Trop petits pour apprendre à penser ? 

Par Jeanne-Claire Fumet


A quoi sert l'école maternelle ? Trop ou pas assez scolaire, remède aux inégalités ou source précoce d'échec, elle souffrirait d'être écartelée entre « une « culture » pédagogique qui favorise le jeu en s'y limitant trop et en restant toujours dans le faire » et un «souci d'efficacité » qui « place d'emblée le petit élève dans les apprentissages de l'école élémentaire ». La maternelle pourrait trouver une heureuse médiation dans le développement des facultés réflexives des enfants, suggèrent trois enseignants, impliqués dans une expérience d'atelier de réflexion en classe maternelle, à travers ce guide de projet publié sous la direction de Gérard de Vecchi, chercheur en sciences de l’Éducation. .


Pas d'angélisme du mot d'enfant. Engager un travail sur la réflexion auprès d'élèves de 3 à 5 ans, cela peut sembler aussi séduisant qu'inquiétant : les auteurs, Jean-Charles Pettier, docteur en sciences de l'éducation, Pascaline Dogliani, professeur des écoles Maître formateur et Isabelle Duflocq, directrice d’École d'application, écartent d'emblée l'angélisme naïf qui verrait dans les « mots d'enfants » l'expression d'une vérité révélée à l'état pur. Mais ils soulignent aussi l'importance d'un temps d'expression, de reprise et de travail sur les représentations spontanées des petits. D'abord parce que la vie intérieure des enfants est nourrie de ces pensées naissantes, pas forcément sereines, ensuite parce qu'exprimer et communiquer ses idées de manière intelligible est la base nécessaire à tout échange, enfin parce que clarifier ses propres pensées est la condition pour s'en écarter dans une perspective universelle. Mais n'est-il pas présomptueux de supposer de telles capacités chez les moins de 5 ans ?


Prendre le temps de s'interroger ensemble. Apprendre à penser ne signifie pas plonger d'emblée dans les méandres de l'abstraction philosophique. Mais si l'on admet que l'enfant est déjà doté de toutes ses potentialités mentales, on peut lui proposer d'exercer sa raison sur des questions qui parfois le saisissent et le laissent sans réponse, et qui trouvent rarement leur place dans la vie familiale ou scolaire. Questions à la fois simples et complexes, comme celles qui concernent la mort, la différence, l'amour, le pouvoir, qui trament notre existence du début à sa fin sans trouver d'explications satisfaisantes. Lorsqu'elles surgissent à l'improviste de la part des enfants, ces interrogations laissent l'adulte démuni et déstabilisé dans sa position de maîtrise du réel. Pourquoi alors ne pas leur accorder le temps d'attention nécessaire pour y réfléchir ensemble et comprendre pourquoi elles ne peuvent pas être résolues par des réponses pratiques ou scientifiques? En sortant du rythme alterné des apprentissages structurés et du divertissement ludique, on peut ouvrir l'espace et le moment favorables à la construction méthodique de la pensée. Même avant 5 ans ?


Ambition ou perte de temps ? Une telle démarche peut inquiéter ; n'est-il pas présomptueux de prétendre éveiller précocement l'esprit à des exercices réputés difficiles et déroutants? N'est-ce pas au détriment d'apprentissages plus utiles à la réussite scolaire ? Les auteurs se défendent de toute approche élitiste : au contraire, l'expérience menée en ZEP, avec des élèves issus de tous milieux sociaux, montre que l'on peut utilement compenser ainsi les différences de niveau linguistique et favoriser les qualités d'expression de tous les enfants : elle permet un travail tout particulier sur les qualités d'écoute, de respect, de prise en compte du sujet, de maîtrise de soi. Mais en contrepartie, le travail de réflexion en maternelle implique l'incertitude pour l'enseignant, qui n'a pas de réponse prévue à proposer et doit laisser la parole circuler, tout en assurant la bonne tenue des échanges. Ce qui oblige à la vigilance régulatrice : la dispersion, les anecdotes sans suite, la répétition, le décrochage par fatigue ou manque d'intérêt, le « lexique sans parole » de la gestuelle des corps, sont autant d'aléas impromptus - comme le montre non sans humour le documentaire tourné dans la classe de Pascaline Dogliani, Ce n'est qu'un début – qui menacent la bonne marche de l'atelier chez les petits. Mais la contrainte de donner en permanence du sens à ce qui ne fonctionne pas fait de ce travail un perpétuel laboratoire de la démarche pédagogique dans son ensemble. En mettant en lumière ce qui entrave l'échange, il éclaire des pistes pour améliorer en douceur un système traditionnel mis à mal par ses contradictions internes : comment réussir à favoriser l'autonomie, l'attitude citoyenne, le respect de l'autre, l'intégration de tous, malgré les injonctions implicites de la compétition et de la performance individuelle?


Évaluation et respect des programmes. Car la démarche n'est pas une aventure à courte vue : se référant aux enquêtes du PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves), les auteurs rappellent l'urgence d'une évolution salutaire de la maternelle en France, sous peine de disparition. Ils s'attachent à établir des critères d'évaluation des acquis et des progrès de l'élève dans le groupe (comprendre, identifier, répondre, s'abstenir, exprimer une position) et individuellement (conscience du sens et de la portée de ses propres propositions), dans les ateliers de réflexion ou en lien avec les autres apprentissages, conformes aux compétences du socle commun : maîtrise du français et expression orale, culture humaniste, apprentissage de la vie en société, autonomie et initiative. L'orientation pédagogique de cette démarche pourrait ainsi offrir des clés pour transformer de l'intérieur l'école maternelle, selon des priorités pédagogiques satisfaisantes du point de vue de l'enseignement.


Un projet pour... Apprendre à penser et réfléchir à l'école maternelle

par Jean-Charles Pettier, Pascaline Dogliani et Isabeklle Duflocq

Editions Delagrave – Juin 2010 119 pages - 8€


Ce n'est qu'un début : le film. Sortie le 17 novembre.

http://www.cenestquundebut-lefilm.com/enseignants


L'article du Café sur le film de JP Pozzi et P Barrouglier :

Ce n'est qu'un début – Une expérience de philosophie en classe maternelle.

(Sortie le 17 novembre )

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/lettres/philosophie/Pa[...]



Au Café de la pédagogie vivante :



« Apprendre à réfléchir à l'école maternelle »

Trop petits pour apprendre à penser ?


Isabelle Duflocq

Sera l'invitée du "Café de la pédagogie vivante"


Mercredi 20 octobre à 17h


Café du Lucernaire

Centre national d'art et d'essai

53 rue Notre-Dame des Champs

75006 Paris - Métro Vavin



Par fjarraud , le mardi 12 octobre 2010.

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