Pour une évaluation formative des pratiques enseignantes 

Par Marc Aubert

 

Comment évaluer les enseignants ? Quelle place pour le chef d'établissement dans cette évaluation ? Pour Marc Aubert, principal de collège, formateur pour la préprofessionnalisation des étudiants aux métiers de l'éducation et pour la formation des enseignants néo-titulaires, "si on pense que la concurrence entre les personnels – concurrence liée à la recherche de la meilleure progression de carrière – suffit à ce que chacun donne le, meilleur de lui-même, il n'est pas utile de procéder à un entretien d'évaluation, sauf à chercher à légitimer sa décision". Il propose "entretiens individuels et collectifs d'évaluation de l'action professionnelle, menés par les personnels de direction et les corps d'inspection".



Les réactions épidermiques suscitées par le projet de réforme de l'évaluation des enseignants révèlent une conception individualiste et libérale du métier d'enseignant à travers la mise en cause de la légitimité du chef d'établissement, particulièrement de sa légitimité pédagogique, et la mise en cause de son intégrité professionnelle à travers le risque d'arbitraire évoqué.


Pourtant, gestionnaires, personnels administratifs, infirmier(e)s, CPE, font depuis toujours l'objet d'une notation unique par le chef d'établissement. A ce jour aucun de ces corps n'a formulé de griefs particulier à l'encontre de ses évaluateurs que ce soit à propos d'un éventuel arbitraire de leur part ou que ce soit pour incompétence en la matière. Car ce qui est au c&oeligur de l'évaluation de la valeur professionnelle, ce n'est pas le degré de technicité de chacun des personnels mais le degré d'accomplissement de la mission - telle qu'elle est définie dans les textes statutaires ou réglementaires de chacun de ces corps - au sein de l'établissement, le degré d'adaptation aux élèves de cet établissement et la part prise dans la mise en &oeliguvre du projet pédagogique de celui-ci.


De ce point de vue le projet de décret relatif à l'évaluation de la valeur professionnelle des enseignants sépare bien ce qui relève de la technique du métier ou de la compétence didactique dont l'évaluation reste confiée à l'inspecteur et ce qui relève de la la "pratique professionnelle dans l'action collective de l'établissement" (relations avec les parents d'élèves, investissement dans le projet d'établissement, etc.) dont l'évaluation est confiée au chef d'établissement.


Quant à l'évaluation de la « capacité à faire progresser chaque élève » elle relève d'une formulation ambiguë qui soit renvoie à l'évaluation d'une compétence a priori déjà validée lors de la formation initiale, soit nécessite une observation fine en classe sur un panel d'élèves suivis au moins sur une séquence : elle est pour le moment illusoire, au mieux peut-on évaluer la capacité à adapter l'enseignement à la diversité des élèves.


Mais ce qui n'apporte aucun progrès dans le projet de réforme et qui contaminera toujours le processus d'évaluation, c'est son lien avec l'avancement de carrière. Tant que l'évaluation sera liée à l'avancement de carrière, l'enjeu principal de l'entretien d'évaluation pour l'enseignant ne sera pas de faire un bilan le plus objectif possible pour déboucher sur des perspectives de travail, d'évolution ou de progrès mais bien «l'accès à une ressource rare» puisque contingentée selon l'expression de X. Baron, l'avancement. Pour l'évaluateur l'objectif de l'évaluation sera bien de discriminer, pour savoir qui est méritant et qui ne l'est pas puisqu'il lui faudra attribuer selon des ratios - fondés sur aucune observation statistique de la réalité des réductions d'ancienneté, voire estimer auprès de qui cet avancement sera le plus porteur du point de vue du management de son équipe.


Si on pense que la concurrence entre les personnels – concurrence liée à la recherche de la meilleure progression de carrière – suffit à ce que chacun donne le, meilleur de lui-même, il n'est pas utile de procéder à un entretien d'évaluation, sauf à chercher à légitimer sa décision. Ce modèle de la récompense suppose des individus prioritairement animés par la recherche du profit financier maximum : ce n'est pas la motivation fondamentale des enseignants qui peuvent par ailleurs aujourd'hui bien plus qu'hier maximiser investissement professionnel choisi (participation volontaire à différentes missions au sein de l'établissement et/ou heures supplémentaires d'enseignement) et gain financier.


Les enseignants jouissent aujourd'hui de la garantie de «liberté pédagogique», mais néanmoins ils sont régulièrement - à défaut de fréquemment - inspectés pour contrôle de conformité à un programme et à un modèle d'enseignement plus ou moins explicite : la question de l'efficacité de leur enseignement n'est qu'inférée à travers ce que l'inspecteur voit. Cette inspection suivie d'un entretien fait l'objet d'un rapport ultérieur qui n'est pas discuté qui contient parfois des conseils, des préconisations, ou des injonctions mais débouche rarement sur un suivi du travail et des projets pédagogiques réalisés ou sur une prise en charge en cas de besoin.


Bien que ces inspections aient un impact sur le déroulement de carrière des enseignants via la note qui en découle (60 % de la note de l'enseignant) on ne peut que constater le peu d'effet qu'elles ont sur l'évolution des pratiques enseignantes : soit pour la plus grande part les enseignants ont fait évoluer leurs pratiques par la nécessité d'une adaptation aux élèves, par l'expérience, l'échange, le travail collectif, la formation institutionnelle, continue, permanente ou personnelle soit pour quelques uns ils sont restés figés sur leur mode originel de fonctionnement parfois par conviction plus rarement par négligence, souvent par incapacité à adopter d'autres postures pédagogiques ou à comprendre la nécessité de fonctionnements différents.


Quant à la notation par les chefs d'établissement (40 % de la note globale de l'enseignant), on peut s'interroger de la même manière sur son impact sur la mobilisation des personnels et l'évolution de leur investissement dans l'établissement : ne serait-ce que parce qu'actuellement cette part est minoritaire dans la notation finale, sur-encadrée et que symboliquement les enseignants considèrent les chefs d'établissement plus comme une hiérarchie administrative que professionnelle en rapport avec leur c&oeligur de métier.


Les quotas imposés dans la notation actuelle ou dans le projet d'appréciation de la valeur professionnelle (30 % excellents, 50 % bons , 20 % corrects) relèvent d'un arbitraire comptable qui ne renvoient à aucune réalité statistique quant à la valeur et l'investissement des enseignants particulièrement pour la « tranche basse ».


La rénovation du statut des enseignants incluant une définition de leurs missions au sein du système éducatif, de l'établissement et de la classe telle qu'elles sont actuellement définis dans des textes épars ainsi qu'une échelle d'avancement à vitesse unique permettrait outre un gain de temps, d'envisager des entretiens individuels et collectifs d'évaluation de l'action professionnelle, menés par les personnels de direction et les corps d'inspection, orientés vers l'amélioration de l'action de l'enseignant et des équipes pédagogiques.


Ces entretiens permettraient d'établir une vue partagée du fonctionnement actuelle des équipes, de leur réussites, de leurs axes de progrès et des conditions de ces progrès (moyens, formations, matériels, etc.) : chacun des acteurs de ce processus disposeraient alors d'éléments permettant aux uns d'améliorer leur pilotage locale ou académique aux autres de travailler à l'adaptation de leur pratique pédagogique dans et hors de la classe. Ce type de disposition créerait après le conseil pédagogique une instance supplémentaire de pilotage partagé qui contribuerait au développement de l'établissement comme système apprenant (Bouvier) où l'intelligence collective supplanterait l'individualisme.


Comment aujourd'hui des professionnels diplômés à bac + 5, sélectionnés par concours, formés en alternance pendant un an puis faisant l'objet de procédures de validation des compétences, peuvent-ils être évalués d'une manière aussi infantilisante et aussi improductive pour eux-mêmes et pour le système ? Les praticiens hospitaliers, les enseignants du supérieur, les corps d'encadrement du 2nd degré (inspecteurs, personnels de direction) entre autres ont une échelle d'avancement unique : est-ce pour autant qu'ils s'installent dans la routine, délaissent leurs missions, se désintéressent de leur efficacité professionnelle ? Si tel était le cas il y a bien longtemps qu'ils auraient fait l'objet de remises en cause de la part des usagers ou des personnels qu'ils encadrent.


La particularité des enseignants comme des corps pré-cités c'est qu'ils combinent à la fois un niveau élevé de formation et de qualification leur conférant de l'autonomie – donc une capacité d'autorégulation - dans les missions qui leur sont confiées et une forte attribution de sens à l'exercice du métier comme composante de l'identité personnelle donc un fort investissement et une recherche constante de progrès.


Cette attribution de sens reste à ce jour le meilleur garant de l'investissement des personnels au sein du système éducatif : mais c'est une caractéristique que le ministre issu du secteur privé comme il aime à le rappeler ne peut connaître et comprendre.


Marc Aubert


Notre dossier Evaluer les enseignants

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2011/EvaluerE[...]



Par fjarraud , le jeudi 09 février 2012.

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