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L’Hôtel des Invalides, où l’on honore généralement la guerre et les « grands capitaines » est-il le cadre le plus judicieux pour commémorer auprès des jeunes la résistance au nazisme ? Puisque le Café pédagogique (Expresso, 16/01/2008) évoque la remise des prix du concours de la résistance aux lauréats, lycéens et collégiens, c’est peut-être l’occasion d’évoquer les réserves que suscite dans les établissements scolaires, l’organisation du concours. Car le concours de la résistance est ambigu,  ce qu’illustre la présence de certaines autorités politiques et militaires qui gravitent autour. Et puisque l’article du Café mentionne Alain Marleix, secrétaire d’état à la Défense, chargé des anciens combattants, on est amené à s’interroger sur la légitimité de ces derniers dans la transmission aux jeunes d’une mémoire historique portant sur la Seconde guerre mondiale. Les anciens combattants sont aujourd’hui massivement ceux des guerres coloniales, d’Indochine et d’Algérie et la troublante insistance avec laquelle leurs organisations semblent vouloir accompagner les élèves ressemble davantage à de la récupération qu’à un témoignage sur la résistance au nazisme à laquelle ils n’ont jamais participé. Il y a quelque chose d’indécent à voir, par exemple le 8 mai, dans les cérémonies commémorant la fin du nazisme, les enfants des écoles encadrés par les Anciens d’Algérie dont les faits d’armes dans les Aurès n’ont qu’un très lointain rapport avec l’idéal de la résistance. On voudrait effacer la honte des guerres coloniales qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

 

Plus fondamentalement, c’est peut-être l’idée, assez équivoque, de « devoir de mémoire » qu’il faut interroger. Car, outre que les jeunes – il en va d’ailleurs de même en Allemagne et partout ailleurs – ne portent aucune espèce de responsabilité morale dans les horreurs d’une époque qu’ils n’ont pas vécue, la mémoire du nazisme n’a guère de sens si elle ne fait pas réfléchir sur les mécanismes, les ressorts qui l’ont rendu possible et si, surtout, elle n’est pas accompagnée de la volonté d’en empêcher le retour. Sans chercher à comparer l’incomparable, ni à provoquer, il faut se demander si l’insistance développée par les autorités officielles et singulièrement par l’Education nationale à commémorer le passé, n’a pas, au moins en partie, pour objet de couvrir d’un voile prétendument civique ce qui se passe aujourd’hui, en 2008, dans certaines écoles, lorsque la police vient y arracher des enfants dont le seul crime est de ne pas avoir de papiers en règle. Lorsqu’à propos des sans-papiers, la Cimade et les mouvements de défense des droits de l’homme, évoquent les « rafles » et les « camps », et même si la politique d’immigration de l’actuel  gouvernement n’a rien à voir avec la solution finale, n’est-ce pas le signe que les commémorations officielles ne servent pas à grand chose, puisque, de génération en génération , on continue à persécuter les gens dont le seul tort est d’être né ailleurs ? Pire, peut-être si dans l’esprit des collégiens et des lycéens, le concours de la résistance en venait à donner comme une forme de légitimité aux brutalités auxquelles on assiste chaque jour, avec ce sophisme : des adultes nous faisant la leçon sur le nazisme ne sauraient eux-mêmes être suspectés d’inhumanité. Le nazisme n’aurait sans doute jamais existé sans les réflexes d’obéissance aux lois largement partagés à l’époque, et pas seulement en Allemagne. Dans cette optique, est-ce que la meilleure leçon sur la résistance ne vient pas aujourd’hui du Réseau éducation sans frontières dont les membres, courageusement, font passer leur conscience avant le respect des lois ?

 

Bernard Girard

professeur d'histoire-géographie 


De : fjarraud
Publié : mercredi 16 janvier 2008 05:11
Objet : L'Expresso du 16 Janvier 2008

État d'approbation Approuvé 
 
Pièces jointes
Type de contenu: Message
Créé le 20/01/2008 17:15  par Bernard Girard 
Dernière modification le 20/01/2008 21:57  par fjarraud 

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