Théâtre à l'école : comment ça joue ? 

Par Jeanne-Claire Fumet


Théâ, groupe théâtre de la fédération nationale de l'OCCE (Office Central de la Coopération à l'Ecole), organise du 23 au 27 mai ses 7èmes Rencontres Nationales aux Théâtres de la Cartoucherie : 26 classes proposent les spectacles issus de leur parcours de l'année, illustrant l'action menée auprès de 376 classes à travers 47 départements lors de la saison scolaire 2010-11. Ponctuation des Rencontres, le Forum « Le théâtre, les enfants, ça joue ! » est venu apporter mercredi soir l'éclairage de regards d'adultes spécialisés sur la question du théâtre scolaire. Autour de Katell Trison-Deimat, animatrice nationale de l'action théâ, les auteurs de littérature enfantine Nathalie Papin et Philippe Dorin, Sandrine Le Pors, universitaire, Bernard Grosjean, metteur en scène et enseignant à Paris 3, et Jean-Claude Lallias, conseiller théâtre au Scéren ont confronté leurs analyses. Enjeux de cette rencontre : comprendre ce qui se joue et comment cela joue actuellement dans le théâtre scolaire.


La preuve par l'exemple. Yves Potel, président de l'OCCE, a tenu à rappeler  lors d'une brève intervention inaugurale l'engagement de la Coopération au service de la formation de citoyens éclairés, et pas seulement de spectateurs informés. Trois représentations ont permis d'apprécier la qualité de l'action Théâ : une fable onirique sur le désir d'explorer le monde et la peur de s'y perdre, par les CP de l'école Cavarrot à Reims, une brève satire de l'aliénation télévisuelle, avec les Enchaînés de P. Dorin (« y a plus de copains, ils sont tous devant la télé... ») par les CM1/CM2 de l'Ecole de l'Hermitage de Pontoise, et une satire pleine d'inventions scéniques sur la naissance contrariée d'un abominable enfant, interprétée avec talent  par les CM de l'école Cavarrot à Reims. L'occasion pour le public d'enseignants, d'animateurs et de curieux, d'apprécier la qualité et le sérieux du travail théâtral des jeunes élèves et de leurs professeurs : chacun au niveau que lui permet son âge, les enfants ont fait montre d'une réelle maîtrise et d'une belle rigueur – même l'imprévu d'une glissade ou d'une collision n'entamait pas leur concentration.


Le jeu maîtrisé : ludus et païdeia. Bernard Grosjean le rappelait d'entrée, le jeu théâtral n'a rien de naturel pour l'enfant. Il faut abandonner le préjugé selon lequel il disposerait d'aptitudes innées à ce qui relève d'une technique à apprendre. Le travail du théâtre à l'école suppose d'articuler le jeu d'essai, libre et spontané, avec le jeu maîtrisé et régulier, fruit d'un patient apprentissage qui demande une implication et un effort continus dans le resserrement progressif des contraintes. Évoquant la distinction canonique de Roger Caillois entre ludus (jeu construit) et  païdeia (jeu sans plan préalable), il rappelle que la construction d'un jeu maîtrisé et impliqué est la condition pour retrouver le plaisir enfantin de jouer, dans l'intériorisation des règles du jeu.


Les enfants ne jouent pas beaucoup, remarque Philippe Dorin: ils passent bien plus de temps à organiser et constituer les règles de leur jeu – auquel ils n'ont plus guère de temps pour s'adonner quand tout est en place. « A quoi on joue ? » « On dirait qu'on serait... » Pourtant, objecte Jean-Claude Lallias, « pour finir ça joue ». Et les réponses aux questions théoriques sur le sens et la forme du jeu se trouvent dans la pratique : jouer, cela consiste pour l'enfant à refabriquer le monde, d'autres mondes. Mais cela ne coïncide pas avec le jeu du théâtre. Il faut apprendre à passer dans un espace défini, dont les règles sont générées par l'expérience même des dispositifs, non par la spontanéité de l’amusement. C'est l'occasion de découvrir l'appropriation commune de règles collectives.


Le dedans et le dehors. Pour Nathalie Papin, la dialectique du dedans et du dehors (dans l'espace physique et imaginaire) est essentielle au théâtre : apparaître et disparaître, naître et mourir dans la matrice qu'est la scène théâtrale, tout se résumerait au fond à cela. Travaillant avec un magicien, l'auteure insiste sur l'importance du mystère et du sacré qui nimbe l'action théâtrale. « Ce mystère, qui voit une moitié se terre – ou se taire », souligne-t-elle avec malice. L'analyse ne doit pas perdre de vue que le théâtre, « ça se dit quand ça se fait » : c’est une remontée à la source du corps et de la pensée par la parole, et les considérations théoriques ne doivent pas étouffer l'importance de la pratique personnelle qui met seule en présence de l'essentiel du théâtre.


Comment le jeu vient-il au texte ? Sandrine Le Pors interroge l'instance ludique à l’œuvre dans l'écriture, qu'elle soit épique, lyrique ou dramatique, comment le jeu s'infiltre-t-il dans le texte ? Sa réflexion sur les écritures théâtrales contemporaines l'a conduite à observer la manière spécifique dont le jeu vient refaçonner l'écriture dans les œuvres pour jeune public. Soit que le jeu d'enfants (marelle, comptine) s'y mêle, soit que les rebonds sonores sur les assonances ou les jeux de répétition syllabique viennent raviver l'invention langagière, les effets ludiques dans l'écriture elle-même attirent l'attention et passent par l'abandon d'enjeux idéologiques au profit d'une invention féconde de genres et de formes dans l'expression.


Un enjeu crucial de reconnaissance. Les pratiques théâtrales scolaires, ajoute JC Lallias, se heurtent à un double et grave problème : d'une part un manque de reconnaissance de leur valeur pédagogique et littéraire, comme moyen pour la maîtrise de la langue, à l'oral comme à l'écrit, et d'autre part le profond recul actuel de l’institution sur ces questions. L'école n'est pas convaincue de l'intérêt de ces pratiques vivantes qu'elle estime être une perte de temps, et à laquelle elle préfère substituer un « vernis » de connaissances culturelles qui excluent le recours à l’expérience vécue. Avec, à l'horizon, la dévolution grandissante des apprentissages culturels actifs à des structures hors champ scolaire et leur évacuation à l'extérieur de l'école.


Comment douter pourtant que le cadre de l'école est le mieux à même de faire vivre et partager aux enfants ces expériences d'imaginaire créatif, si propices à développer le goût d'une langue et d'une culture élaborées dans un travail constructif ? A l’heure où le Ministère réfléchit sur les contenus des enseignements de classes à horaires aménagés - arts du spectacle dès l'école primaire, une réflexion attentive à la question semble plus que jamais s'imposer.



Liens :

Le site de l'OCCE :

http://www.occe.coop/federation/

Le site de l'action Théâ :

http://www.occe.coop/federation/nos-actions/thea/108-[...]

A lire pour se familiariser avec la démarche du théâtre scolaire :

Katell Tison-Deimat, 11 rendez-vous en compagnie de Robin Renucci (Actes Sud / ANRAT).



Par JCFumet , le vendredi 27 mai 2011.

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