Laurent Ott : " Les enseignants subissent une vraie perte d'autonomie" 

Sa lettre de démission a fait le tour du web en quelques heures. Laurent Ott, instituteur depuis 24 ans, a envoyé à cette rentrée sa démission. Il nous explique les raisons de sa lettre et de son départ.


Dans quelles circonstances avez-vous rédigé cette lettre ?


Depuis 6 ans je bénéficie d'une mise en disponibilité et je travaille dans l'éducation spécialisée où je transmets mes connaissances pédagogiques et éducatives. J'aurais voulu faire ce travail dans le cadre de l 'éducation nationale mais cela n'a pas été possible. Depuis la publication en 2002 de mon livre "L'école au piquet", j'ai été écarté de la formation des enseignants. Cette année, ma mise en disponibilité n'a pas été renouvelée par l'inspecteur d'académie. J'aurais donc dû retrouver un poste, tout recommencer à zéro, revenir dans une école où il n'y a plus d'indépendance. Ce n'était pas pensable. J'ai choisi de démissionner et de continuer mon travail dans l'éducation spécialisée. Et d'expliquer dans une lettre mon départ.


J'ai écrit cette lettre pour mon inspecteur. Je n'ai pas voulu partir simplement en ne prenant pas un poste. J'ai voulu démissionner car c'est une façon de responsabiliser mon départ. J'ai fait cette lettre et je me suis dit que j'avais de la chance de faire cela et de pouvoir dire ce que je pensais. Mes collègues n'ont pas cette chance.


Vous parlez de restriction à la liberté éducative. Que voulez-vous dire ?


L'inspection interfère de plus en plus dans la vie des enseignants. Cette pression est bien réelle même si elle pèse davantage sur les jeunes enseignants. La liberté éducative est attaquée de plusieurs façons. D'un côté on pose de plus en plus de normes sous prétexte de sécurité. De l'autre, l'attaque est idéologique. Monter un projet avec un groupe, prendre son temps, organiser son temps comme on veut, partir en promenade avec une classe, tout cela n'est plus possible. Pour garder de la liberté il faut singer les consignes de l'inspection académique. Les enseignants subissent une vraie perte d'autonomie.


Vous pensez que cela s'est aggravé récemment ?


Oui. Les conditions d'exercice se sont dégradées avec l'arrivée d'injonctions nouvelles comme la mise en place de l'aide individualisée, les évaluations nationales ou encore Base élèves (le fichier national des écoliers).


Le ministère met en avant son souci de "personnaliser" l'enseignement, vous en pensez quoi ?


C'est le propre de cette école que d'utiliser des termes qui pourraient plaire à des éducateurs en en déformant le sens. En fait, on fait tout le contraire. Ce qu'ils appellent "personnalisation" c'est de la stigmatisation, du soutien assigné en raison de ses faiblesses et qui donc stigmatise. Ce n'est pas cela personnaliser. On n'individualise même pas car on traite tout un groupe de la même façon. Personnaliser ce serait rendre l'enfant auteur, qu'il définisse lui-même ses activités. Personnaliser ce n'est pas faire faire des exercices, bachoter, rattraper...


L'autonomie c'est pareil. Quand ils parlent d'autonomie des établissements, ils veulent dire autonomie des chefs d'établissement. C'est tout simplement de la caporalisation. Ce n'est pas de l'autonomie pour les éducateurs.


Depuis l'annonce de votre démission, comment ont réagi vos collègues ?


Avec surprise d'abord. J'ai reçu de nombreux témoignages. Il y a ceux qui me demandent de ne pas partir, comme si c'était possible, en m'affirmant qu'il y a encore des espaces de liberté. Et il y a ceux qui me disent que j'ai raison et qui sont d'accord avec mes motifs. Personnellement je ne demande pas de soutien car  je ne suis pas en litige. Je ne demande rien. Mes camarades de l'Icem se demandent jusqu'à quel point il est encore possible de rester dans l'éducation nationale. Pour moi ce n'est plus possible tout simplement.


Propos recueillis par François Jarraud



Liens :

Le site personnel de Laurent Ott

http://laurent_ott.monsite-orange.fr/

Conférence de L Ott au congrès ICEM août 2011

http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/20399

La lettre de démission

http://www.rue89.com/2011/09/01/instit-depuis-24-ans-je[...]



Par fjarraud , le lundi 05 septembre 2011.

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