Quand commence l’histoire (des arts) ? 

L’art contemporain est en réalité celui qui puise sa force et sa signification en nous, dans nos pratiques et nos réflexions". Dimanche 7 février, Christian Boltanski tenait conférence au Mac-Val à Virty (94). Boltanski recrée l'histoire et éclaire le présent avec des vêtements.  Joëlle Gonthier relie les hommes avec une corde à linge. C'est elle qui rend compte de la conférence de C Boltanski.



« Personnes » et autres battements de cœur


L’artiste est là. Il évoque son enfance et les villes bâties en sucre, les constructions en boîtes d’allumettes si petites… Il parle de visites à la foire et d’un jeu qui engloutit les pièces de monnaie tant le désir est grand de manipuler un bras articulé afin de s’emparer de peluches. On les saisit au-dedans d’une boîte vitrée, puis on les conduit jusqu’à soi pour les tenir à sa main.


Il déplisse avec des mots choisis les vêtements qui jonchent le sol et dit combien il désire faire entendre chaque battement de cœur. Son intérêt pour ces battements est vif au point d’en constituer une collection, dans une île, au Japon. Il dit aussi qu’il joue sa musique, mais que d’autres peuvent l’interpréter et qu’il rêve de faire inscrire ses œuvres au répertoire. Il rit, sourit, souvent. Il se demande « si les humains ne sont pas plus importants que les œuvres ». C’est au MAC-VAL, musée du Val-de-Marne, dimanche après-midi entre 16 et 17 heures. Christian Boltanski a accepté de partager ce qui peut se dire ici de ce qui fait son œuvre. A Vitry, dans cette salle comble, les verrières du Grand Palais et les grues qui déplacent douze tonnes de vêtements sont loin. Pourtant assis sur les bancs du public, nous éprouvons leur nécessité, leur pertinence, leur grandeur.


Ce que j’écris ici va sans doute faire réagir ceux qui n’auront vu que des engins de chantier et un dépôt sauvage là où l’artiste a inscrit un intervalle entre l’art et la vie. Son œuvre nous regarde parce qu’elle parle de nous. A l’aide d’un vocabulaire plastique  construit patiemment par l’artiste, elle explore avec une économie singulière ce que les mots auraient abordés autrement ou peut-être délaissés.


Articuler histoire, actualité et prospective


Boltanski était assis derrière un bureau, face à nous. Nous n’étions pas en classe bien que nous ayons beaucoup appris tant l’étude de l’art ne se résume à l’apprentissage de leçons. Il y a les rencontres, les échanges, le contact direct, la confrontation… En somme, il y a une pratique de l’art qui use, entre autres, de la fréquentation et de la fréquence pour enseigner ce qu’il est. Ce qui est vrai pour l’art se vérifie dans d’autres domaines : sans désir et sans plaisir est-il possible par exemple de s’engager dans une aventure aussi éprouvante que celle de la scolarité ?


La conférence de Boltanski fera date pour étudier son œuvre et il se peut même qu’elle ait changé un peu le cours d’autres vies que la sienne. L’histoire commence aujourd’hui, avec la nôtre et celle de nos semblables qui vivent en empruntant certains traits à ceux qui nous ont précédé, bien que ces derniers n’aient pas toujours laissé trace de leurs visages. Actualité et histoire s’articulent. Toutefois, pour que cet ajustement soit valide, il existe un autre temps à ménager : celui à venir. Comment vivre sans se projeter, sans anticiper, sans inventer des lendemains à plus forte raison quand on a encore l’âge d’aller à l’école (je parle bien sûr des enseignants) ? La prospective s’invite ainsi dans la danse. En effet sans dialogue entre les temps qui nous façonnent, comment percevoir et comprendre ce qui nous arrive et décider de la conduite à tenir ? Comment affirmer que nous sommes à une époque où tout va très vite et ne jamais prendre le temps de regarder devant ! Sans création et sans recherche existe-t-il encore un devenir possible ?


Nous sommes les contemporains de notre propre savoir


Si le ciel commence à nos pieds, l’art contemporain ne commence pas à notre naissance car il daterait alors, pour les plus anciens, du début du XXème siècle et pour les plus jeunes, du nouveau millénaire. Traduit en nom d’artistes, Claude Monet serait la figure tutélaire des premiers et Damien Hirst des autres. L’art contemporain est en réalité celui qui puise sa force et sa signification en nous, dans nos pratiques et nos réflexions. D’une certaine façon, il est celui qui résonne à notre contact car si tel n’était pas le cas comment continuer à prétendre que pour comprendre les œuvres anciennes il faudrait en passer par le regard de ceux qui les ont conçues ?


Dès lors, comment parler d’histoire, sans être les contemporains de notre propre savoir, c’est-à-dire sans apprendre par la pratique dès l’école ce qu’est une démarche de création ? L’histoire des arts ne sera rien sans le soutien de la création contemporaine, or  son actualité voit sans cesse s’accroître sa précarité. Son avenir devient incertain en raison de la fragilisation sans précédent des structures et des personnes qui l’animent. Les budgets fondent, les effectifs sont dégraissés… la pauvreté s’installe. Pour ne citer qu’eux, l’éducation, l’art et la culture vont mal en ce pays où la nostalgie des grandes heures occulte le fait qu’elles furent très souvent l’œuvre d’artistes et de politiques ayant vu au-delà de leur temps.


Le 25 mars, les fils de La Grande Lessive® vont de nouveau traverser les cours, les places et les rues ici et ailleurs. J’ignore si des vêtements y seront accrochés, je rêve d’y entendre des battements de cœur.


Joëlle Gonthier



Expositions Christian Boltanski :

Personnes, Grand Palais jusqu’au 21 février

Après, Mac-Val, Vitry-sur-Seine, jusqu’au 28 mars


Le site de Monumenta 2010

http://www.monumenta.com/2010/


Inscription à la Grande Lessive du 25 mars :

lagrandelessive@gmail.com



Par fjarraud , le mercredi 10 février 2010.

Partenaires

Nos annonces