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Editorial : Le rapport Hetzel et l'égalité des chances 

La sélection à l'entrée en université est-elle acceptable ?
L'actualité nous permet de revenir sur le rapport Hetzel. Doit-on d'ailleurs encore parler de rapport ? Il avait été précédé lors de la conférence de presse ministérielle de rentrée de l'annonce d'une nouvelle procédure d'inscription en université qui préfigurait les recommandations du rapport. Celles-ci sont en train d'être appliquées en douce et de façon progressive. Dès janvier une partie des lycées français devrait commencer à émettre des avis sur l'orientation de leurs élèves après le bac. Les professeurs doivent savoir que ces recommandations sont lourdes de conséquences puisqu'elles justifieront plus tard le renvoi de l'université du bachelier qui osera aller contre.

L'actualité c'est une étude ministérielle qui analyse le devenir des bacheliers 2002 et met en évidence le taux d'échec ou de réorientation selon les filières et l'origine des étudiants (voir le compte-rendu plus bas). Ainsi 8% des bacheliers inscrits en licence après leur bac ont arrêté leurs études à la rentrée 2004, mais c'est le cas de 18% des bacheliers technologiques. Un élève inscrit en IUT sur trois n'a pas obtenu son DUT. Un taux qui monte à 37% en BTS. Dans cette filière, la moitié des bacheliers professionnels échoue.

"Deux bacheliers 2002 sur dix ont arrêté leurs études après une ou deux années d'études après le bac" nous dit cette étude. "La proportion des diplômés est très différente selon les études entreprises. En effet, si 77 % des étudiants des IUT et 67 % de STS en interruption d'études ont obtenu un diplôme ce n'est le cas que de seulement 17 % des jeunes ayant quitté l'université. Le type de baccalauréat obtenu a une forte influence car seulement 8% des bacheliers généraux ont interrompu leurs études post-baccalauréat alors que plus de six bacheliers professionnels sur dix et un tiers des bacheliers technologiques sont dans ce cas".

Cette inégalité devant l'échec est largement décrite dans le rapport Hetzel. "Les taux d'échec dans certaines filières, ou l'existence d'effectifs importants dans des filières avec très peu de débouchés, constituent un gâchis humain et fragilisent l'ensemble de notre système d'enseignement supérieur" affirme-t-il. Il a évidemment raison de souligner le fort taux d'échec dans l'enseignement supérieur : 80 000 sorties sans diplôme universitaire par an, un étudiant sur trois contraint de redoubler ou se réorienter. La situation des bacheliers technologiques et professionnels est encore pire. Seulement 39% des premiers réussissent à décrocher un Deug. Un taux qui descend pour les seconds à 17% ! Il est évident qu'une réaction s'impose devant un tel gâchis.

Les silences du rapport Hetzel sur l'orientation forcée. Le rapport Hetzel insiste sur l'échec universitaire des bacheliers technologiques et professionnels et met en cause l'orientation des lycéens. Ceux-ci seraient mal informés et arriveraient par erreur ou par ignorance dans des filières d'échec. Et il est vrai que des efforts sont nécessaires pour améliorer l'orientation des lycéens. Cela pourrait d'ailleurs passer par l'embauche de conseillers d'orientation. Ou au moins par la fourniture gratuite aux professeurs principaux et aux familles d'outils d'orientation.

Mais aurait-on fait cela que l'on n'aurait réduit que de façon minime le flux de ces bacheliers vers les universités. Une autre raison les y pousse : la rareté des places en STS publics et DUT et la sélection qui s'y opère. Si certains bacheliers technologiques ou professionnels s'inscrivent en université pour poursuivre des études qu'ils affectionnent (administration ou langues par exemple), beaucoup ne le font qu'après avoir tenté en vain d'obtenir une place en STS ou DUT. Evidemment cette limite ne concerne pas les enfants des familles favorisées qui peuvent trouver place dans les écoles privées hors contrat.

Comment faire payer aux pauvres les études des riches ? Villepin a beau promettre qu'il refuse la sélection (" Pourquoi entrer dans une logique de sélection? L'essentiel est de faire de tous les diplômes universitaires un passeport de la réussite" affirme le premier ministre dans Le Monde), le rapport Hetzel demande à ce qu'on identifie dès le second trimestre de terminale les élèves qui n'ont pas leur place en université. S'ils s'obstinent et franchissent les obstacles, un bilan les guette à la fin du premier semestre universitaire avec une décision sans appel. Assez hypocritement, le rapport peut promettre qu'il n'y aura pas de sélection à l'entrée en université. Celle-ci est repoussée 3 ou 4 mois après la rentrée universitaire.

De fait le rapport met fin au bac ticket d'entrée dans le supérieur et fait des bacheliers professionnels et technologiques des sous-bacheliers, dévaluant un peu plus des formations qu'on nous assure pourtant vouloir revaloriser.

Cette perspective est accueillie favorablement par les présidents d'université assurés de voir baisser le nombre d'étudiants et donc de pouvoir récupérer des moyens dont ils ont bien besoin. Conjointement le rapport Hetzel a le courage de demander clairement l'ouverture de nouvelles sections STS pour ces jeunes qui seront exclus des universités. Il demande même précisément la création de 50 000 places.

Or c'est la réduction du nombre des enseignants dans les lycées qui est programmée par le ministre pour les prochaines rentrées. S'il y a ouverture de nouvelles places en STS ce ne sera que dans le privé hors contrat et elle seront inaccessibles aux plus démunis (déjà nombreux dans ces filières). Les décisions ministérielles ont donc un impact social clair. L'amélioration de la situation financière des universités sera payée par les jeunes des milieux défavorisés.

Comment on ment aux lycéens. Présentant la réforme de la principale voie technologique, la filière STG mise en place à la rentrée 2005, les membres du groupe d'experts, Alain Burlaud et Jacques Saraf, évoquent " le principe de l'égale dignité des voies de formation". Il s'agit de "préparer à un accès à toutes les études supérieures juridiques, économiques ou de gestion... La liaison entre enseignement scolaire et enseignement supérieur doit être souple et permettre le plus possible les changements d'orientations. Il serait en effet particulièrement regrettable que, dès la classe de seconde, les élèves aient à se déterminer de façon définitive sur le choix de leurs études supérieures et, ultérieurement, de leur métier.". Du coup, les nouveaux référentiels ont à la fois recadré les formations technologiques et très sensiblement relevé le niveau d'exigences en enseignement général.

Un exemple : depuis cette rentrée, en vue du bac 2008, en histoire-géographie les élèves se préparent à une épreuve écrite de 2h30 au lieu d'un oral de 20 minutes. Tous ces efforts ils les font sur la promesse d'un vrai bac qui leur ouvre toutes les portes et qui les prépare mieux aux études supérieures. On imagine la violence de leur désillusion et l'amertume des enseignants si la réforme Hetzel va au bout.

Oser lutter contre l'exclusion. Le rapport Hetzel nous amène en fait à aborder deux problèmes déjà anciens. Le premier est celui de l'inflation scolaire. Ce n'est jamais évoqué dans le rapport mais c'est quand même sous-jacent à la légèreté avec laquelle on traite ces malheureux lycéens. La France se caractérise par un taux plus faible que ses voisins d'étudiants des formations universitaires longues. Faut-il encore réduire ce nombre et ne pas pousser les jeunes vers le supérieur comme le proposent certains chercheurs (Marie Duru-Bellat par exemple) ? Ou faut-il au contraire élever le niveau de formation des futurs salariés ?

La seconde question est pédagogique. Les lycéens technologiques et professionnels auraient-ils tous la possibilité d'aller en STS qu'ils y rencontreraient également trop souvent l'échec. 37% des bacheliers technologiques échouent aujourd'hui à obtenir le BTS en deux ans et 52% des bacheliers professionnels. On peut penser que ce taux pourrait baisser avec les premiers lycéens sortis des filières réformées (comme la filière STG) mais sans doute pas suffisamment.

La solution à l'échec en université n'est pas à chercher dans la sélection forcée comme on essaie de nous le faire croire. Il faut plutôt se demander comment faire face efficacement, au lycée d'abord en STS et en université ensuite, aux difficultés de ces élèves. C'est plus compliqué tellement les facteurs sont nombreux. C'est plus coûteux car cela passe évidemment par un encadrement renforcé et amélioré. Mais c'est aussi plus digne de la République que l'apartheid éducatif que l'on instille goutte après goutte.
Dossier spécial sur le rapport Hetzel
La réforme STG
Dossier spécial sur l'inflation scolaire


Par  François Jarraud , le jeudi 21 décembre 2006.

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