L’EXPRESSO Imprimer  |  Télécharger nous suivre sur Twitter nous suivre sur Facebook

Le redoublement précoce, un facteur du grand échec scolaire 

 

Un entretien de Françoise Solliec avec Claude Seibel

 

A plusieurs reprises cette année, Claude Seibel, ancien directeur du service des statistiques au ministère de l’éducation nationale, a eu l’occasion de s’exprimer sur « les effets nocifs du redoublement précoce ». Co-auteur d’une étude publiée en 1983 qui fait encore foi en la matière, complètement corroborée par une étude menée par un doctorant de l’Iredu en 2004, il a accepté de nous expliquer pourquoi, à son avis, le redoublement précoce est encore considéré par beaucoup comme une solution acceptable de traitement des élèves en difficulté au CP et de proposer quelques pistes de travail visant à le faire disparaître à long terme.

 

Lutter contre le redoublement scolaire précoce, promouvoir une pédagogie de la réussite

L’étude publiée par Claude Seibel et Jacqueline Levasseur en 1982, dans le cadre des travaux du service d’informatique de gestion et des statistiques (la DEPP actuelle) du ministère de l’éducation nationale, portant sur une population de 1 100 élèves suivie en 1979-1980, mettait en évidence, d’une part, un redoublement du CP fortement marqué par l’origine sociale des élèves (pour un taux moyen de redoublement du CP de 13,8% en 1979-1980, ce taux était de 2,4% chez les enfants des cadres supérieurs, de 22 à 29% chez les enfants des ouvriers, des inactifs et des salariés agricoles) et, d’autre part, une fragilisation, voire une dégradation des performances individuelles des élèves à la suite de ce redoublement : « les redoublants du CP ont des performances qui se dégradent par rapport à celles d’élèves faibles qui, eux, n’ont pas redoublé ». Or, ce sont ces élèves qui constituent la grande majorité des quelque 20% d’élèves en difficulté à l’entrée en 6ème « car leurs difficultés sont d’autant plus grandes que leur redoublement a été précoce ». Ce sont également eux que l’on retrouvera en masse dans les sortants sans qualification du système scolaire : « Le redoublement précoce est prédictif de faibles chances de réussite ultérieure ».

 

Dans sa thèse (2005), menée à l’institut de recherche sur l’éducation, Iredu, sur le redoublement au CP, Thierry Troncin « dresse un état approfondi des connaissances sur cette question qui suscite beaucoup de discussions animées entre les chercheurs et le corps enseignant » et montre à nouveau, grâce à un suivi de 3 000 élèves, selon un protocole identique à celui de Claude Seibel et Jacqueline Levasseur, que « Cette année supplémentaire n'apporte pas les bénéfices escomptés sur le plan des acquisitions scolaires ». Il met en lumière un effet nocif des vacances et de la mise en sommeil des apprentissages les plus complexes développés vers la fin de la 1ère année de CP puisque ces compétences ne se rétablissent ensuite qu’à un niveau plus faible. « Il est significatif », commente Claude Seibel « que les élèves faibles non redoublants maîtrisent progressivement ces tâches complexes, à la différence des redoublants ». On notera également que les enseignants proposant en général le redoublement pour des raisons d’immaturité ou de lenteur d’acquisitions des élèves ne traitent pas, la plupart du temps, les redoublants différemment des entrants.

Ces deux ensembles de travaux ont fortement contribué à fonder l’avis n° 14 du haut conseil de l’évaluation de l’école en décembre 2004 qui se prononçait sans équivoque en faveur d’une diminution importante des redoublements et jugeait le redoublement en CP « inefficace du point de vue des progrès des élèves » et « inéquitable ».

Cette année, Claude Seibel a eu l’occasion de présenter les constats résultant des deux études et de défendre ses préconisations lors de son audition par le haut conseil de l’éducation (voir le rapport du HCE), lors de son intervention au séminaire de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences organisé par la direction des personnels enseignants du ministère (voir le texte de son intervention) et devant la commission Pochard sur l’évolution du métier d’enseignant (voir la vidéo correspondante). Nous reprenons ici, outre ses explications verbales, quelques passages de ces différentes interventions.

 

Pourquoi, malgré les études ultérieures, les analyses, les comparaisons internationales, le redoublement précoce est-il encore autant utilisé ? Pour Claude Seibel, cela tient à deux facteurs : l’un, c’est que l’utilité du redoublement fait partie des idées reçues (« le redoublement fait l'objet d'opinions favorables chez les enseignants, les élèves et leurs familles, en particulier lorsqu'il est proposé en fin de cours préparatoire » écrit Thierry Troncin), et l’autre, c’est le manque de politique nationale. « Le problème du redoublement précoce, s’il n’a pas été ignoré, n’a, en réalité, jamais été complètement traité ». La loi d’orientation de 1989 créait des cycles d’apprentissage et proposait une continuité des apprentissages, « dont la mise en œuvre concrète a été déléguée implicitement aux instituteurs et aux équipes éducatives », engendrant « une grande hétérogénéité des situations et une absence de capitalisation d’outils de remédiation ». Quant à la loi de 2005, qui mentionnait initialement le « redoublement comme dernier recours » dans l’exposé des motifs, elle ne fait allusion à aucun danger lié au redoublement précoce. Et même, « par ces retournements dont l’éducation nationale a le secret, le décret du 25 août 2005 de mise en place des PPRE mentionne dans la même ligne et le redoublement et le programme personnalisé de réussite éducative. Il n’y a pas une seule fois dans ce décret la mention du risque que représente le redoublement ».

Avec ses objectifs de limitation du redoublement précoce, le document d’orientation de Xavier Darcos sur le 1er degré est donc apparu à Claude Seibel « comme une heureuse surprise ». Il est cependant persuadé que la résolution de « cette difficulté ne se fera pas autoritairement ou de manière mécanique ». Pour lui, il est essentiel d’apporter aux enseignants tout un appareil d’accompagnement en terme de repérages des difficultés et de remédiation, sinon les « élèves faibles seront encore plus isolés et en porte-à-faux dans leur classe ». Il faut « mobiliser le couple d’enseignants du CP et du CE1, leur fournir des outils d’analyse et de remédiation, appeler à beaucoup plus d’individualisation : la différentiation pédagogique doit être le fil directeur d’un pilotage pédagogique qualitatif, attentif à chaque enfant et à tous les enfants ». Toute la réflexion menée autour du soutien scolaire devrait y aider.

« Deux points importants ont été inscrits dans la loi Fillon » ajoute-t-il, « le socle commun et les PPRE. Cependant, malgré quelques coups de sonde et le rapport de l’inspection générale de 2006, les PPRE n’ont pas été réellement évalués ». Claude Seibel recommande donc «  de commanditer une évaluation participative et maïeutique des PPRE ». La participation des enseignants au cahier des charges de l’évaluation parait en effet importante en termes « d’accompagnement indirect » et permet de reposer la question fondamentale des objectifs visés avec le programme personnalisé de réussite éducative. Cependant, conclut-il, « rien ne se fera si ce n’est dans la durée », rejoignant la réflexion de Thierry Troncin « si le redoublement au cours préparatoire apparaît peu satisfaisant à bien des égards, il est usurpé de considérer la seule promotion automatique comme la panacée. Les acteurs de l’institution scolaire sont invités à faire le deuil d’un raisonnement binaire et à considérer les apprentissages de chaque élève comme un continuum, ce qui transite sans doute par une évolution significative des pratiques pédagogiques et évaluatives ».

Le renouvellement important des enseignants, commencé et à venir, offre une opportunité qu’il faut saisir en introduisant dans la formation initiale et continue une promotion « de la pédagogie de la réussite. Il s’agit de baser la progression de l’élève sur ce qu’il réussit (même modestement) puis d’élargir progressivement cette réussite à d’autres thèmes … chacun d’entre vous connaît des situations de rejet de l’école (et de rejets par l’école) d’enfants ou d’adolescents dont seuls les difficultés et les échecs ont été mis en exergue par l’institution sans jamais aucun élément positif … Il me semble que la formation initiale devrait permettre de poser le problème, en réfléchissant avec les futurs enseignants sur leurs propres motivations à s’engager dans ce métier, puis en mettant en commun les difficultés concrètes rencontrées lors des stages pédagogiques. Pendant la phase de « professionnalisation » prévue dans le nouveau cahier des charges de la formation initiale, il serait possible, à partir de cas concrets, d’aider les jeunes enseignants à changer leur regard sur les élèves, y compris les plus difficiles ».

 

 

 

 

 

 

 

Par fsolliec , le .

Partenaires

Nos annonces