d’avoir été une fois dans une cantine mal encadrée pour savoir combien une mauvaise gestion d’un temps de midi allongé pourrait être génératrice de problèmes multiples…

 

Dans ce contexte, la visibilité parisienne de la fronde des instits pose, comme toujours, aux syndicats de redoutables questions : fustigés par la presse comme le dernier bastion de l’immobilisme, ils doivent être audibles devant une opinion publique aux prise avec la précarité et le chômage massif, tout en étant en mesure de proposer des solutions alternatives susceptibles de sortir d’une crise que souhaitent aiguillonner tous ceux qui pensent que le gouvernement est prisonnier de sa ligne sociale-libérale. Redoutable question dont on sait que la puissante Fédération de l’Education Nationale, dans les années 80 et 90, ne put se relever tant elle fut suspectée d’être à la remorque des politiques mittérandiennes. Et éternel dilemme du dialogue social à la française, quand l’Etat hésite à donner à ces « corps intermédiaires » la force d’une négociation « gagnant-gagnant », quand il cède aux petites négociations de couloir avec ses lobbys les plus influents.

 

C’est sans doute aussi la faiblesse d’une organisation de l’Etat qui, s’il veut continuer à peser sur l’action publique et le destin du pays, doit se donner les moyens d’une technostructure capable d’agir autrement qu’en attendant de mythiques fumées sortant des conclaves ministériels. Il est frappant de voir comment, aux niveaux académiques et départementaux, la mise en œuvre des grandes orientations fixées à Paris en reste trop souvent à l’exécution bureaucratique d’une commande, renforcée par le pouvoir exhorbitant pris par les « secrétaires généraux » dans l’utilisation des moyens pédagogiques. A ce titre, ce que vont devenir les moyens octroyés pour les maîtres surnuméraires, la formation, la politique de l’éducation prioritaire ou la scolarisation des jeunes enfants auront sans doute beaucoup plus d’impacts sur les apprentissages des élèves que les conséquences de la réforme des rythmes.

Mais de cela, personne ne parle. Ca n’intéresse pas les journaux, sauf ceux qui osent encore affronter le complexe de l’action publique, notamment en matière d’éducation. Ils se comptent, en France, sur les doigts d’une main.

 

Marcel Brun

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 28 janvier 2013.

Commentaires

  • lebon, le 29/01/2013 à 19:26
    Vive la réforme
    Il parait que les communes vont proposer aux élèves des activités artistiques et sportives à l'école? C'est très bien! L'enseignant que je suis, s'en réjouit, car il n'aura plus à le faire...Je vais donc m'empresser de liquider mon Association Sportive (USEP, tiens on ne les a pas entendu...) et laisser faire les pros! C'est bête car j'étais bénévole et  l'AS était autonome car structurée en association Loi 1901. De toute façon, avec le mercredi au boulot et les samedis en conférence pédagogique, plus les réunions; cela ne sera plus possible. D'autant que ça commençait à me gonfler de devoir chercher des sous au lieu d'aller à la plage comme les autres. Mais bon !
    Il faut bien reprendre de la main gauche ce qu'on me prend de la main droite. Par la même occasion on fermera la coopérative, histoire de récupérer encore un peu plus de temps. Autant aussi, être sûr que ce ne seront pas les parents et les enseignants qui financeront par exemple les projets école/collège ou les APC. 
  • Foucher95, le 28/01/2013 à 12:22

    Pour rebondir sur le commentaire de David et Michel, il me semble que l'on peut pointer des rouages, mais comme tels ils ne sont pas tant responsables de la culture qui les a mis en une telle posture...

    Il me semble qu'aujourd'hui, l'illusion technico-pragmatique se révèle peu à peu, et les déboires de sa mauvaise application au modèle politique français.
    Quand le réel nous impose notre conduite*, quand le faire prime sur la pensée et le politique, quand les procédures priment sur les principes, quand l'outil (notamment numérique) démultiplie l'action humaine jusqu'à l'étouffer... Le modèle français y perd son esprit.

    La France raisonneuse, abstraite, aujourd'hui culpabilisée, a plongé les yeux fermés dans ce modèle entrepreneuriale anglo-saxon. Un modèle associé à des systèmes éducatifs libéraux, décentralisés. La France a-t-elle pris la mesure de l'importation d'un tel modèle au sein d'un système éducatif nationalisé, hyper centralisé ? A-t-elle pris la mesure du risque qu'il y avait à armer ainsi une telle puissance publique ?

    Dès lors, faut-il libéraliser pour atteindre par exemple le niveau de délitement du système éducatif américain ? Ou réintroduire du politique ? C'est à dire de l'espace de responsabilité et de décision pour chacun ?

    Pour les rythmes scolaires, en imposant au marché du tourisme, une politique éducative un minimum mieux annualisée. En commençant aussi par respecter l'esprit d'un modèle pragmatique qui avance par essais, expérimentations. Pourquoi imposer si vite un fonctionnement à tous, comme les précédents ministres, et ne pas plutôt proposer aux Régions, Académies, aux enseignants d'être acteurs d'une expérimentation dans le cadre d'un plan de déploiement à terme qui resterait national et qui associe d'ores et déjà tous les partenaires actuels ?

    Enfin oui redonner place au politique, mais à laquelle? La dérive médiatique apportée au politique et accélérée depuis quelques années, met en danger l'école elle-même à trop vouloir la sauver. Le politique sur-investit l'école. Que la société s'interroge sur son rapport calamiteux à la culture avant de réclamer au politique de sauver l'école. Que l'obsession des rythmes soit un peu nuancée par le projet d'une société d'apprendre, de progresser dans les sciences. Adapter l'école au réel biologique des enfants, c'est heureux, à condition de mobiliser aussi sur le fait que oui la douleur d'apprendre est un bien, une politique même.

    Ni une droite pour laquelle le travail n'aurait de valeur que marchande, ni une gauche en perte de lien avec le monde du travail, ne sauraient en faire une politique éducative affirmée. Et on voit bien hélas combien cette dimension absente de la refondation de l'école en rend le projet vain.

    * Lire « La politique des choses » de Jean-Claude Milner, Édition Verdier.

  • MichelS, le 28/01/2013 à 08:58
    Bravo de pointer le rôle exorbitant de la nomenklatura administrative du Ministère et des secrétaires généraux des académies qui ont confisqué aux politiques le pouvoir et en tout cas supplanté le pédagogique au profit de l'administratif. Et les DASEN sont maintenant à leurs ordres, car "agissant sur délégation du recteur".
    Michel SOUSSAN ex-IA-DSDEN
  • David, le 28/01/2013 à 08:47
    Excellente analyse. Le dernier paragraphe en particulier, avec "l'exécution bureaucratique d'une commande" et l'opacité totale quant à l'attribution des moyens montre bien que le problème actuellement, plus que les textes du ministère ou les résistances des enseignants, se situe pour une large part au niveau de l'encadrement, que ce soit dans les rectorats ou les DASEN (ex IA...)

    Comme cela fait une bonne quinzaine d'années que la seule vertu recherchée à ces niveaux est l'obéissance, et l'obéissance "perinde ac cadaver", il ne reste plus guère de place pour la réflexion, l'autonomie, l'initiative, l'invention, le plaisir, bref la vie, ne restent que les contraintes hiérarchiques qui finissent pas rendre redouté tout changement venu d'en haut, quel qu'il soit...

    Je m'étonne que ce facteur soit aussi peu relevé dans les articles ou ouvrages sur l'école, c'est pourtant me semble-t-il une piste à ne pas négliger.
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