La lettre et le pain sur la planche 

 

 

Par Pierre FRACKOWIAK

 

La lettre du président de la République aux enseignants ne manque pas d'intérêt. On peut toujours s'opposer par principe ou a priori. On peut mettre le discours en rapport avec les moyens et les réalités. On peut s'étonner que l'on puisse appliquer le principe du "travailler plus pour gagner plus" à des enseignants qui sont généralement fatigués voire épuisés avec leur temps de travail actuel et qui seront contraints de travailler plus hors temps scolaire sans être rémunérés en cas de réforme ou de nouveaux programmes ou d'exigence de transformation de leurs pratiques. On peut profiter de l'occasion pour protester contre les suppressions de postes qui sont en contradiction avec une volonté affichée de refonder l'école. Et l'on ne se prive pas de le faire. Mais le fait est que cette lettre existe et qu'elle peut – du moins on peut l'espérer - être discutée. Elle aborde des problèmes délicats que d'autres n'ont pas eu, il faut bien le dire, le courage de traiter: les programmes, les disciplines, l'interdisciplinarité, la charge de travail des élèves, les missions des professeurs… Elle constitue un évènement dans l'histoire contemporaine de l'école si tant est que l'on soit capable de l'utiliser pour réformer et non pour revenir à des modèles dont elle ne dit pas suffisamment qu'ils avaient fait la preuve à partir des années 60 de leur insuffisance au regard des enjeux nouveaux de la société.

 

C'est, sauf erreur ou oubli, la première fois depuis les premiers pas de la rénovation de l'école à la fin des années 60 qu'un président s'adresse de cette manière aux enseignants et décrit sa vision de l'école.

 

Serait bienvenue une concertation sur la mise en œuvre des intentions, sur une programmation, sur les moyens prévus, sur l'affichage de méthodes de management qui ont souvent fait défaut pour les réformes précédentes (une pédagogie de la réforme), sur les préalables à toute évolution, par exemple en termes de formation des cadres et des praticiens. 

 

Parmi les nombreux problèmes effleurés ou posés, parmi les problèmes oubliés ou négligés comme la place de l'école dans la cité, les politiques partenariales, la formation des enseignants, on peut souligner deux domaines qui illustrent à la fois les difficultés du système lui-même à évoluer et les difficultés des décideurs à oser s'affranchir des corporatismes et de l'électoralisme et à s'inscrire résolument dans une perspective de réforme ou de refondation: le collège et la question sociale

 

A propos du collège, il n'est pas inutile de rappeler que, suite à la décision de prolonger la scolarité de 14 à 16 ans, décision qui en elle-même induisait une modification des structures et des finalités de l'école obligatoire, les pouvoirs en place et les partenaires ont commis une erreur historique qui est à l'origine de la maladie du collège. On a fait le choix de généraliser les contenus et les pratiques du "petit lycée" élitiste et ségrégationniste de Napoléon et de Jules Ferry à l'ensemble d'une population scolaire. Une telle décision pouvait être perçue comme une marque de générosité et d'ambition mais elle s'est révélée catastrophique. La responsabilité de cette situation relève autant des décideurs que des enseignants du second degré eux-mêmes et de leurs organisations. Le second degré a gagné contre le premier degré et malgré la suppression des filières, revendiquée au nom de la démocratisation, ce choix s'est révélé être un grave échec  A noter que parmi les opposants au concept d'école fondamentale de 3 à 16 ans, on trouve des gens de gauche, des progressistes ou prétendus tels, et que les gouvernements successifs de droite et de gauche face à cet échec n'ont pas eu le courage de prendre les décisions qui s'imposaient. On a multiplié les incantations comme celles relatives à l'amélioration de la liaison école/collège que personne n'a jamais su vraiment faire, sans faire progresser le système. Le collège est le maillon faible, il est malade, même si certains corporatismes s'en défendaient et tentaient et de faire porter la responsabilité de l'échec sur l'amont, l'école. Certains voudraient le tuer et sans doute revenir aux filières d'antan alors qu'il est possible de le réformer, de remettre en cause les programmes et de re-former les enseignants

 

A propos des aspects sociaux, deux exemples simples permettront d'illustrer l'importance du problème.   Quand un petit enfant dit "lolo!" à sa mère. En fait, il ne dit ni "lolo", ni "lait", il ne désigne pas un produit, il communique, il dit à sa mère "Maman, je veux du lait!" Et sa mère comprend parfaitement le message. Elle sait bien qu'il n'a pas désigné le lait (ce qui prouve la stupidité des leçons de mots voulues par un ministre mal conseillé) et elle réagit. Telle maman répond: "tiens" ou "zut". Telle autre dit: "Simon, tu veux du lait. Maman va t'en donner" voire même "Simon, tu veux du  lait, je vais demander à papa de t'en donner"… et l'enfant comprend ce langage ultra complexe. Entre l'enfant à qui l'on dit "zut" et celui à qui on a tenu et on tient toujours un langage structuré, l'écart en termes de potentialités d'apprentissage est énorme et il a tendance à se creuser, d'autant plus que pour l'enfant du "zut", les activités scolaires n'ont pas de sens. Le même scénario se produit avec les parents qui, inlassablement, lisent chaque soir à leur enfant et en parlent. L'enfant apprend à lire bien avant de faire du b-a ba. Mais les autres? L'école a beaucoup de mal à prendre ces écarts en compte. Elle a fait des progrès depuis 30 ans, mais elle se heurte à ce type d'obstacles dont elle ne porte aucune responsabilité. Il est évident que l'on peut toujours évaluer, remédier et remédier les remédiations, on peut toujours parler d'égalité… On ne progressera pas si l'on n'apprend pas à prendre en compte sérieusement l'hétérogénéité, à réduire le temps d'enseignement formel, à différencier les pratiques. On aura des difficultés à progresser si l'on n'invente pas des solutions modernes pour former les parents non pas à faire les devoirs le soir mais à faire leur métier de parents.

 

Ces problèmes sont transposables à tous les niveaux de l'école obligatoire.

 

Pour les résoudre, il faudra encore plus de courage, changer les structures et les espaces et parler de pédagogie: différencier, donner du sens aux activités scolaires, informer les parents et l'opinion publique, former les enseignants encore trop souvent conditionnés par le modèle de la transmission et de l'enseignement frontal et qui peinent à comprendre, comme les décideurs d'ailleurs, que ce qui a "marché" pour eux hier ou avant-hier ne peut pas "marcher" pour tous aujourd'hui et demain.

 

Il y a donc la lettre du président… et il y a encore beaucoup de pain sur la planche.

 

 

Pierre FRACKOWIAK

 

Su rla lettre de Sarkozy

 

 

Par fjarraud , le .

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