"L'éducation nouvelle 1930-1970 " : Retour sur une utopie pédagogique 

Par Jeanne-Claire Fumet


Entre spiritualisme et mouvement révolutionnaire, entre éducation prolétarienne et salut par l'école, le mouvement de l'éducation nouvelle a profondément marqué l'histoire de l'école. Quelque part ses illusions, ses utopies illuminent encore nos débats. Pourtant difficile de définir le courant de "l’Éducation nouvelle", tant cette « nébuleuse » de méthodes et d'expérimentations pédagogiques  déjoue les tentatives d'assignation précises. Une volonté commune, cependant, l'unifie : faire de l'éducation tout autre chose que le dressage auquel on est accoutumé. Le Colloque que lui consacrent l'APEJ, le Musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne, le conseil général du 94 et la Mairie de Paris : « L’Éducation nouvelle au service d'une nation à réformer : entre espoirs et réalités (1930-1970) », s'attache à la période qui s'étend du congrès de Nice 1932 à l'extinction d'après 1968. En trois journées de communications et d'ateliers, les intervenants vont tenter de mieux comprendre ce qui a pu faire l'unité et la solidité d'un mouvement pourtant si hétérogène.


Des résultats décevants. Dès l'ouverture du Colloque, Guy Avanzini, professeur émérite en Sciences de l’Éducation de l'Université Lyon II, souligne les succès mitigés de l’Éducation nouvelle, en dépit des espoirs qu'elle a pu soulever durant toute la période étudiée. Mais comment s'en étonner : la Ligue Internationale (LIEN) a réussi à fédérer, pendant de longues années, des courants et des personnalités d'une incroyable diversité, avec pour perspective commune d'inventer une éducation populaire favorable aux enfants.


Les principaux obstacles.  L'analyse de Guy Avanzini avance plusieurs facteurs de ce relatif insuccès : le pari sur l'adhésion libre de l'enfant, sans contrainte externe, à la démarche de l'éducateur, tout d'abord. Ce postulat contredit l'image traditionnelle de l'enfant joueur, paresseux, voire mauvais, et dont il faut redresser par la force la jeune volonté pervertie. Pour C. Freinet,  pourtant,  « l'enfant ne joue que quand il ne peut pas travailler » et la contrainte pédagogique est inutile et vaine. Mais que faut-il entendre ici par « jouer » et « travailler »? Second  obstacle :  l'ambigüité jamais vraiment levée du vocabulaire éducatif. L'« intérêt » de l'enfant, par exemple, n'entend pas désigner une curiosité passagère mais une attention profonde et durable. La référence à la « nature » est plus équivoque encore : selon quels critères discerner ce qui relève chez l'enfant d'un « intérêt » naturel ou d'une « tendance » naturelle, quand tout son environnement et les attentes mêmes de l'éducateur sont sous-tendus par des impératifs culturels et sociaux ? Enfin, l'évolution des mentalités à l'égard de l'école constitue un dernier achoppement : comment croire encore en la valeur  rédemptrice de l'école pour l'enfant et la société, après les analyses de Bourdieu ou d'Illitch?


Inconciliable diversité ? Mais peut-être l'échec relatif, et aussi paradoxalement la durée relativement longue de ce mouvement, tiennent-ils à des causes plus profondes : comme le montre l'intervention de Béatrice Haengelli-Jenni sur les définitions conceptuelles et identitaires, la « nébuleuse réformatrice » se fédère essentiellement autour du modèle d'une éducation scientifique, réglée sur les besoins de l'enfant, et contre l'école traditionnelle, dont le modèle se dessine à l'occasion de cette opposition. En ce sens, la relative indétermination du vocabulaire a peut-être le sens d'une fonction de préservation de l'unité d'ensemble du mouvement plutôt que d'une négligence conceptuelle.


Du spiritualisme à l'utopie pragmatique. Car les accents spiritualistes des fondateurs des années 20, qui se réclament comme Béatrice Ensor ou A. Ferrière,  d'une « énergie créatrice vitale » et se présentent comme « les agents du Dieu qui se manifeste dans l'humanité », vont laisser place au début des années 30 à un souci d'efficacité pragmatique, d'aptitude dans le rendement social en complète rupture avec les modèles antérieurs, sans cesser pour autant de nourrir un idéalisme utopique quant aux vertus salvatrices, voire révolutionnaires de l'éducation du peuple. Le souci de l'orientation scolaire, par exemple, apparaîtra alors avec la volonté de repérer et mettre en valeur les meilleures aptitudes des élèves, au risque d'une dérive élitiste.


Salut ou révolution ? Tous les acteurs de l’Éducation nouvelle ne s'accordent pas sur les visées du mouvement :   les courants issus des milieux chrétiens, plutôt conservateurs, et ceux issus des classes populaires, fortement politisés, les éducateurs détachés de la société et ceux qui estiment que l'éducation doit transformer l'ordre social, tous se retrouvent au congrès de Nice en 1932, sur le thème de « l'éducation dans ses rapports avec l'évolution sociale ». Or la confrontation des divergences va faire émerger les critiques et les dissidences profondes, explique Frédéric Mole, lors de son intervention sur les tensions du 6ème congrès.


Au service des gouvernements ? Pour C. Freinet, précise Frédéric Mole, ce congrès marque la soumission de la Ligue au service des gouvernements, liée au versement de subventions. Convaincu de l'échec du capitalisme et de la valeur du projet pédagogique développé en Union Soviétique, qu'il a découvert en 1925, Freinet en appelle à une éducation prolétarienne pour résoudre les problèmes sociaux « sans souci de plaire ou de déplaire aux dirigeants du jour ». Mais critiqué pour son idéologie bourgeoise comme pour son attachement au modèle soviétique, Freinet restera en marge du Congrès de Nice. Ses idées trouveront leur place plus tard dans le mouvement de la Pédagogie institutionnelle.


Le parcours des théories, des disputes et des expériences liées au mouvement de l’Éducation nouvelle met en évidence la pérennité de certaines préoccupations pédagogiques et des résistances qu'elles soulèvent. Devant la complexité de ces débats, on mesure cependant combien chaque obstacle a déjà été mesuré, pesé, affronté avec des succès variables selon les époques et le contexte socio-économique.  Les prochaines étapes du Colloque, mardi 23 à l'Hôtel de Ville et mercredi 24 à Créteil, aborderont les périodes postérieures, de Vichy à l'époque contemporaine.


Jeanne- Claire Fumet


Le colloque n'est pas terminé ! Il est encore possible de s'inscrire en contactant par mail : elise.lewartowski@cg94.fr


Pour informations sur le colloque par le site des Cemea :

http://www.cemea.asso.fr/spip.php?article5556#outil_sommaire_0



Par JCFumet , le lundi 22 novembre 2010.

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