Paroles de stagiaires : « J'aurais voulu me rendre utile... » 

Par Jeanne-Claire Fumet


Marie, 30 ans, a passé le CAPES de Lettres Modernes après 6 ans d'une carrière de comédienne intermittente. Nommée dans un collège de l'Est parisien, elle voyait dans le métier d'enseignant l'occasion de « trouver une identité sociale » et de se « sentir utile auprès des élèves qui en ont le plus besoin ». Au terme de quelques semaines, Marie est résolue à démissionner pour « sauver sa santé ». Elle nous confie sa difficile expérience.


Quel service vous a-t-on confié à la rentrée ?


18h d'enseignement, un service complet, avec 2 classes de Seconde et 2 classes de Première. A cela s'ajoute la formation, le lundi, certaines semaines. Mes collègues m'ont tout de suite beaucoup entourée : ils venaient me voir dans ma classe, me donnaient des conseils, me soutenaient. Mais devant l'insistance de l'IPR à trouver des tuteurs à tous les stagiaires, deux jeunes collègues néo-titulaires d'une vingtaine d'années se sont portés volontaires pour exercer ensemble la fonction. En un sens, j'ai eu de la chance : deux tuteurs pour moi seule ! Mais c'est ce qui a posé des problèmes.


Le tutorat ne s'est pas bien passé ?


Mes tuteurs étaient vraiment très jeunes et inexpérimentés. Ils ont pris leur fonction très à cœur, comme une sorte de mission de management : lorsque je suis tombée malade, à la Toussaint, à force de fatigue et de découragement, ils ont pensé qu'il fallait me diriger avec plus de fermeté, parce qu'ils voulaient vraiment que j'obtienne ma titularisation. Ils ont commencé à m'envoyer des directives et des reproches de plus en plus sévères. Les autres collègues ont essayé de les raisonner, les formateurs IUFM aussi, mais aucune solution n'a été trouvée. Ils se considéraient comme mes supérieurs hiérarchiques et avaient des problèmes d'entente entre eux. La pression était si forte que je n'ai jamais réussi à reprendre. Ce n'est pas la cause de ma démission, mais ça y a contribué.


Comment se passaient les relations avec les élèves ?


J'avais deux classes très difficiles sur les quatre, des élèves peu scolaires, sans agressivité, mais incapables de se plier aux exigences scolaires, qui ne leur convenaient vraiment pas. Leur niveau était très faible, souvent absent ou très en retard, ce qui pose des problèmes pour les accepter et les intégrer dans le cours. Mes collègues cherchaient tous à m'aider en me conseillant, mais j'avais presque trop de conseils : entre l'IUFM et les collègues, je m'y perdais un peu. Je n'avais pas le recul nécessaire pour savoir ce qui marchait et ce qui ne servait à rien. Peut-être avec un tuteur qui aurait mieux compris les difficultés de la situation, cela aurait été moins pénible. Mais j'étais dans un état physique et mental d'épuisement tel que je ne pouvais pas continuer.


Votre expérience correspond-elle à l'image que vous aviez de l'enseignement ?


Je ne voyais pas l'enseignement et les enseignants ainsi. J'ai été étonnée de voir des gens âgés se débattre encore dans des problèmes de conflits avec les élèves : une collègue en fin de carrière cherchait dernièrement à changer de salle pour échapper aux injures écrites sur les murs... Certains sont encore plein d'enthousiasme, mais d'autres sont totalement démunis et désespérés. On entend souvent dire que les élèves de maintenant sont des barbares, mais ils ne sont pas nés comme ça : il faut comprendre qu'ils ne supportent pas d'être entassés à 28 dans des salles fermées, toute la journée à ingurgiter des programmes et à se faire hurler dessus ou sanctionner.


Si vous étiez restée dans ce métier, qu'auriez-vous voulu faire de différent ?


Je crois que j'avais une vision très illusoire, je projetais toutes sortes d'ouvertures vers le théâtre, le cinéma. J'aurais voulu être dans l'échange, partir de leurs intérêts. Mais quand je me suis retrouvée devant la classe, je n'avais aucun moyen, aucune expérience, aucun repère : je n'ai pu qu'essayer de jouer à la prof, en écoutant les conseils qu'on me donnait et en jouant sur les sanctions et les remèdes qu'on me proposait. J'aurais voulu me rendre utile pour certains enfants, ceux qui en ont le plus besoin. C'est une grande déception, mais je ne suis peut-être pas faite pour ce métier.


N'aviez-vous pas eu l'occasion de découvrir le métier avant ?


Si, mais dans des classes parisiennes de 20 élèves, avec des enseignants qui n'avaient visiblement pas de problèmes. Rien à voir avec ce que j'ai vécu cette année. La préparation du concours demande tellement de travail que je n'ai pas du tout fait le lien entre les cours et le métier de professeur. Le choc a été rude, mais je suis soulagée d'avoir décidé de démissionner. Je n'ai pas encore annoncé ma décision à ma hiérarchie, je sais que l'inspection essaie d'éviter à tout prix les démissions. En ce qui me concerne, ce sont plutôt mes tuteurs qui m'y auraient incitée.


Comment voyez-vous l'avenir ?


Contrairement à ce qu'affichait la réforme officielle, rien n'est prévu pour le reclassement des personnels qui quittent le métier. Il n'y a aucun accompagnement. Là aussi c'est une forte déception, car l'investissement personnel est énorme et on a le sentiment que tout ça n'a servi à rien. Je n'ai plus qu'à jeter mon diplôme à la poubelle.



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Par JCFumet , le mercredi 01 décembre 2010.

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