Maths : "Ce qui "passe" mieux, ce sont, non point les raisonnements, mais les représentations" 

 

"On peut plus facilement proposer aux élèves de travailler sur des problèmes, avec de véritables questions". Professeur de maths, formateur, Didier Missenard éclaire les usages des Tice en maths. 


On dit souvent que les tice stimulent la motivation des élèves. Est ce le cas en maths ?


Oui ! En effet, les TICE sont des outils permettant (en particulier) de formuler des conjectures relativement à des situations ouvertes. Du coup, on peut plus facilement proposer aux élèves de travailler sur des problèmes, avec de véritables questions (et non des injonctions du style "démontrer que" ou "développer l'expression"…). Les programmes insistent désormais, à juste titre, sur la résolution de problèmes pour donner du sens à l'activité mathématique.


Les logiciels de géométrie dynamique, les tableurs, permettent de multiplier les tentatives en temps acceptable, et de formuler des conjectures (les "hypothèses" dans le vocabulaire des physiciens), ce qui motive l'envie de les prouver, ou de les infirmer…Les épreuves "expérimentales", fondées sur les TICE, qui ont eu lieu en TS depuis plusieurs années, mais aussi en Troisième et en Seconde dans certaines académies (telle celle de Versailles), vont tout à fait dans ce sens.


Pour donner un exemple simple et typique, on introduit souvent maintenant la notion de maximum d'une fonction sur un intervalle en présentant une situation géométrique où l'on fasse varier, par exemple, la position d'un point ; on s'interroge alors sur les variations d'une quantité liée à la position de ce point (l'aire d'un triangle, par exemple). La mise en évidence d'un maximum par un logiciel associant figure géométrique et représentation graphique de fonction est très "parlante" ; le "changement de cadre" opéré est aussi intéressant d'un point de vue didactique.



Les Tice influent-elles sur la relation enseignant - enseignés ?


Tout à fait : que l'on utilise les TICE en grand groupe, pour stimuler des débats scientifiques, ou bien comme outil individuel, pour produire des conjectures, l'outil intervient comme un troisième personnage, avec sa propre "personnalité", dont il est intéressant de montrer qu'elle est faillible aussi : même les calculatrices font des erreurs, pourvu que l'on les pousse dans leurs retranchements ; a fortiori, les logiciels de calcul formel ou de géométrie ont aussi leurs limitations. Ces limites sont souvent liées au fait qu'un ordinateur travaille sur le discret, et le fini, alors que la géométrie ou le numérique (dès les rationnels) sont dans le domaine de l'infini.


Aussi, peut-il s'instaurer un trilogue entre le maître, l'élève et la machine, où la vérité sortira de l'argumentation ; cet aspect est l'un de ceux qui caractérise l'activité mathématique, où aucun argument d'autorité ne dit le vrai. Les élèves sont souvent sensibles à cette spécificité : en maths, on peut contredire le maître, pourvu que l'on argumente. Là, tout membre du trio peut contester un autre membre…



Quelles pratiques semblent les plus intéressantes sous cet angle ?


Le travail en grand groupe, avec "imagiciel" me semble important dans le cadre de l'enseignement des mathématiques. Typiquement, il s'agit de donner à voir une représentation d'une situation mathématique (figure de géométrie, calculs sur un tableur), dont on puisse faire varier un ou plusieurs paramètres. Les modifications, objet de discussion dialoguée, permettent de faire progresser le groupe à l'unisson, via le trilogue évoqué précédemment. Curieusement, il semble que cet usage "imagiciel" ne soit pas utilisé dans les autres pays autant qu'en France. Il est vrai que la France a été pionnière dans cet usage (le mot désignant cette activité y a été inventé). Il est frappant que le logiciel de géométrie dynamique actuellement en vogue (Geogebra, d'origine autrichienne), ne possède pas les fonctionnalités qui en permettent un usage collectif commode (bien qu'il soit sans doute simple de l'en doter) : ce qui donne à penser que l'usage des TICE en maths est surtout individuel ailleurs qu'en France…



La société dans son ensemble utilise les tice et notamment les chercheurs. Peut-on dire des tice en maths qu'elles peuvent rendre plus pointus les contenus disciplinaires ?


Curieusement, tous les chercheurs en maths n'utilisent pas l'informatique pour leur recherche : en effet, certains domaines sont si abstraits qu'ils échappent à une représentations informatique accessible. Néanmoins, les chercheurs sont très majoritaires à l'utiliser. Pour ce qui est de l'enseignement, il est clair que certaines notions ne sont accessibles que parce qu'elles peuvent être l'objet d'informatisation. La statistique en est un bon exemple : sans informatique, il est illusoire de vouloir traiter des séries importantes, objets de la statistique. Le fait que l'on enseigne les prémisses de la théorie des tests d'hypothèse en TS et en TES est lié aux possibilités de simulation et de calcul permises par l'informatique, et, en l'occurrence, par le tableur. Les débuts de la théorie des Graphes, enseignées en option de spécialité mathématique de TS, feraient pâle figure sans recours à l'informatique, via des logiciels dédiés.



Peut-on dire des Tice en maths qu'elles permettent des raisonnements plus difficiles à faire passer traditionnellement ?


Pour ce qui est des raisonnements proprement dit, je ne crois pas. Certes, certains théorèmes n'ont été prouvés qu'avec l'appui de l'informatique, comme le théorème des 4 couleurs (Appel et Haken, 1976). Certes aussi, on commence (en recherche) à s'appuyer sur des outils de preuve automatisée, voire de vérificateurs de preuves, mais ces outils sont loin d'être à la portée d'un élève. Ce qui "passe" mieux, ce sont, non point les raisonnements, mais les représentations : la fluctuation d'échantillonnage, notion clé de la statistique, devient facile à faire comprendre de par la multiplication des possibles qu'offre l'informatique. De même, en géométrie, la multiplicité des dessins qu'offre une "figure" informatique, peut mieux permettre de mettre en évidence la quantification cachée sous les théorèmes, même élémentaires.



Enseigne-t-on les mêmes maths avec tableur et sans tableur ?


Pour ce qui est des notions elles-même, je crois qu'il n'y a guère de différence a priori : on enseignait bien la statistique avant de disposer d'outils de calcul auparavant. Néanmoins, je suis persuadé du fait que l'on l'enseignait bien moins bien… ou, à tout le moins, bien moins efficacement.


Didier Missenard



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Par fjarraud , le jeudi 18 février 2010.

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