Autour du rapport Fourgous : Quand les élèves vont chercher le prof de langues… 

Comment enseigner une langue difficile et ultra minoritaire ? Avec les Tice bien sur. Béatrice Crabère enseigne le russe dans le sud-ouest de la France. Elle collabore aussi au Café pédagogique. Elle nous explique comment les TICE ont changé son enseignement.


Deux nouveaux outils semblent révolutionner l’enseignement des langues : la baladodiffusion et les vidéoconférences. Utilises-tu les deux ?


Je n’utilise pas encore la baladodiffusion, mais j’y réfléchis sérieusement, et ce depuis une demande émanant non pas de l’Institution, mais des élèves. Comme j’insistais sur l’importance de la phonétique et de l’intonation en russe, et leur reprochais de parler le russe « comme des francophones qui mettent un point d’honneur à parler les langues étrangères avec la platitude du français » (on est parfois un peu vif en classe !), ce groupe d’élèves de première se situant à 150 kilomètres de leur professeur a argumenté que, s’ils avaient autant d’occasions qu’ils voulaient d’entendre de l’anglais, ils aimeraient bien avoir l’opportunité d’écouter aussi des chansons en russe (comprenez dans leur baladeur, puisque c’est l’outil que cette génération privilégie naturellement). Donc ils réclament, en accord avec les nouveaux programmes de seconde, d’augmenter la masse critique d’exposition à la langue. Ma réaction dans l’urgence a été de leur offrir pour Noël une liste du type « TOP 10  des chansons de variété russe de l’année 2009 », avec les liens nécessaires sur la Toile pour les écouter, voir les clips, les télécharger et lire les paroles. J’ai bien sûr sélectionné les chansons sur des critères alliant plaisir et culture, écartant ce qui me paraissait indigne d’être conseillé par un éducateur !


Nous nous situons là dans une démarche naturelle et dans le plaisir d’écouter une langue étrangère. On peut aller plus loin dans la didactisation, et c’est ce que je me propose de faire maintenant. Je vais commencer à proposer pour toutes les séquences une liste de documents sonores à télécharger en complément. De façon facultative et pour le plaisir. C’est l’expérience qui montrera s’il est intéressant de passer à une étape plus dirigée, avec des écoutes obligatoires en dehors du cours et des évaluations. Pour le moment j’ai peur que les élèves ne se soustraient à une tâche qui transformerait la source de plaisir en devoir supplémentaire. Pour moi, l’utilisation du baladeur rejoint celle du jeu en classe. La part affective doit rester intacte pour obtenir un résultat positif dans l’apprentissage.


Comme toujours lorsqu’on parle de TICE, la question des équipements se pose. Les pratiques actuelles se font le plus souvent en prenant appui sur les outils personnels des élèves. Dans mon lycée de rattachement, nous avons monté un projet d’équipement d’espace-langues et le téléchargement de fichiers audio ou vidéo pourra s’y faire d’une part de façon encadrée et légale, d’autre part sur le matériel fourni à cet usage par l’établissement.


Par contre je pratique depuis maintenant plus de dix ans la vidéoconférence. Et tout d’abord, je voudrais utiliser plutôt le terme de visioconférence, qui est un synonyme plus utilisé en France, d’autant que le mot « vidéo » renvoie dans notre esprit à une notion d’enregistrement, or nous sommes en classe en parfaite interactivité avec les élèves, rien n’est enregistré.


En quoi l’utilisation de cet outil de communication a-t-il révolutionné l’enseignement des langues ?

Juste en ceci qu’il a permis à des élèves éloignés des établissements de résidence des professeurs enseignant des langues à faible diffusion (pardon aux collègues d’allemand !) de profiter de cours que leur établissement était incapable de leur proposer. C’est une bien maigre révolution, c’est juste une adaptation à une politique de moindre recrutement d’enseignants de ces disciplines. La technologie a permis de sauvegarder une certaine offre disciplinaire, quand les suppressions de postes intervenaient partout où la rentabilité était jugée insuffisante par la politique du Ministère. Le russe est depuis longtemps touché par ces mesures de restriction, et j’ai eu la chance de pouvoir continuer à l’enseigner et à échapper à d’autres mesures comme la bivalence imposée, grâce à la visioconférence. Il faut cependant noter que, du moins en ce qui concerne l’Académie de Toulouse, qui est très étendue et comprend de nombreuses zones rurales, ce qui pourrait justifier le succès de cet enseignement, il est en perte de vitesse. Dans de nombreux cas, l’absence d’accompagnement des jeunes professeurs par l’Institution, la non reconnaissance des spécificités de ce mode d’enseignement par la hiérarchie et l’administration, ont amené à un abandon de cette forme d’enseignement. Dans certains cas, l’évolution a été négative et l’offre pour les élèves a été simplement supprimée, dans d’autres cas (pour le chinois par exemple), il y a eu des créations de postes et les collègues ont été soulagés.


Comment fonctionne la visioconférence ?


Jean-Marc Robinet en parle très bien dans cet article paru sur le site du RH Concept, société de conseil en ressources humaines et formation:

http://www.cerclerh.com/editorial/visioconferencelong10903.asp


En général, les collègues qui pratiquent la visio ont un poste à profil spécifique. Ils effectuent un demi-service dans leur établissement de rattachement, et complètent en visio dans un ou plusieurs autres établissements éloignés.


Mon cas est très particulier en ceci que je n’ai pas de service « normal » et que je fais selon les années jusqu’à un temps complet en visio, avec des cours en collège considérés comme expérimentaux par le Rectorat de Toulouse.


J’ai effectivement expérimenté plusieurs techniques et plusieurs configurations, car une partie de mes cours se déroule depuis 10 ans directement depuis la mission TICE du Rectorat, et j’ai participé à toutes les étapes de la recherche en ce domaine.


Au début, nous utilisions le matériel qui a été adopté aujourd’hui dans la plupart des Académies ou des universités et qui consiste en une liaison Internet avec webcam, qui permet d’afficher sur l’ordinateur de chaque élève et du professeur une image de l’interlocuteur dans un coin de l’écran, et des documents sur le reste de l’écran.


Cette configuration est maintenant plus performante qu’à ses débuts en raison des débits plus élevés d’Internet. L’époque pionnière fut épique, avec de nombreux fou-rires quand l’image du prof était figée dans différents rictus expressifs pendant plusieurs minutes (idem pour l’image des élèves, mais le prof sait se tenir !)


Elle n’est cependant pas adaptée à la configuration d’une « classe » (j’ai eu jusqu’à 15 élèves dans les groupes de visio), et ne présente que des inconvénients du point de vue pédagogique. Si elle a tant de succès dans l’Education cependant, c’est qu’elle est très économique.


Nous avons donc décidé de doter les points d’émission et de réception d’une caméra collective performante, téléguidée à distance par le professeur, et qui permet de balayer tout l’espace, de zoomer, et d’afficher sur un téléviseur soit l’image du prof ou des élèves, soir des documents fixes. Le microphone est également collectif et le son transmis par le téléviseur, ce qui permet une liberté de mouvements dans la classe aux élèves libérés des casques individuels.


Les collègues de l’Académie se servent maintenant de ce dispositif sans avoir besoin d’ordinateurs, ils filment un tableau blanc quand ils écrivent le cours.


En accord avec la mission TICE, j’ai conservé l’usage associé d’un ordinateur pour la transmission de documents et le partage d’écran, car dès le début de mon enseignement, j’avais tenu à participer à un groupe de recherches entre collègues de russe à l’Université Paul Sabatier de Toulouse pour développer des logiciels d’apprentissage adaptés à ce mode d’enseignement. La visio était un prétexte en fait, pour mettre un pied dans l’intégration des TICE dans mon enseignement. Aujourd’hui je ne peux plus me passer de ces outils.

Une démonstration de cet enseignement est disponible sur le site du Rectorat de Toulouse. La vidéo présentée date de 2005 :

http://www.ac-toulouse.fr/web/65-actualites.php?actu=3034


Depuis, l’Académie fait partie du projet de classe virtuelle souscrit par les IUFM avec le groupe Centra. C’est un logiciel très performant qui permet une navigation partagée et confortable, une interaction totale avec l’ordinateur de chaque élève. C’est un pas de plus vers l’intégration d’Internet dans le déroulement du cours : correspondance scolaire, visite de sites et accès aux documents authentiques, dictionnaires et traducteurs en ligne, téléchargement de fichiers de cours même en dehors des heures de cours, partages d’écran.


La visioconférence n’est qu’une technique pour palier une absence physique du professeur, on l’aura bien compris. C’est là sa limite, et je ne l’aurais jamais pratiquée si longtemps ni défendue avec tant d’acharnement si elle n’avait pas été un moyen pour moi d’obtenir systématiquement d’enseigner dans un environnement multimédia, car c’est là que je situe la véritable révolution !


Qu’est-ce que ça apporte à l'élève par rapport à un cours en présentiel?


Y a-t-il réellement un apport différent ? Je pense que les inconvénients sont plus nombreux pour l’élève que les avantages. Par rapport au même cours en présence du prof s’entend, donc en ce qui me concerne, par rapport à un cours dans un environnement informatisé. Tous les collègues comprendront à quel point il est difficile, dans des conditions normales, à un prof de langue qui a des groupes de 1 à 15 élèves de bloquer une salle informatique pour tous ses cours ! C’est de l’utopie. Donc, pour mes élèves, le prétexte de la visio est le premier avantage : celui de profiter pleinement des nouvelles technologies. En collège, certains choisissaient même l’option russe pour avoir accès aux ordinateurs (surtout en zone rurale il y a dix ans !).


Le deuxième avantage est la pratique de l’oral. Quand l’interlocuteur est absent, on a tendance à multiplier les interventions orales pour garder le contact. Le prof ne voit les ordinateurs des élèves que s’il sollicite un partage d’écran. La description orale des documents cherchés sur Internet par exemple prend tout son sens dans cette situation. Les échanges entre élèves sont également plus fréquents, car ils se sentent plus facilement entre soi, il suffit de ne pas regarder la télé, et le prof n’est plus au milieu de l’échange.  L’interaction orale est ainsi plus naturelle.


Les élèves prennent possession de leur cours. Ils doivent souvent aller chercher seuls une clé de salle, allumer les appareils, se positionner, respecter l’ordre de parole (on ne comprend plus rien s’il y a du bruit). C’est finalement eux qui vont chercher le prof et non l’inverse. C’est une différence sérieuse.


En lycée, les cours se déroulent simultanément sur deux (ou trois) établissements : je suis dans une classe de Toulouse avec 4 ou 5 élèves, et nous sommes en liaison visio avec autant d’élèves d’un lycée distant (à Tarbes et, à une époque, à Pamiers). L’avantage pour les élèves est de reconstituer un groupe plus nombreux et où les échanges sont plus riches. Les petits effectifs, c’est bien, mais les très petits effectifs, non !


Enfin, il y a un recentrage sur les apprentissages. Il est difficile de parler à quelqu'un en particulier pendant le cours, tout le monde entend. Il est insupportable pour le prof d’assister à la télé à une digression des élèves à laquelle il ne prend pas part. Des dérives sont ainsi évitées. Et puis, l’environnement particulier agit un peu comme l’espace scène sur les acteurs. Quand on est entré dans le champ de la caméra,  on fait du russe. C’est automatique.


N’est-ce pas demander beaucoup d’autonomie aux jeunes ?


Si, et c’est bien ! Ceci dit, l’environnement que nous avons choisi à Toulouse limite l’autonomie des élèves à quelques gestes matériels en début et en fin de cours, et à la gestion de leur classeur. Le choix de cette caméra collective fait que le professeur sait en permanence ce qui se passe dans la salle de classe, entend tous les chuchotements, répond à toutes les demandes. La prise de notes est simplifiée au maximum par le partage d’écran, et le professeur voit si les élèves copient ou non.


De toutes façons, le choix d’apprendre une langue comme le russe est déjà une décision d’acquérir une plus grande autonomie : rares sont ceux qui pourront se faire aider à la maison ; ou un choix motivé par une recherche personnelle, familiale. Dans tous les cas, c’est un vrai choix, la matière est rarement subie. Il arrive que ce choix ne soit pas motivé par les bonnes raisons (contournement de la carte scolaire par exemple), et là, effectivement, certains abandonnent en invoquant la visio. Je ne suis pas convaincue que la seule présence physique d’un professeur les ait retenus bien plus longtemps et de façon profitable. Je ne connais pas d’expérience d’enseignement en visio et multimédia dans des matières obligatoires (anglais, maths). C’est peut être là qu’il faudrait mesurer l’impact d’une telle demande d’autonomie.


Peut-on complètement se passer de présentiel ?


Là, je vais choquer, mais oui. Surtout au lycée. Les collégiens ont encore besoin que l’on vérifie leur cahier, et de sentir une présence rassurante de temps en temps. Les groupes sont réduits, et dans ces conditions, on s’attache. Quand je viens voir les élèves de 4ème au bout d’un mois, ils seraient prêts à m’embrasser ! C’est comme quelqu’un de la famille avec qui on est en contact, mais qu’on n’aurait pas vu depuis longtemps.


Les lycéens, on le comprend, ont une approche moins affective de leur enseignant. Ceux que je sens les plus fragiles en seconde, je les place le plus près possible de la caméra et du micro, au premier rang. Ils se sentent plus en sécurité, plus concernés. Il est bien sûr plus sympathique de faire au moins connaissance en chair et en os. Mais certains de mes élèves ne m’auront jamais rencontrée jusqu'au Bac, et pourtant nous nous connaissons très bien et sommes même très proches. Ils me donnent des nouvelles après le Bac, ou me croisent alors qu’ils poursuivent leurs études à Toulouse et c’est une grande émotion.


Encore une fois, se passer de présentiel n’est pas un choix, il s’agit de contraintes d’emploi du temps, de temps et de coût des déplacements. La meilleure façon de faire cours est d’être parmi ses élèves.


Béatrice Crabère




Par fjarraud , le mardi 16 février 2010.

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