Politique éducative locale : un collectif à construire 

 

Par Monique Royer

 

Politique éducative locale, trois mots qui sonnent comme un slogan, trois mots cachant derrière leur évidence une forêt complexe. Penser au niveau local la politique éducative liant école, péri-scolaire, activités culturelles, sportives, en associant les acteurs qui poursuivent le même objectif de réussite éducative, s’affiche comme une nécessité mais ne se vit pas dans la simplicité.

 

 

La politique éducative s’affranchit des murs de l’école

 

Les directeurs de l’éducation des villes vivent en premier plan les enjeux sociaux et les vicissitudes d’une politique qui nécessite avant tout d’être partagée. L’Andev, l’association qui regroupe les directeurs de l’éducation de la ville se réunit en congrès à Nîmes. Mercredi, la tonalité était à l’interrogation : « s’ignorer ou se reconnaitre pour la réussite scolaire ? ». Echos d’une table ronde qui résonne des questions vives de l’éducation.

 

Anne Sophie Benoit, présidente de l’Andev a planté le décor. La réussite scolaire englobe nombre de questions où les collectivités locales sont mises à contribution. La construction d’un espace éducatif local passe par un lien entre le primaire et le secondaire pour élaborer un lieu d’espace et de dialogue s’affranchissant des frontières posées par le cadre académique. On s’y pencherait ensemble sur les rythmes scolaires, l’aménagement du temps de vie de l’enfant, en concertation. On y envisagerait l’apport des Tice dans toutes les dimensions éducatives. L’Andev envisage la poursuite de l’objectif de la réussite scolaire depuis la petite enfance. La scolarité dès deux ans a un « effet positif sur l’apprentissage de la lecture surtout pour ceux qui cumulent handicaps scolaires et sociaux ». Anne Sophie Benoit l’affirme « l’école maternelle doit être défendue partout et surtout dans les quartiers défavorisés ». Et pour que la politique éducative vive, les parents doivent être réintégrés dans l’école, quelle que soit leur situation sociale, leur origine, puisqu’elle vise tous les enfants et en particulier ceux qui sont le plus éloignés du système scolaire.

Pour que la politique éducative vive, elle a besoin de partenariats efficients. Parents, école, associations, comment mettre en musique des acteurs qui ne vivent pas toujours à l’unisson ? Françoise Lorcerie, directrice de recherche au CNRS, spécialiste des questions d’intégration, de discrimination et politique d’éducation, nous incite à regarder du côté de la gouvernance mais aussi vers l’informel, ce qui se construit au fil de la pratique.

 

Partenariat, équipe, l’heure est au collectif

 

Pour Françoise Lorcerie, l’amélioration de la réussite scolaire  passe par différents opérateurs qui jouent sur les dimensions stratégiques pour traiter les différentes causes de l’échec. Elle joue aussi sur des routines, des façons de se caler les uns par rapport aux autres qui ne peuvent se décréter. La régulation apparait alors comme un élément essentiel pour que les deux dimensions s’accordent. Elle implique un ensemble de procédures et de comportements individuels et collectifs, des myriades d’activités, d’éléments volontaires et involontaires « sans que les acteurs n’aient nécessairement conscience des ajustements du système ». La conciliation entre le formel, le cadrage et l’informel, ce qui tient de l’agilité professionnelle, de l’adaptation et de l’inventivité au quotidien est une gymnastique en forme de gymkhana.

 

La relation  entre l’école et le quartier se lit comme une histoire de cette équation improbable en apparence mais nécessaire. Le processus de ghettoïsation de certains établissements illustre le processus d’implosion à l’échelle de certains quartiers. Pour Françoise Lorcerie  « ce qui met en crise l’école ce sont ces processus que l’on observe à l’échelle micro sans qu’on réussisse à les contrôler ». Le phénomène est nouveau. La politique d’éducation prioritaire mise en place en 81  a été instituée pour aider les établissements à favoriser la réussite scolaire. C’est dans le cadre de la massification du collège que cette évolution a été observée. La différenciation scolaire et sociale des collèges s’est accrue avec en guise de classement, le taux d’obtention du brevet. L’assouplissement de la carte scolaire a accentué le phénomène qui échappe en partie aux collectivités puisque sa genèse est interne à l’école.

Au niveau des établissements, on observe des réussites plus grandes que ce que l’on attendait, d’autres ont des réussites plus faibles. L’attendu de réussite scolaire est calculé en fonction de la composition sociale du public. Les réussites plus grandes sont obtenues dans des départements plutôt ruraux dans lesquels la densité des collèges et écoles est faible avec des petits établissements, là où la mixité sociale et scolaire est réelle. La situation de polarisation socio scolaire est défavorable aussi aux couches favorisées, elle est défavorable pour tout le monde.

 

Pour Françoise Lorcerie, il faut requalifier la relation pédagogique, la loyauté partenariale pour lutter contre la dégradation du système. Le partenariat est à la fois paradoxal et légitime, il tient beaucoup aux individus alors qu’il est difficile de conserver des équipes stables. Il trouve une traduction dans l’idée de liberté pédagogique, une idée qui doit vivre et se concrétiser en équipe, dans le collectif.

Les objectifs de réussite scolaire peuvent puiser dans des cas exemplaires, ceux qui montrent ce qui peut être fait : ouverture de collège neuf ou école dans les zones populaires et qui réussissent. Plusieurs facteurs sont en jeu mais au centre, le facteur pédagogique est toujours présent avec bien souvent une dimension éthique à laquelle se réfère l’équipe : égalité, solidarité, non racisme. La réussite éducative ne se réduit pas à la réussite scolaire, le lien avec les familles est essentiel.

 

Construire les partenariats

 

La réussite éducative tient donc en grande partie des partenariats qu’elle suppose. Anne-Marie Benhayoun, chargée d’études à l’Ifé, s’intéresse de près aux questions de partenariats dans les projets de réussite éducative. Dans un retour historique, elle précise que depuis les années 80, les politiques éducatives ont choisi de traiter les problèmes sociaux, scolaires par des entrées territorialisées (ZEP) puis vers un traitement plus individualisé. Quelque soit l’entrée choisie, l’injonction est de travailler en partenariat et de mettre en cohérence les dispositifs concernés de plus en plus nombreux. Cette injonction a provoqué débats et tensions entre l’idée d’une école sanctuarisée dans le périmètre de la question scolaire et une école ouverte aux partenariats. Cette opposition a provoqué des malentendus nuisant à la reconnaissance des partenaires.

 

Pour dépasser les malentendus, Anne-Marie Benhayoun propose la valeur de l’exemple, un exemple modeste, banal d’une expérience menée à l’échelle d’un territoire ; celui de Rhône-Alpes, mais qui dans ses attendus apparait ambitieux : faire dialoguer les cadres de la politique éducative. Le dialogue n’est pas simple et a tâtonné entre échanges de pratiques se heurtant aux questions identitaires et questions de fonctionnement empreintes des aléas du financement. Les tensions ont finalement livré la clé : laisser de côté l’analyse professionnelle et aborder ensemble entre praticiens dans l’école et hors l’école des questions vives éducatives sous le regard de chercheurs. Vingt cinq participants ont ainsi réfléchi autour de thèmes tels que « violence à l’école et difficulté scolaire », « parentalité » ou « discriminations ». Chaque séance du séminaire donne la parole à un ou plusieurs praticiens qui problématise ou donne des exemples d’initiatives avec l’éclairage d’un chercheur. Ils échangent avant tout pour ouvrir un espace commun de réflexion, prendre un temps pour échanger, analyser, apporter une expertise partagée.

Anne-Marie Benhayoun perçoit ces séminaires comme un lieu ouvert qui a permis la naissance d’un réseau d’acteurs souhaitant réduire les inégalités scolaires, sociales, éducatives. Les échanges ont permis de construire un projet de co-formation, la recherche constante de ressources favorisant l'émergence de solutions et leur mise en œuvre.

 

La condition d’un partenariat pour la réussite scolaire tient dans l’explicitation, dans un cadre clair et dans le temps laissé au temps. Il faut dire aux parents ce qui est fait dans l’école ce qui est attendu d’eux aussi Aucun enseignant n’est formé au partenariat, le seul partenariat qu’il connait est celui qu’il construit avec ses élèves. Les politiques éducatives de la ville sont mal connues voire méconnues au sein de l’école, connaitre ce qui se pratique, hors et dans les murs est de rigueur.

Pour Anne-Marie Benhayoun « la réussite scolaire et éducative doit revenir à l’école. », un point de vue qui se partage ou se discute mais qui révèle tout l’enjeu du partenariat pour la réussite éducative. Le jeu des acteurs est un jeu de dialogue pour faire bouger les frontières, les murs épaissis des compétences attribuées. La politique éducative devrait se jouer des frontières, pour dépasser ce stade, il faudra passer du temps à se comprendre pour mieux œuvrer ensemble.

 

Jacky Raymond, adjoint au maire de Nîmes, chargé de l’Education le précisait lors de la table ronde : pour concevoir un projet éducatif local, il faut d’abord un recensement des initiatives existantes. On dénote alors une complication, une confusion dans les dispositifs qui s’additionnent, comme si lorsqu’une institution met en place un parcours, l’autre doit mettre aussi mettre en place son propre dispositif. Pour qu’une véritable politique locale existe, l’enjeu est là : sortir de la concurrence, de la concomitance pour mettre au point ensemble des stratégies et rendre lisibles les projets incluant tous les partenaires de l’éducation pour un objectif de réussite scolaire.

 

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Par moniqueroyer , le vendredi 02 décembre 2011.

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