Pourquoi le redoublement est-il encore apprécié par les enseignants ?  

Si le redoublement dure c'est peut-être qu'il est utile. C'est la thèse défendue par Hugues Draelants, un chercheur belge, en 2006 à propos des enseignants. Pour lui, si les enseignants tiennent au redoublement c'est qu'il les arrange pour garder la main sur l'Ecole.

 

"Se prononcer pour la suppression du redoublement au motif selon lequel il est « inefficace » – à cet égard le constat des pédagogues et chercheurs en éducation est sans appel – revient à dire que la danse du serpent des indiens Hopi (une des cérémonies amérindiennes les plus spectaculaires) pour faire venir la pluie ne sert à rien. Or, par un tel jugement, on manifeste simplement son ignorance et son incompréhension des rituels amérindiens et plus largement de la place du symbolique dans les sociétés traditionnelles… Il s’agit de rechercher la ou les fonctions latentes du rituel". La comparaison de Hugues Draelants, du Girsef, peut choquer. Elle éclaire sur le redoublement.

 

L'auteur ne cherche pas à démontrer l'efficacité pédagogique du redoublement. Son inefficacité est démontrée par de nombreux travaux. Ainsi, dans une publication de l'Iredu, Thierry Troncin jugeait le redoublement "une solution injuste, inefficace sur le plan pédagogique et coûteuse". Il montrait que les redoublants de CP "resteront plus faibles que leurs pairs" tout au long de leur scolarité : seulement 1 sur 10 obtiendra un bac technologique ou général. D'ailleurs la plupart des pays européens l'ignorent. Mais chez ceux qui le pratiquent (la France, la Belgique, l'Allemagne, l'Espagne), parents et enseignants lui restent fortement attachés.

 

Pourquoi les enseignants résistent-ils à la suppression du redoublement ? H. Draelants étudie les réactions des enseignants belges face à une tentative de faire disparaître le redoublement au primaire. Pour lui, s'il se maintient contre vents et marées, c'est tout simplement parce qu'il a son utilité. " Le redoublement fait l’objet d’un attachement social important et est une pratique difficile à abolir. D’une part, car nombre d’acteurs scolaires continuent à croire dans l’efficacité de la fonction manifeste, on l’a vu. D’autre part, peut-être plus fondamentalement, car le redoublement servait et sert toujours en Communauté française belge (là où il n’est pas interdit) à assumer une série de fonctions latentes". Il en distingue quatre : "une fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements ; une fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe ; une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants". "En l’absence du redoublement, les enseignants se plaignent en effet du défaut de motivation induit auprès des élèves, il devient (encore plus) difficile de les faire travailler. Ce type de réaction… traduit ainsi le problème d’une relation de longue complicité entre le principe de la menace et le système scolaire qui a été observée en Belgique francophone. La remise en cause du redoublement, bouleverse donc les rôles jusque là établis et soutenus par ce dispositif et redistribue les cartes du pouvoir. Les enseignants ressentent en effet des problèmes d’autorité…, ce qui apparaît fortement déstabilisant".

 

Cette déstabilisation rejoint d'autres exigences nouvelles qui touchent le métier d'enseignant. H. Draelants rejoint ici les travaux de Maroy qui analysent la résistance aux réformes comme une réaction à une forme de dépossession professionnelle. "L’interdiction du redoublement au sein du premier cycle participe de fait avec d’autres mesures – instauration d’un droit de recours face aux décisions du conseil de classe ; complication de la procédure d’exclusion ; règles très précises aux refus d’inscription – à priver les établissements et les enseignants de leurs instruments de régulation ordinaire. Face à cette abolition des anciens repères, certains enseignants résistent afin de conserver la maîtrise de leur profession. Ainsi, l’attachement manifesté par les enseignants vis-à-vis du redoublement peut aussi se comprendre comme l’expression d’un groupe professionnel qui revendique le maintien de son autonomie et une certaine vision de ce que l’Ecole doit être. Le redoublement apparaît en effet comme un des instruments de la sélection méritocratique qui, elle même, symbolise un certain pouvoir enseignant et modèle de fonctionnement du système scolaire aujourd’hui en crise".La défense du redoublement par les enseignants est donc liée à la défense de l’ « autonomie relative » de l’Ecole par rapport au politique et par rapport aux chercheurs et experts qui inspirent celle-ci, voire par rapport aux parents ou au « marché »".

 

Ce mouvement de réaction n'est pas sans rapport avec d'autres formes de résistance aux évolutions sociales voire technologiques. Il illustre la crise globale de certaines sociétés européennes. Pourtant seuls ses acteurs peuvent changer l'Ecole...

 

François Jarraud

 

Etude de H. Draelants


Par fjarraud , le mercredi 12 décembre 2012.

Commentaires

  • Foucher95, le 13/12/2012 à 22:52

    Ni pour la suppression du redoublement, ni pour les % atteints actuellement. Les enseignants du service publics français sont infantilisés par toutes sortes de dispositifs dans lesquels ils ne sont qu'exécutants. Un symbole du ressenti des enseignants concernant le redoublement : lors des commissions d'appel pour les décisions de passage, les familles peuvent être présentes, mais aucun enseignant n'a le droit d'y assister pour représenter la proposition du conseil des maîtres...

    Aucune culture de la réduction des redoublements ne pourra se faire sur de telle base. Le taux de redoublement restera tributaire du seul niveau (variable selon les politiques nationales et locales) de volontarisme et de coercition de l'institution...
    « Pourtant seuls ses acteurs peuvent changer l'Ecole ». Oui, remettons les enseignants en position d'être des acteurs.
  • JULIEBA, le 12/12/2012 à 22:57
    Ces deux articles sur le redoublement, publiés sur le cafépéda, je n'en reviens pas!!!

    Comment peut-on laisser entendre que les instits seraient de vrais pervers prenant du plaisir à jouer avec la scolarité de leurs élèves ! C'est une honte de tenir un tel discours pour cautionner la décision du ministre de supprimer le redoublement.
    Que l'on dise que le redoublement a ses limites, que ce n'est pas une mesure dont on peut se satisfaire, ou encore que c'est une mesure coûteuse... soit !

    Aviez vous vraiment besoin d'autres arguments pour vendre cette suppression ?

    Il est inadmissible de dire que ceux qui s'opposent à sa disparition le font pour les motifs que vous évoquez !!!!

    C'est montrer beaucoup de mépris aux nombreux enseignants qui travaillent chaque jour pour permettre à chaque élève d'avancer et c'est occulter le fait qu'aujourd'hui, notre école ne propose rien d'autre pour respecter les différences de rythmes d'apprentissage des enfants !
    Commençons par reconnaître ces différences, cessons avec le "politiquement correct" qui a transformé notre école en un moule où malheureusement ceux qui ont la tête qui dépasse doivent se tordre pour y rentrer! Accordons à chaque enfant la possibilité d'avancer à son rythme et nous n'aurons plus à parler de redoublement!

    J'offre à tous ceux qui passent par ici un lien vers un article qui ne cherche pas à transformer la réalité pour faire passer la pilule de la suppression du redoublement sans proposition véritable pour les enfants qui ont besoin d'un autre temps...

     http://www.formapex.com/evaluation/551-synthese-sur-le-redoublement
  • Paul Pichaureau, le 12/12/2012 à 19:58
    Je lis d'affilée deux nouvelles sur le café pédagogique :

    - « PIRLS 2011 : La France déclassée en lecture »  La France obtient un score de 520 loin derrière la moyenne européenne (534) ou celle de l'OCDE (538). Seuls la Belgique francophone, l'Espagne, la Norvège, la Roumanie et Malte sont derrière nous en Europe. 

    - Redoublements : Mais chez ceux qui le pratiquent (la France, la Belgique, l'Allemagne, l'Espagne), parents et enseignants lui restent fortement attachés.

    Étrange, on retrouve 3 pays dans les deux cas... Y aurait-il un lien ? Des études ont-elles été faite entre le redoublement et l'apprentissage de la lecture ?
  • David, le 12/12/2012 à 08:27
    Tout à fait d'accord avec l'auteur. Je propose une piste que j'ai expérimenté depuis le tout début des années 2000 dans la circonscription du premier degré dont j'ai la charge. Ne pas interdire le redoublement mais proposer aux équipes d'écoles d'avoir (en quelques années bien sûr) la même proportion d'élèves en avance ou en retard d'un an.

    J'ai moi même redoublé étant au collège (même les inspecteurs peuvent avoir eu des parcours scolaires non lisses) et je connais pour ainsi dire intimement le traumatisme et l'inefficacité de la méthode. Je crois par contre qu'il n'est pas sage de priver des professionnels de leur autonomie.

    Au final en dix ans les redoublements sont devenus une quasi exception, il y a par école une égalité presque parfaite entre élèves en retard et en avance. Et tout ceci parce qu'on ne retire pas aux enseignants un pouvoir, on leur propose de l'exercer différemment. Dans les deux sens pour ainsi dire.

    Je suis bien sûr disposer à échanger plus longuement avec les personnes intéressées.

    Bien cordialement,

    David Lefebvre
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