Yves Poncelet : " Nos préconisations incitent à un enrichissement et à une rationalisation des textes cadrant la fonction enseignante" 

Rapporteur du rapport sur le travail enseignant, Yves Poncelet revient sur la façon dont ce rapport s'est construit et sur ses suites dans le contexte de refondation de l'Ecole.

 

Le rapport effectue un décompte très précis du travail enseignant.  Pourquoi est-ce nécessaire alors que des études (DEPP etc.) ont fixé déjà les quantités ?

 

Dans sa première partie, le Rapport exploite une documentation déjà existante et l’inscrit dans une réflexion globale : le décompte très précis évoqué n’est donc pas le résultat d’une enquête menée par la mission pour se substituer aux études précédentes mais la mobilisation de ces études, comme c’est le cas aussi pour les différents rapports commandés et rédigés des années 1970 à la fin des années 2000.

 

Tout ceci n’empêche pas la mission de constater que l’on ne dispose pour le Premier degré que d’une enquête ancienne, parue en 2001, et donc nettement antérieure aux textes en vigueur depuis l’été 2008.

 

Avez-vous fait des trouvailles ?

 

Des trouvailles absolues, je ne crois pas. Mais des confirmations contextualisées d’une part, des inflexions d’autre part. La mission a par exemple saisi, grâce aux nombreux entretiens menés, le rôle croissant de la fonction de professeur principal parmi les composantes du métier d’enseignant. Au total, nous avons essayé de montrer que les composantes professionnelles du métier d’enseignant sont assez bien documentées, même si l’on peut encore progresser, et qu’il s’agit de s'emparer de ce matériau, que nous avons enrichi, pour conduire une réflexion à nouveaux frais.

 

Votre rapport fait le constat d'un alourdissement du travail enseignant aussi  bien dans le premier degré (avec par exemple le poids des programmes de 2008 ou de l'accompagnement personnalisé) que dans le second degré (avec l'explosion des emplois du temps, le poids des nouveaux dispositifs etc.). Vos préconisations apportent elles des réponses sur ce point ?

 

Avant d’apporter des réponses, il fallait opérer un constat, l’argumenter le mieux possible, le relier à des observations conduites auparavant par d’autres acteurs ou de manière concomitante par des acteurs différents (professeurs, chefs d’établissement, inspecteurs, directions centrales, organisations syndicales, etc.). C’est ce que nous avons fait. L’alourdissement a été sans aucun doute l’un des traits les plus régulièrement mis en exergue par nos interlocuteurs, d’autant plus fortement ressenti que ne paraissait pas lui correspondre une vision institutionnelle prospective du métier.

 

Le Rapport propose, explicitement ou implicitement, des pistes, pas seulement dans les préconisations mais tout au long. On peut penser par exemple qu’une réflexion portant sur le contrôle en cours de formation (CCF) – perçu comme très lourd par les enseignants concernés –, sur le rythme de renouvellement des programmes d’enseignement, qui participe à l’alourdissement effectif et ressenti, sur le travail d’entretien et de mise à jour des plateaux techniques, etc. serait souhaitable. La mission souligne aussi, dans un registre complémentaire, la différence pouvant exister entre des établissements quant aux rémunérations accessoires par lesquels il est possible de reconnaitre l'investissement spécifique de tel ou tel enseignant. Nos préconisations incitent à un enrichissement et à une rationalisation des textes cadrant la fonction enseignante et les services d’enseignement dus par les professeurs, ce qui pourrait constituer un élément de réponse au sentiment d’un alourdissement croissant et mal cadré.

 

Bien entendu, la mission n’avait pas vocation à répondre à toutes les questions. Il nous est vite apparu essentiel, à tout le moins, de faire entendre un constat partagé par la grande majorité des personnes que nous avons rencontrées et d'objectiver ce déclaratif, sans naïveté ni démagogie bien sûr, mais de la manière la plus empathique possible, comme l’attendaient les enseignants mais aussi l’encadrement.

 

Ne souhaitez-vous pas un alignement des conditions de travail  du premier et du second degré ? Par exemple à travers votre proposition de 108 heures annuelles de temps sans face à face pédagogique dans les deux niveaux d'enseignement ?

 

La mission n’a pas posé comme un axiome l’identité absolue du métier d’enseignant dans le Premier et le Second degrés ; elle a cerné les ressemblances et les différences, dans le passé comme dans les dernières années. D’ailleurs, le métier de professeur du Second degré est-il transférable à l’identique d’un lieu et d’un niveau d’exercice à un autre ? Et n’avons-nous pas posé comme une hypothèse parmi d’autres possibles une délimitation des obligations réglementaires de service en fonction de la nature de l’établissement où exerceraient les enseignants : Collège, Lycée, Lycée professionnel, établissement relevant de l’éducation prioritaire ? Au demeurant, les décrets de mai 1950 se montraient attentifs à spécifier les ORS en fonction des conditions concrètes de travail.

 

Pour autant, face à l’attente de clarification que nous avons ressentie, il nous a semblé qu’une réflexion sur l’intérêt du « modèle » prévalant dans le Premier degré depuis le décret et la circulaire de l’été 2008, qui répartit les obligations de service en deux grands ensembles et annualise l’un d’entre eux – très minoritaire – mériterait sans doute d’être conduite. La mise en œuvre de cette répartition a ses limites, que le Rapport évoque ; mais ce choix a eu le mérite de fournir un cadre compréhensible à l’interne et à l’externe et de contribuer à définir ce qu’étaient aux yeux de l’institution des composantes-clefs de l’activité professionnelle d’un professeur des écoles pour ce début de XXIe siècle.

 

Le rapport souligne aussi les fortes crispations des enseignants. Et c'est un point que le récent rapport Debarbieux met aussi en évidence pour le premier degré. Or vous préconisez des "corps intermédiaires" au premier degré (les responsables de cycle) et dans le second degré avec des rémunérations dépendant des chefs d'établissement. Ne prenez-vous pas le risque d'aggraver le sentiment  d'être "caporalisés" chez les enseignants ?

 

Votre question peut s’entendre : l’appréhension existe sûrement chez des enseignants et l’histoire de l’éducation nationale montre qu’elle n’est peut-être pas vaine. Cependant cette question tend à inverser notre logique qui était de valoriser les rôles des enseignants et de rechercher en quoi la subsidiarité permettrait aux écoles et aux établissements du Second degré de fonctionner mieux encore, ce qui irait évidemment aussi dans le sens d’une plus grande satisfaction des professionnels qui y travaillent.

 

Il s’agit somme toute de prolonger un mouvement ancien, incarné par professeurs principaux, les coordonnateurs de discipline ou encore les chefs de travaux, et de voir ce qui peut être tiré comme enseignements de l'expérience des préfets des études dans les établissements ECLAIR, dont on mesure bien qu’ils ont parfois pris en charge des dimensions importantes, et parfois jusque-là un peu implicites, de la vie de leur établissement.

 

Le risque de caporalisation existe peut-être, mais on ne voit pas bien les équipes de direction ou les enseignants que nous avons rencontrés revendiquer un statut de « petits chefs ». Nous les avons vus plutôt engagés au service de la réussite collective. Au demeurant, la question dépasse le strict cadre des écoles et des EPLE. Nous évoquons notamment le fait que les IA IPR ont très peu de moyens pour reconnaitre les enseignants qui les aident pour la préparation de sujets ou pour la formation par exemple. Faudrait-il bloquer toute évolution au risque de l'apparition de petits chefs ? Il y a tout de même de quoi être sceptique.

 

D'après le rapport, pour les enseignants l'informatisation se traduit surtout en contrôle et pressions supplémentaires. Cela explique-t-il la faiblesse des usages ?

 

À dire vrai, nous avons plutôt constaté un usage croissant : la montée en charge du recours aux TIC pour préparer les cours et pour s'inscrire comme professionnel parmi d’autres au sein de la circonscription, l’établissement, l’académie, etc. La faiblesse des usages signalée par votre question concerne une autre dimension : les pratiques de classe, que nous n’avons pas inventoriées puisqu’elles étaient hors champ de la mission.

 

Il est vrai que pour beaucoup d'enseignants un certain nombre de recours récents demandés par l'institution, comme le livret personnel de compétences (LPC) apparait complexe et dévoreur de temps. Il y a un large consensus hostile au déploiement de ces usages-là de l'informatique. On repère aussi une inquiétude diffuse face au caractère intrusif de l’informatique professionnelle, qui tend notamment à abolir la frontière Privé-Public.

 

L’hostilité aux recours à l’informatique pour tout ce qui concerne l’évaluation des élèves (évidemment différente selon la lourdeur des évaluations) s’inscrit dans une certaine tradition. Cela avait été le cas dans le passé pour les outils de suivi des modules de seconde par exemple. Sans doute cela rejoint-il un débat de fond sur la distinction entre travail « pédagogique » et « administratif », ce dernier, dont la définition n’est ni consensuelle ni théorisée, étant considéré de façon plutôt péjorative.

 

En tout cas, et pour répondre directement à votre question, nous n’avons nulle part noté un rapport entre les critiques portées à l’encontre de l’informatique « de gestion », pour faire court, et un rejet des usages didactiques. Il n’est pas impossible que ce soit deux plans assez largement étanches, mais je n’ai guère de compétences sur ce point.

 

Ce rapport sort à un moment particulier : celui de la refondation. En quoi peut-il aider les enseignants à y participer plutôt qu'à la subir ?

 

Notre rapport ne pouvait évidemment anticiper la mise en place de la Consultation. Mais l’esprit qui a présidé à la définition de notre thème de travail comme à notre enquête n’est certes pas étranger à l’esprit de la Consultation. Il était en tout cas important qu’un rapport comme le nôtre exprimât que la charge de travail des enseignants et sa complexité constituent des réalités. Peut-être est-ce à un préalable à tout débat prospectif et à toute décision qu’une telle reconnaissance, aussi argumentée et aussi rigoureuse que possible ?

 

Notre rapport peut aussi être un appui pour que les praticiens de l'école sachent que des réalités vécues comme locales sont parallèlement vécues par beaucoup d'autres. Enfin, notre travail invite les acteurs à s'emparer de la documentation qui existe, des préconisations que nous formulons, des hypothèses que nous suggérons. Le fait que les décrets de 1950 soient souvent les seuls textes évoqués ou invoqués (pour les absolutiser ou pour les rejeter) mérite interrogation et dépassement… Notre appel à la clarification des textes et à la réflexion sur le métier n’était pas étranger à l’esprit de ce qui se vit aujourd’hui.

 

On a l'impression que l'on ne peut rien faire contre l'alourdissement du métier d'enseignant. Qu'en pensez-vous ?

 

Nous n’estimons pas dans le rapport que l’on ne peut rien faire. Des pistes existent, explicitement suggérées dans notre texte ou pas. Par rapport au traitement des programmes, il paraît hautement souhaitable de développer, à l’échelle de l’établissement ou du bassin, une mutualisation du travail. Mais l’on pourrait aussi s’interroger aussi sur la récurrence de nouveaux programmes (je ne parle pas ici du contenu de ces programmes, mais du rythme de leur changement depuis quelques années) qui déstabilise des enseignants. Il y a donc des éléments de réponse pragmatiques de terrain et institutionnels à cet alourdissement. Dans ce registre institutionnel, peut-être y a-t-il aussi matière à s’interroger sur certains dispositifs comme le CCF ou le LPC. On pourrait aussi s'interroger sur la multiplication des dispositifs, sur le fait qu'on demande aux enseignants des engagements pour lesquels beaucoup d’entre eux estiment n’être ni formés ni accompagnés au plus près. Raison de plus pour dépasser l'actuelle relative non définition du métier et aussi l’ébranlement de la formation continue, pointée par de nombreux rapports et enquêtes avant notre travail.

 

Peut-on redéfinir le métier sans qu'il y ait un impact budgétaire ?

 

Cela dépendrait de ce que serait cette redéfinition : un allègement de service aurait un coût, une augmentation consensuelle des services aussi, mais ne procéderait pas des mêmes causes. Une éventuelle redéfinition pourrait d’ailleurs ne pas concerner uniquement la masse salariale. Si un temps de présence structurel des enseignants dans les établissements devait être prévu, il faudrait à l’évidence que le modèle de l’EPLE français où il n'y a pas (ou peu) de lieux de travail pour les adultes évolue. Cela pourrait être pris en charge par l'État, les collectivités locales ou les deux, cela serait plus ou moins onéreux selon que des locaux existent et seraient seulement à équiper existent ou pas… Mais, en tout état de cause, on ne pourrait pas demander à des adultes de travailler dans des conditions inférieures à celles qu'ils ont chez eux.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

 

Par fjarraud , le mardi 25 septembre 2012.

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