L'enseignement agricole, oublié de la campagne ? 

Par François Jarraud

 

Alors que l'éducation est encore un thème de campagne pour les candidats à l'élection présidentielle, l'enseignement agricole public semble bien oublié. Pourtant sa crise est profonde si on juge par l'appel à la  grève des examens lancé par deux syndicats importants. Après des années de suppressions de postes, l'enseignement agricole public semble hésiter entre l'affirmation de ses spécificités et la fusion dans l'éducation nationale. Un dossier pour les prochains ministres de l'éducation nationale et de l'agriculture...


Avec 214 000 élèves au total, 150 000 pour le seul second degré, et seulement 50 000 élèves dans le second degré public, l'enseignement agricole pèse effectivement bien peu face à l'éducation nationale et ses 5,3 millions d'élèves dans le second degré. L'enseignement agricole c'est aussi un peu moins de 8000 enseignants du public titulaires auxquels il faut ajouter plus d'un millier de non titulaires, un fétu face aux 450 000 enseignants du second degré public.


Des spécificités fortes


Héritier d'une histoire différente de celle de l'éducation nationale, l'enseignement agricole a des spécificités fortes. D'abord le poids du privé : il y a deux fois plus d'élèves du secondaire privé que du public et trois fois plus d'établissements. Celui de l'apprentissage (35 000 apprentis)  : dans l'enseignement agricole l'apprentissage est majoritairement public. La formation professionnelle continue est également intégrée dans les établissements avec les CFPPA. Cela génère une structure des emplois plus complexe voire inédite à l'éducation nationale. Il y a des formateurs de droit privé généralement contractuels payés par les établissements. Il y a aussi des enseignants fonctionnaires sur des postes gagés, c'est à dire dont le salaire est remboursé à l'Etat par leur établissement. Il faut aussi mentionner des particularités pédagogiques : un enseignement socio culturel qui mérite d'être connu et une ouverture sur la profession agricole qui fait débat. Dans l'enseignement agricole public les présidents des CA des établissements scolaires sont des personnalités extérieures.


Pourquoi faire grève aux examens ?


En février dernier, le Syndicat de l'Enseignement Agricole Unsa a déposé un préavis de grève pour les examens pour les formateurs en CFA et CFPPA et les postes gagés. Pour Guy Sigala, "le ministère de l'agriculture les convoque aux examens mais ne les reconnait pas". Les négociations sur leurs salaires, les conditions de travail et la précarité sont bloquées par le ministère.  "Nous lançons également un appel à la grève", nous dit Jean-Marie Le Boiteux, secrétaire général du Snetap,  syndicat FSU et première organisation du secteur. "La décision est prise". Le préavis concerne tous les enseignants. Pour le Snetap, il est temps "d'appeler pour application de la loi sur la résorption de la précarité, le ministère souhaitant écarter du dispositif la majorité des précaires particulièrement ceux de l'apprentissage et de la formation continue. Tous en les convoquant pour faire passer les examens".


C'est aussi l'occasion de dénoncer la situation de l'emploi. "L'emploi est en régression imposée dans le public", nous confie JM Le Boiteux. "L'activité dans les établissements ne diminue pas mais se reporte vers le privé du fait des suppressions de postes d'enseignants titulaires. Depuis 2007, 600 emplois d'enseignants sur 7000 ont disparu. Les établissements ont l'interdiction de recruter des élèves pour éviter les dédoublements. La fuite des élèves vers le privé et l'apprentissage est imposée". "Les postes sont détruits par la réforme du bac pro", explique G Sigala. "Quand on rend 10 ou 20 postes dans une région où il y a 20 lycées on arrive au bout de la RGPP. On n'arrive plus à donner des services complets aux enseignants. Toute la profession est dans une insécurité forte. Et ça génère le refus des réformes qui sont assimilées à des compressions budgétaires. Le souffle diminue". En effet, de 2008 à 2009, le nombre d'élèves a  baissé de 2% dans le public et augmenté de 2% dans le privé...

 

L'enseignement agricole a-t-il un avenir dans l'agriculture ?


Ces évolutions cachent aussi un fort mouvement interne à l'enseignement agricole. Depuis des année il se "déprofessionnalise ".Le nombre des lycées professionnels agricoles publics ne cessent de baisser : 152 en 1990, 74 aujourd'hui. Alors que celui des lycées généraux et technologiques augmente : de 103 à 141 depuis 1990 . Le passage au bac pro a accéléré les choses. Le nombre d'élèves en BEP s'est effondré sans se reporter à l'identique sur les secondes pro. Le lien avec la profession agricole se relâche également pour le recrutement des élèves. Depuis 1990, les familles d’agriculteurs exploitants sont de moins en moins représentées : elles ne plus que 12 % en 2009 contre 35 % en 1990.


La question du maintien d'un enseignement agricole est posée. Pour Guy Sigala, il est nécessaire pour les salariés. "Vu le nombre faible d'élèves on sera dilué. On risque de faire les économies sur notre dos", nous confie-t-il. Pour lui la présence de la profession dans les établissements est une bonne chose. La présidence des CA des établissements par un quelqu'un de la profession agricole "donne de l'autonomie aux établissements. Cela oblige la direction de l'établissement à dialoguer avec le personnel", nous dit-il. Jean-Marie Le Boiteux est pour la rupture. "Le système éducatif doit avoir une certaine harmonie, une unicité et donc l'enseignement doit être concentré dans l'éducation nationale", nous dit-il. "Le faible poids des enseignants de l'enseignement agricole pose des problèmes matériels. Par exemple, les effectifs sont trop faibles pour organiser un concours en biologie". D'autre part, "le poids de la profession agricole sur les contenus enseignés est un véritable "diktat", nous dit-il. "Sur les contenus par exemple, la profession refuse un enseignement sur la biologie des sols". Quant à la présidence des CA, JM Le Boiteux estime que ces présidents "ont souvent peu d'intérêt pour la gestion des EPLE alors que la part des emplois payés par les établissements est importante".


Qu'attend l'enseignement agricole des élections ?


Pour Guy Sigala, "Nicolas Sarkozy a amené l'assimilation de toute réforme pédagogique à l'insécurité  et aux découpes budgétaires. C'est un véritable drame car ça bloque toute réforme. Sarkozy a créé la crise de pilotage". Jean Marie Le Boiteux attend de la gauche "qu'elle  revienne sur les dérives. Résorption de la précarité d'abord. Qu'on considère qu'en France il y a une obligation d'offrir aux jeunes un service public d'éducation et donc que l'enseignement public redevienne majoritaire dans l'enseignement agricole". Pour lui, JL Mélenchon "est le seul qui évoque de son propre chef l'enseignement agricole".


Alors que la saison des examens démarre, l'ancienne équipe gouvernementale laisse derrière elle un dossier à régler d'urgence avec une gestion du personnel à la limite de la légalité et un défi posé à la place de l'Etat dans l'éducation.


François Jarraud


Liens :

Panorama de l'enseignement agricole

http://www.chlorofil.fr/systeme-educatif-agricole/organisation-or[...]

Rubrique agricole du Café pédagogique

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/enseignementte[...]



Par fjarraud , le jeudi 19 avril 2012.

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