Obama et les systèmes scolaires américains 

Denis Meuret, Université de Bourgogne (IREDU)


Parfait connaisseur du système éducatif américain, Denis Meuret lui a consacré récemment un livre qui a fait date "Gouverner l'école". Pour les lecteurs du Café, il décrypte la situation et les ambitions d'Obama en matière d'éducation : Obama ira plus loin dans la responsabilisation et l'autonomie des écoles.



meuretIl n’a pas été beaucoup question d’éducation pendant la campagne électorale américaine. C’est étonnant par rapport à la vivacité des débats permanents sur des sujets comme les bons d’éducation ou le choix de l’école. Selon mes collègues américains, les candidats estiment qu’on peut perdre beaucoup de voix et qu’on a peu de chances d’en gagner beaucoup à aborder le sujet de l’école dans une campagne présidentielle. Ils sont donc d’une grande prudence sur le sujet. Des personnalités respectées du monde de l’éducation comme l’ancien gouverneur démocrate du Colorado, Roy Romer, avaient pris la tête d’une coalition bipartisane dont l’objet était seulement qu’il soit question de l’éducation dans la campagne, sans succès apparemment.


D’après les journaux et les sites internet, notamment celui du département fédéral de l’éducation, les principaux aspects du programme de l’actuelle administration sont les suivants :


Améliorer les services éducatifs aux très jeunes enfants, notamment quadrupler les ressources de Head Star et Early head Start , deux ensembles déjà anciens de programmes d’intervention aupsrès des très jeunes enfants, programmes qui sont, en effet, ceux dont les évaluations sont le plus souvent positives.


Quant à l’enseignement primaire et secondaire,

-a) réformer No Child Left Behind , la loi de 2002, ce qui signifie :

 - davantage de financement, puisque selon Obama, le principal problème de NCLB était que « the money was not behind ».

- L’essentiel de NCLB était la mise en place d’un système d’accountability : Les écoles doivent atteindre des objectifs exprimés en terme de proportion d’élèves maîtrisant tel niveau de compétences ; si elles ne les atteignent pas, si donc elles sont tenues pour « en besoin d’amélioration », une combinaison de soutiens (diagnostic par des pairs, ressources, formations) et de pressions (de l’obligation de changer le projet d’établissement à la fermeture de l’école en passant par l’autorisation pour les élèves du secteur d’aller dans une autre école publique) se met en place. S’agissant de cette accountability, la nouvelle administration entend améliorer la mesure des performances des élèves, en finançant la mise au point de tests plus sophistiqués, mesurant des capacités cognitives de niveau supérieur, comme la capacité à expérimenter, à résoudre des problèmes, à présenter et défendre ses idées. Les tests doivent être une partie seulement des moyens par lesquels on évalue la qualité de l’enseignement dans une classe. En outre, selon certains collègues, Obama va sans doute éloigner la date à laquelle 100% des élèves doivent être  proficient (compétents), puisqu’ il est clair que cet objectif ne sera pas atteint en 2014 comme initialement prévu par la loi : De 2002 à 2008, selon le NAEP, un système rigoureux de l’évolution des performances des élèves, en place depuis 1970, les scores moyens des élèves ont augmenté et les écarts entre groupes ethniques se sont réduits[1], mais bien moins vite que la loi ne le demandait.

- Une autre modification prévue de l’accountability est que, pour les écoles en «besoin d’amélioration», la réaction de l’administration sera composée de davantage de soutien et de moins de pressions. Ici, comme sur les tests, Obama reprend le discours des syndicats enseignants qui, aux Etats-Unis, ne contestent ni la légitimité ni l’opportunité de l’accountability, mais ses modalités actuelles.


b) améliorer l’enseignement des maths et des sciences, un objectif récurrent du système américain depuis que les évaluations internationales montrent la faiblesse de ses élèves dans ces deux domaines.

c) Retenir les élèves : trop d’élèves quittent le système avant la fin de l’enseignement secondaire ; des subventions seront accordées aux districts qui construiront des stratégies pour traiter ce problème.

d) Développer, pour les élèves en difficulté, des programmes d’enseignement après l’école

e) Plus de ressources, mais aussi une accountability plus contraignante pour les Charter schools.  On sait que ces écoles sont financées sur fonds publics, sont dégagées de la plupart des règles habituelles, mais que leur contrat (Charter) n’est en principe renouvelé que si leurs élèves atteignent un niveau suffisant dans les matières fondamentales. Obama reprend à cet égard la position démocrate classique. Les Charter Schools, en effet, sont préconisées et par les démocrates et par les républicains, mais les états démocrates, appliquant le principe «l’autonomie récompense l’efficacité»,  surveillent davantage leurs résultats que les états républicains, où l’on a tendance à considérer que, ces écoles devant forcément être efficaces à cause de leur autonomie, point trop besoin n’est de surveiller ladite efficacité.


Quant à l’enseignement supérieur, aucune réforme de son organisation ou de son fonctionnement n’est indiquée, la principale mesure prévue est de financer sur fonds publics une part de la scolarité en college en échange de cent heures de travail au service de la communauté.


Si je puis donner maintenant une vision plus personnelle de ce qui est en jeu avec l’administration Obama, je dirais ceci.


Obama bien sûr ne reprend aucune des antiennes qui font la spécificité du discours sur l’éducation dans notre beau pays (On scolarise trop d’élèves trop longtemps, il faut choisir entre élever l’âme des élèves et leur donner une place dans le monde économique ; la société doit fournir à l’école des élèves dignes d’elle, ce qu’elle fait hélas de moins en moins, à cause de sa décadence morale (Luc Ferry) ou de ses inégalités sociales (le SNES, les enseignants du PS) ou des deux), il reprend l’essentiel de celui que la gauche moderne, à travers Blair et Clinton, a construit dans les années 90 : une responsabilisation des établissements scolaires, organisée par l’Etat au service de la maîtrise par le plus grand nombre des compétences de base utiles dans une société moderne et une économie de la connaissance. Toutefois, il le reprend avec un accent particulier, lié à son histoire (il a connu de près les écoles populaires de Chicago quand il était « organisateur de communautés ») et à la tradition intellectuelle dans laquelle il s’inscrit. Cela a été déjà dit : Obama est l’héritier de ce qu’il y a de meilleur dans la tradition américaine et il entend s’appuyer sur cette tradition pour surmonter les énormes difficultés actuelles. Cette tradition a deux noms : Roosevelt en matière politique, Dewey en matière de philosophie politique et d’éducation. L’héritage politique deweyen d’Obama se lit dans sa volonté de réhabiliter l’espace public, et dans son éloge de la démocratie américaine, dans son idée que cette démocratie est un état social que renforcent la qualité, l’intensité des échanges de toute nature entre les individus et que menace la peur (des autres, de l’avenir, du monde).


En matière d’éducation, cet héritage le conduit, selon moi, à proposer une forme démocratique de responsabilisation des écoles, qui, si elle réussit, laissera une trace durable au-delà même du système scolaire américain[2] (sauf en France, naturellement, faisons confiance aux gardiens du temple), mais qui peut échouer : Si, à travers leur demande de réformer l’accountability, les syndicats ne veulent en réalité que l’édulcorer jusqu’à la faire s’évanouir, et qu’Obama leur donne satisfaction, on reviendra en arrière, les écoles privées et les Charter schools prospèreront. Cependant, la personnalité d’Arne Duncan, son ami et ministre de l’éducation, me fait penser qu’il est capable de réussir. Ce dernier, en effet, à la tête du district de Chicago, a été capable d’amener les syndicats enseignants à soutenir ou à tolérer des réformes que leur culture les poussait a priori à rejeter, comme l’inclusion du mérite dans les critères du salaire ou les Charter schools. Il faudra sans doute pour cela qu’Obama précise que ses objectifs sont bien ceux qu’il a énoncés (une forme d’accountability plus sophistiquée, plus en ligne avec l’objectif deweyen de produire des individus libres, imaginatifs et créatifs) et non ceux que, sans doute, certains ont voulu comprendre de ces objectifs (une forme d’accountability plus relâchée).


Denis Meuret



Dernier livre de D Meuret :

MEURET, Denis, Gouverner l'école. Une comparaison France / Etats-Unis, Presses Universitaires de France, 2007, 232 pages,



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[1] Tandis que, selon PISA, on observait en France l’évolution inverse.

[2] Le modèle deweyen a fait la preuve de son exportabilité, au Japon, par exemple. Un succès éducatif d’Obama entraînerait sans doute une seconde vague d’exportation, la première ayant fait partie, voulue par Roosevelt, des bagages de l’armée américaine dans les pays fascistes (Allemagne, Italie, Japon).


Par fgiroud , le mercredi 21 janvier 2009.

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