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Editorial : De Lille à Ajaccio, la question du pilotage national  

Le ministère peut-il encore piloter le système éducatif ? Photo CP
Entre l'académie nordiste et la plus méridionale, d'étranges points communs se remarquent : les règles nationales s'effritent. Deux récents rapports de l'Inspection générale, l'un sur l'académie de Lille, l'autre sur celle de Corse, montrent tout le poids de pratiques et d'usages locaux. L'éducation nationale peut-elle fonctionner de façon uniforme ? L'Ecole se régionalise-t-elle par le bas ?

Selon le rapport rédigé par Anne-Marie Bardi et Pierre Blanc avec le concours de 5 inspecteurs généraux, le système éducatif semble, en Corse, s'endormir dans une tranquille routine. " Il fait chaud en juin, certes, et en septembre aussi", remarque l'Inspection qui déplore que ce genre d'arguments soit utilisé pour excuser un absentéisme chronique des élèves et, parfois, des enseignants. " Le temps scolaire ne semble pas un capital précieux, géré avec soin et bien compté... C'est plus difficile, bien entendu, si une forme de connivence s'installe avec les familles, prêtes à excuser dans le même temps la fuite de leurs enfants vers les plages... La pression sur le travail personnel à la maison, de même, a semblé bien légère, qu'elle soit peu exercée par des enseignants découragés de voir le travail donné non fait, ou peu attendue des familles prêtes à défendre le temps de détente de l'enfant, souvent décrit en Corse comme « l'enfant roi » (parfois corrigé en « garçon roi »)". De fait de nombreux établissements ont pris l'habitude de ne plus signaler les absences à partir de début mai.

Résultat, le temps d'enseignement est sérieusement amputé, y compris celui consacré aux apprentissages fondamentaux. "La pression sur les résultats scolaires n'est pas apparue très forte dans l'académie, une sorte de fatalisme prenant facilement le dessus : « si ma fille, ou mon fils, a de bons résultats, tant mieux. Mais si ça n'est pas le cas, tant pis, ce n'est pas grave et cela ne l'empêchera pas de réussir sa vie ». Même en prenant en compte l'attitude très protectrice de la société corse vis-à-vis des enfants, un tel discours surprend l'observateur extérieur. Il recoupe la confiance ou le satisfecit général exprimé face à l'Ecole malgré des résultats objectivement faibles".

Car, malgré un coût élevé (le coût moyen par élève en Corse est de 5 000 euros contre 3 900 en moyenne), les résultats du système éducatif sont médiocres : on est loin en dessous du taux national de réussite au bac et 13 à 15% des jeunes quittent l'école sans diplôme.

L'étude montre également la mise en place d'un diplôme local du brevet. "Le chiffre favorable des admis n'est obtenu que grâce aux délibérations du jury et à une volonté académique. Si c'est le rôle des jurys et si dans la totalité des académies ils admettent des élèves ayant initialement moins de 10, le « repêchage » est particulièrement important en Corse puisque le pourcentage favorable est obtenu en admettant des candidats ayant une moyenne de 8,5".

En lisant ces lignes on pourrait penser que les clichés traditionnels font poids dans ce descriptif. Pourtant c'est une situation par certains côtés comparable, qui est décrite à Lille.

Là aussi, le rapport de l'Inspection générale, piloté par André Hussenet et Françoise Mallet, montre que "le brevet (est un) indicateur peu fiable du niveau atteint par les élèves". Car l'académie connaît elle aussi de faibles résultats, mal reflétés dans un taux moyen de réussite au brevet. Ainsi est-elle en bas du classement pour le bac, y compris le bac professionnel. Pire encore, le nombre de bacheliers régresse depuis 1999 : 38 941 en 1999 contre 36 192 en 2004. "La proportion de bacheliers par génération a baissé de 5 points depuis 1999".

Avec un corps enseignant largement recruté, comme en Corse, au niveau local, des usages locaux s'installent, dénonce l'Inspection. "Le poids des représentations mentales ne prédispose pas à la réussite scolaire car il génère des attentes négatives à l'égard des élèves, ce qui fait entrer le système dans un cercle vicieux de faibles attentes et de faibles résultats, y compris dans des environnements favorisés". Ainsi dans de nombreux établissements, les exigences des enseignants seraient trop basses. On fuirait l'effort intellectuel au bénéfice de tâches plus limitées.

Pourtant le rapport met aussi en évidence les forts écarts entre les établissements. "Des graphiques très précis ont été établis à l'échelle de chaque circonscription, montrant qu'à difficulté sociale équivalente, les écoles peuvent avoir des résultats très différents, au dessus ou au-dessous de ce qui est attendu en moyenne, démontrant ainsi sans ambiguïté l'importance des « effets-maître » et des « effets-école »... L'académie paraît avoir moins conscience d'une part des très bonnes performances réalisées dans certains collèges en grande difficulté, qui les mènent à un niveau de réussite tout à fait honorable, d'autre part des performances très moyennes réalisées dans des collèges publics favorisés, qui ne paraissent pas avoir le niveau d'exigence que l'on aurait ailleurs dans ce type d'environnement social".

En lisant ces lignes, on aura compris le message de l'Inspection. Il faut élever dans les deux cas les exigences pour remonter le niveau. Et pour cela, il faut renforcer le pilotage. C'est très clairement exprimé dans l'appel au contrôle de l'absentéisme en Corse ou dans le jugement sévère porté sur la politique de bassins à Lille.

Mais ces rapports ne peuvent éluder la question de l'efficacité du pilotage. Ils montrent la difficulté d'appliquer des règles parisiennes du nord au sud de l'hexagone. Pas seulement en terme d'encadrement. On voit nettement, dans les deux académies, comment des politiques d'éducation locales, ayant des priorités et une histoire différentes, entrent en conflit avec les exigences nationales.

Ainsi en Corse les nombreuses activités proposées par la collectivité territoriale empiètent parfois sur des apprentissages jugés plus importants à Paris. On est bien là devant une question de priorité éducative.

Si l'Etat s'avère incapable de faire respecter ses prérogatives, le pouvoir régional, déjà très présent dans la vie quotidienne des établissements, pourrait s'avérer plus efficace. " Il faut un Service Public Régional de l'Education, avec un projet éducatif portant sur des actions et des missions, sur les propres compétences de la Région, et financées par le Conseil Régional" revendiquait lors des récentes Rencontres nationales, le président de la Commission éducation de l'Association des régions de France. Une question sans doute à débattre.
Rapport sur la Corse
Rapport sur Lille
Compte-rendu des Rencontres nationales


Par  François Jarraud , le mardi 17 octobre 2006.

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