Didier Jourdan : "La grippe A est une opportunité éducative" 

Est-il encore temps ? Le 26 août, le Café estimait qu'à l'occasion de la pandémie, l'Ecole avait manqué deux rendez-vous : celui de l'éducation à la santé et , à travers la continuité éducative, celui de s'inscrire dans sa communauté. Pour Didier Jourdan, spécialiste de l'éducation à la santé, il est encore temps.  " L’enjeu clé n’est pas technique, il est citoyen : faire preuve de solidarité et de responsabilité."


Un plan a été mis en place par le gouvernement. Pensez vous qu'il soit insuffisant ?


Le plan présente la stratégie mise en œuvre par les pouvoirs publics, notamment la mobilisation des différents acteurs. Il s’agit d’un plan de gestion de crise à l’échelon institutionnel adapté à une pandémie grippale. L’Etat a tiré les enseignements de ce qui s’est passé avec le sang contaminé ou la canicule de 2003, on ne peut que s’en réjouir. Pour autant, il est bien évident que la prise en charge par la nation d’une telle situation ne peut se limiter à ces mesures. L’essentiel se joue largement ailleurs, dans l’attitude de chacun et de tous, dans la manière dont les citoyens vont prendre soin d’eux-mêmes et des autres, dans la façon dont chacun va adapter son mode de vie, ses comportements dans le but de se protéger et de protéger les autres. L’enjeu clé n’est pas technique, il est citoyen : faire preuve de solidarité et de responsabilité.


L'éducation à la santé est une parente pauvre de l'Ecole. Est-il encore temps d'agir ?


C’est vrai que l’éducation à la santé trouve aujourd’hui difficilement sa place dans le champ scolaire. Dans notre pays, la santé est généralement perçu uniquement dans sa dimension médicale et est parfois considérée comme ne relevant pas du champ scolaire. En fait, éduquer à la santé c’est contribuer à développer chez les élèves la capacité à faire des choix éclairés et responsables en matière de santé. Ce n’est en aucune manière prescrire des comportements. De plus dans un contexte de « sanitarisation » de la société, d’idéalisation du corps la pression des médias ou des stéréotypes sociaux sur les jeunes, la rendent plus indispensable que jamais.


Non, il n’est pas trop tard. D’abord parce le cœur de la mission de l’école est l’éducation des citoyens et qu’elle ne peut faire l’impasse de la question de la santé qui tient une place importante dans la vie sociale et appelle des décisions éclairées de la part de tous les acteurs. Ensuite parce que l’école dispose des atouts en vue d’une éducation à la santé pertinente et efficace. Les programmes scolaires, le socle commun, les textes relatifs à la vie scolaire donnent le cadre de l’éducation à la santé et conduisent à développer les activités pédagogiques selon trois axes :


     -  Permettre l’acquisition de savoirs et de savoir-faire relatifs au corps et à la santé, aborder et permettre l’expression des élèves sur des problèmes de société qui font appel à la fois à des valeurs, des lois, des savoirs scientifiques.

     -   Contribuer, en cours, à l’apprentissage des savoir-être (compétences sociales et civiques)

     -   Développer chez les élèves la résistance à l’emprise de l’environnement (stéréotypes, médias, pairs…)


L'éducation à la santé à l’école n'est ainsi pas l'affaire de spécialistes. Elle relève de l'action quotidienne des adultes en charge de l'éducation des enfants. Cela ne signifie nullement que tous les intervenants aient à se situer de la même façon mais bien que chacun a sa place spécifique. Les acteurs issus du champ sanitaire et social (assistants sociaux, infirmiers, médecin) ont un rôle d’experts, de conseillers au service de projets pour lequel les actions éducatives seront essentiellement le fait des parents et des enseignants. Les équipes d’encadrement et de vie scolaire jouent un rôle déterminant dans l’analyse des besoins, l’élaboration et le suivi des projets. Concrètement, pratiquer l’éducation à la santé, c’est tenir ensemble deux aspects : d’une part le volet pédagogique c’est à dire le travail d’éducation à la santé conduit dans les cours et d’autre part un volet plus large prenant en compte tous les aspects de la vie dans l’établissement. Ce second domaine n’est pas moins important que le premier, il concerne tout ce qui contribue, à l’échelle de l’établissement, à la création d’un environnement physique, social et d’apprentissage favorable… C’est ce que font déjà de nombreux établissements dans le but notamment de promouvoir la réussite des élèves ou de lutter contre la violence. Aujourd’hui, l’enjeu est à la fois dans la formation et l’accompagnement des acteurs de l’école et le renforcement spécifique de la santé scolaire.


L'Ecole française tourne traditionnellement le dos à la communauté qui l'entoure. La grippe offre effectivement une opportunité. Mais comment faire ?


La grippe A est un objet partagé par tous. Pour les éducateurs, professionnels comme parents, elle est une opportunité éducative, son émergence illustre combien nous faisons « humanité commune » avec ceux que nous rencontrons quand bien même ne soient-ils pas de notre clan, de notre catégorie socio-économique, de notre génération ou de notre sexe. Cet événement qui touche toute la communauté nationale est un support permettant d’approfondir la question du « vivre ensemble », de travailler les liens sociaux et tout spécifiquement ceux avec les plus vulnérables. Face à une démarche individualiste de recherche sans fin de sécurité pour soi et les siens, charge à l’école et à la nation de montrer aux enfants et aux adolescents que c’est l’engagement de tous dans une démarche solidaire qui permet de faire face aux difficultés. Concrètement, elle offre la possibilité d’une démarche de coéducation avec une information partagée sur le volet éducatif (par exemple, en premier degré, les thèmes abordés en lien avec la grippe dans le travail d’un album de littérature de jeunesse sur la solidarité, les critères de validité des sites Internet pour une recherche documentaire : qu’est-ce qui en fait la fiabilité, le travail de lecture des outils de communication, la production de pages Web …), des temps forts impliquant les collectivités locales le lien avec les structure en charge de la solidarité à l’échelon municipal etc.


On voit bien le rôle que les TICE pourraient jouer dans la continuité pédagogique. Pensez vous qu'elles pourraient être utilisées pour faire lien avec la communauté ?


Oui, on le voit aujourd’hui, les TICE ne permettent pas seulement une transmission verticale d’une information mais également la création de liens horizontaux. La gestion des outils de communication reste à l’heure actuelle difficile car les établissements scolaires n’ont pas tous les moyens d’organiser le partenariat via la toile. C’est un enjeu fort pour l’avenir.


Sur la question de la continuité pédagogique, précisons qu’il est peu probable que nous allions vers une multiplication des fermetures d’établissements. Du point de vue de la conduite concrète de la lutte contre les épidémies à l’école, le seuil de trois élèves est difficilement tenable. La prise en charge d’une épidémie relève d’un travail de discernement au cas par cas, une étude fine est conduite par les autorités de régionales de santé publique et la décision est prise par le préfet. La démarche est toujours de maintenir les établissements ouverts au maximum. A mon sens se lancer dans une frénésie de fermeture d’école n’est pas tenable, les autorités de l’éducation nationale seront amenées à mettre en œuvre des dispositif de limitation de telles mesures.


Traditionnellement l'école française cherche plutôt le bien de l'Ecole et pas le bien commun. Votre message montre t il qu'une évolution est en cours ?


Il est difficile de dire que l’école ne cherche pas le bien commun ! Ce qui est certain c’est qu’elle s’est construite historiquement en opposition à la société. Vous avez raison, la façon dont est traitée la question du lien de l’école aux questions socialement vives évolue rapidement. Développement durable, consommation, médias, santé, autant de thèmes sur lesquels l’école appelée à contribuer « en temps réel » aux dynamiques sociales. Ce n’est pas sans poser des questions en ce qui concerne la mission de l’école et de ses professionnels mais il est certain que l’on ne peut faire l’impasse d’une réflexion approfondie sur cette question.  En ce qui concerne la santé, l’évolution en cours n’est pas celle d’une invasion de l’école par le sanitaire mais bien du développement de la capacité critique des élèves. Elle me semble aller dans le bon sens.


Didier Jourdan

Equipe « éducation à la santé en milieu scolaire » IUFM d'Auvergne


Entretien : François Jarraud


Liens :

L'Ecole et la grippe

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/Grippe.aspx

L'appel de Didier Jourdan

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/11[...]


Par fjarraud , le jeudi 10 septembre 2009.

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