Eric de Saint-Denis : Faire évoluer le système 

Que doit faire F. Hollande et son ministre durant ses 180 premiers jours ? Pour Eric de Saint-Denis, membre du bureau de la Fespi et co-fondateur de structures pour décrocheurs, il faut saisir l'occasion pour construire un système éducatif plus démocratique c'est à dire bienveillant, innovant et visant la réussite de tous plutôt que l'élitisme. Une vraie révolution douce...


Pour faire évoluer l’ensemble du système scolaire, il faudra avant tout renouer le dialogue avec les professionnels de l’éducation et en premier lieu avec les enseignants. Vouloir dès la rentrée 2012 imposer une nouvelle donne, ce serait encore une fois se tromper de méthode. Il faudra, dès l’automne, des Etats-Généraux de l’Education qui réunissent l’ensemble des acteurs et prennent le temps de la réflexion avant le temps de la décision pour une application à la rentrée 2013.


Il ne s’agit pas de penser le changement à court terme mais d’impulser des évolutions dans le système (dont certaines sont d’ailleurs déjà à l’œuvre). Il faut procéder dans la concertation puis faire des choix. Cette approche est déjà un choix en soi puisqu’elle s’oppose à la multiplication des décisions imposées verticalement. Le système meurt d’une verticalité qui ne se soucie ni de faire grandir l’élève, ni de rendre les personnels réellement acteurs de leur destin professionnel.


Parmi ceux qui pensent le changement,  la FESPi,  Fédération des Etablissement Scolaires Publics Innovants occupe une place à part. Elle regroupe des structures scolaires qui ont fait le choix de se construire autour d’un projet alternatif, certains à destination d’un public ordinaire de secteur, d’autres à destination d’un public d’élèves en rupture d’école, les « décrocheurs ».


Tous ces établissements innovants sont la preuve vivante que penser l’école autrement est possible avec des résultats scolaires qui sont comparables et parfois meilleurs que dans le système ordinaire et  surtout des élèves heureux d’être à l’école, des enseignants fiers d’un travail toujours mené en équipe et des parents avec une place d’interlocuteurs reconnue.


Il ne s’agit pas seulement ici de défendre les propositions de la FESPI (elles sont disponibles sur le site de la fédération) mais de privilégier, à titre individuel, certains axes d’une réflexion menée collectivement et parfois depuis longtemps, à la FESPi et ailleurs, pour tracer les chemins d’une autre école, plus humaine et plus démocratique.


De la bienveillance...


L’école ne doit pas seulement servir à la réussite de chacun mais aussi construire du vivre ensemble pour tous. Il doit être possible …

- d’inscrire une concertation hebdomadaire entre enseignants à l’emploi du temps des profs… volontaires et laisser le choix à ces enseignants entre intégrer ces deux heures hebdomadaires dans leur service ou les mettre en heures supplémentaires ;

- de promouvoir l’idée que l’enseignant est aussi un adulte éducateur qui envisage l’élève dans sa globalité et pas seulement un spécialiste de sa discipline. Il faudrait donc recruter dès les concours sur une base élargie au domaine éducatif : si l’enseignant est recruté sur ses seules qualités disciplinaires, comment lui demander impérativement d’assumer ensuite d’autres fonctions ?

- de veiller à une plus grande « bienveillance » dans l’organisation des établissements comme dans la pédagogie (dans l’évaluation par exemple) pour un meilleur bien-être des élèves (la position de la France dans le classement OCDE à ce sujet n’est pas flatteuse) comme pour celui des personnels de l’Education nationale.


Il s’agit de dépasser la conception actuelle des relations entre élèves et enseignants  en repensant la fonction et le rôle de chacun, en tenant compte  des besoins éducatifs  et pas seulement des statuts des personnels (qui ne doivent être pris en considération qu’in fine).


De l'innovation...


Le développement de l’innovation doit s’appuyer sur l’autonomie des équipes éducatives et non sur celle des chefs d’établissement. Pourquoi ne pas envisager …

- de promouvoir une organisation des EPLE, collège et lycée, par groupe de 4 classes avec 10-12 profs en charge de ces classes et de leurs élèves (il s’agit d’une vision pédagogique à l’échelle de micro-organisations prônée également par Philippe Meirieu) ;

- de multiplier des établissements alternatifs pour un public ordinaire de secteur sur des projets portés par les équipes elles-mêmes (François Dubet milite lui aussi pour le développement de ce type d’établissements). Leur multiplication nécessiterait la mise en place d’un groupe de pilotage au niveau national pour parvenir à un établissement alternatif par académie ;

- de modifier l’organisation des Conseils Pédagogiques pour qu’ils deviennent des leviers actifs en en confiant la direction à des enseignants volontaires et reconnus par leurs pairs et non plus au chef d’établissement.


Des moyens spécifiques devront sans doute être affectés à l’innovation et celle-ci doit pouvoir trouver une vraie place dans le système éducatif, au delà d’un article 34 trop souvent évoqué comme la voie permettant toutes les innovations. Cela signifie aussi qu’il faut abandonner l’idée que l’égalité est forcément garantie par le fait que les mêmes propositions pédagogiques soient offertes à chacun de la même façon sur l’ensemble du territoire.


Repenser les champs disciplinaires ?


Le rapport aux savoirs doit cesser d’être cumulatif pour être plus constructif. Pour être un objet d’émancipation et non d’évaluation, on pourrait alors commencer par…

            -  rétablir les TPE en Terminale avec un gros coefficient au bac et pas seulement avec les points comptés au dessus de 10 (avec maintien d’une initiation aux TPE en 1ère pour découvrir l’interdisciplinarité et gagner en autonomie) ; et dans le même ordre d’idée, relancer les IDD en les prenant en compte au Brevet ;

- introduire une dose plus ou moins importante de contrôle continu au bac et au choix de l’élève qui pourrait, au moment de son inscription cocher la case « contrôle continu » ou « contrôle final » ;

- revoir les programmes pour lutter contre une vision d’empilement trop fréquente (ex : les nouveaux programmes d’Histoire-Géo en Terminale ES et L)

- mettre fin aux matières totalement segmentées : l’introduction très récente des enseignements d’exploration de SES ou PFEG pour tous les élèves de 2nde, sur 1h30 hebdomadaire, a peu de sens : elle saucissonne, une fois de plus, les approches du savoir et segmente les emplois du temps, ceux des élèves comme ceux des enseignants concernés.


Au delà des lobbies disciplinaires, il faudrait repenser non seulement les programmes, mais la notion même de programme en raisonnant, par exemple, en termes soit de champs disciplinaire (les sciences humaines par exemple), soit de regroupements interdisciplinaires (sciences et philo, par exemple). Cela implique également  de repenser les principes de l’évaluation, ce qui est un chantier vaste mais indispensable.


Un vrai collège unique ?


L’école doit amener tous les élèves le plus loin possible en prenant mieux en compte les plus fragiles, les laissés pour compte, décrocheurs et décrochés de l’école. Ainsi, une nouvelle politique pourrait…

- mettre fin à une orientation trop précoce au collège qui oriente inévitablement vers le milieu du travail (même pour ceux qui ne le souhaitent pas) et rétablir une filière unique pour tous jusqu’à la Seconde comprise ;

- rendre la scolarité jusqu’à la Seconde effectuée et non plus jusqu’à 16 ans ;

- créer une structure de raccrochage scolaire par académie (de type « Microlycée » ou autres) pour les élèves décrocheurs et en créer plusieurs dans les grandes métropoles (la scolarité d’un élève en Microlycée ne coute pas plus cher que celle d’un lycéen ordinaire !).


L’école ne doit plus se décharger de sa responsabilité face à l’échec scolaire en externalisant la difficulté ou en mettant les élèves en échec de plus en plus tôt sur le marché du travail, avec l’apprentissage comme seul credo. Il faut promouvoir l’existence d’un vrai collège unique jamais réalisé et se donner les moyens d’accueillir dans l’école ceux qui l’ont quitté.


Former les enseignants pour d'autres pratiques


La formation initiale et surtout continue des enseignants doit être un levier central de facilitation de toutes ces évolutions dans les établissements.

Il ne s'agit pas seulement de réorganiser la formation, il faut aussi la refonder en intégrant les nouvelles professionnalités dont l'école a plus que jamais besoin. La formation en continue pourrait se concentrer sur des essentiels définis nationalement. On peut en décliner quelques uns…

            - accueillir et suivre individuellement les élèves : le tutorat ou l'accompagnement individuel, quel que soit son nom et ses formes, implique une approche particulière de l'élève qui demande à être réfléchie ;

            - travailler en équipe : dans un métier où le sentiment de solitude est récurrent, il faudrait enfin passer du partage des taches au « faire équipe » ;

            - construire des projets : alors que l’exigence de travailler en projet est partout répétée, il faut passer de la doxa à la praxis et donc l’intégrer à la formation des enseignants ;

- évaluer autrement : l'évaluation, dans ses finalités et ses formes, peut être très diverse. Il est temps de passer de l'évaluation sanction à une évaluation permettant réellement la progression, des élèves ce qui, là encore, demande une formation spécifique (des solutions existent comme l’a déjà montré André Antibi pour l’enseignement des  mathématiques).

Donner la priorité à la formation continue demande sans doute quelques moyens spécifiques et supplémentaires mais cela demande surtout d’en faire une priorité reconnue nationalement en lien avec la recherche universitaire et proposant des modalités d'intervention diverse (formation individuelle, accompagnement d'équipe, alternance....). Les personnels qui s’engageraient à suivre des cycles de formation continue devront pouvoir en bénéficier, soit en terme de rémunération (heures supplémentaires) soit en intégrant la formation dans leur temps de travail.


Au total, ces évolutions dessineraient une école plus démocratique avec des élèves plus épanouis (le plaisir d’être à l’école n’est pas secondaire !), des personnels mieux reconnus et une approche des savoirs facilitée. Maintenir des exigences fortes et mettre davantage d’intelligence humaine est un projet ambitieux. Les 60.000 postes (re)créés doivent être mis au service de certains objectifs ciblés et définis nationalement, en concertation avec l’ensemble des acteurs. Sur de grands objectifs, l’accord est toujours relativement facile à obtenir, les mesures concrètes feront la différence !


Eric de Saint-Denis

enseignant et co-fondateur des Microlycées de Sénart (77) et de Vitry (94)

membre du bureau et co-fondateur de la FESPI



Par fjarraud , le lundi 14 mai 2012.

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