Rentrée philosophique : Le débat du soin et du Care aux PUF  

Pour la rentrée 2012, les PUF s'ouvrent largement à un débat très actuel dans le domaine de la philosophie politique et morale. Deux nouvelles collections, l'une consacrée aux « Questions de soins » sous la direction de Frédéric Worms, et l'autre aux « Care studies », sous la direction et de Fabienne Brugère et Claude Gautier, voient conjointement le jour, abordant sous deux aspects complémentaires les enjeux de l'éthique du monde contemporain.

 

La première collection rassemblera des contributions brèves, synthétiques et accessibles, écrites par des professionnels de différents horizons sur les dimensions théoriques et techniques de la notion de soin (Soins intensifs, Souffrance et douleur, Devenir médecin, Soin parental, Soins infirmiers, etc.). La seconde collection, qu'inaugure  un inédit mondial de Joan Tronto, rassemblera des études sur les questions théoriques et éthiques du Care, un mouvement philosophique né aux Etats-Unis dans la mouvance féministe des années 1970, et progressivement reconnu comme l'un des plus pertinents pour penser le questionnement moral, social, environnemental du monde actuel. Titres prévus : le Care comme connaissance et critique, Du bon usage de la compassion, etc. L'occasion d'entrer de plain-pied dans les enjeux du débat contemporain.

 

Frédéric Worms : Penser les enjeux politiques du soin.

 

 D'après les analyses de Frédéric Worms, Professeur à l'Université de Lille III et auteur du Moment du soin (Puf 2010), la relation concrète de soin pourrait s'entendre comme une forme créatrice de subjectivité et donatrice de sens au regard des questions techniques et éthiques du monde contemporain. La diversité des aspects du soin, affirme-t-il, dessine les tâches de la politique : elle indique les besoins fondamentaux en termes d'attention individuelle, de respect social, de justice politique et de soin du monde. Si la notion de soin est devenue centrale dans les débats de la  philosophie politique et morale, c'est qu'elle atteint au plus vif de la question de l'orientation de l'action humaine - en tant qu'elle refuse sa propre déshumanisation. 

 

Entre « Petits Frères des pauvres et Big Brother ».

 

La formule est expressive : on évitera de renvoyer la question philosophique du soin aux extrêmes de l'assistance caritative ou de l'assistanat, dit l'auteur, pour examiner si sa vraie place ne résiderait pas au milieu, du côté d'un principe de fraternité. Car le soin n'est pas le secours, précise--il, s'il l'est bien pourtant en premier lieu : le secours qui subvient aux besoins vitaux révèle la valeur vitale des besoins moraux et ouvre au soutien dont la visée subjective s'universalise et s'ordonne en structures institutionnelles d'ordre politique.

 

Reconnaissance du travail et critique du pouvoir.

 

Dans sa pratique sociale et économique, le soin se tisse aussi d'enjeux de travail et de pouvoir généralement masqués : enjeux de travail absorbés par la sphère domestique ; enjeux de pouvoir  inhérents à l'asymétrie entre soignant et soigné. Or ces dimensions, souvent soulignées dans le volet politique des éthiques du Care, demandent à être saisies et décrites dans la complexité de leur réalité, dans leur ambigüité aussi,  si on veut comprendre et modifier leurs effets réels dans le champ politique.

 

Réversibilité du soin, souci du monde.

 

La pensée du soin se retournant ainsi sur elle-même s'extirpe d'une posture revendicative pour engendrer un modèle inédit du social et du politique, non plus en opposition mais en continuité, comme deux dimensions d'un même mouvement se nourrissant l'un de l'autre. C'est à un sujet, toujours, que s'adresse le soin, rappelle Frédéric Worms : il nous « rapporte à Autrui comme un soi » qui est aussi une fin, de la façon même qui nous a constitué subjectivement comme un soi  autonome. La relation de soin met en œuvre la matière concrète de la subjectivité dans un procédé qui se soucie avant d'exiger : elle nous instruit de ce qui requiert du soin, au premier rang de quoi se tient le monde, culturel (politique) et naturel (biologique), où se jouent toutes les relations entre les hommes, et qui constitue « l'horizon cosmopolitique du soin ».

 

Ce tableau d'ensemble, voulu par l'auteur bref, synthétique et précis, ouvre un champ considérable au questionnement, en reprenant à nouveaux frais la question de « l'idéal » politique et éthique : partant de la figure du soin non pas comme un modèle de restauration mais de création, il ouvre la voie d'une réflexion inventive dans le domaine des « valeurs ».

 

Jeanne-Claire Fumet

 

Soin et politique, par Frédéric Worms. PUF septembre 2012 – 64 pages.

 

(Voir l'interview de Frédéric Worms dans la rubrique Philosophie du mensuel de septembre ).

 

 

Par fjarraud , le mercredi 29 août 2012.

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