Vivane Youx (AFEF) : "de réelles inquiétudes de régressions démagogiques et dangereuses" 

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Après la lecture, c'est maintenant la grammaire qui est en ligne de mire, puisque notre ministre a décidé de mettre de l'ordre " avec le retour à des leçons d'apprentissage des règles ". Le rapport Bentolila, dont la publication est attendue mercredi 29 novembre, nous promet, au regard des éléments déjà publiés dans la presse, nous met face à de réelles inquiétudes de régressions démagogiques et dangereuses.

 

Que de confusions terminologiques ! Si les programmes utilisent des termes précis à destination des enseignants, ce jargon de spécialistes n'est pas celui des classes. Nous ne disons pas qu'il n'y ait jamais eu d'errements dans les manuels et chez quelques collègues, et l'entrée d'un vocabulaire spécialisé sur la scène publique donne beau jeu aux détracteurs qui n'hésitent pas à balayer d'un seul revers tous les travaux des chercheurs en linguistique et didactique. Mais, de grâce, en est-on encore à opposer grammaire de texte et grammaire de phrase, comme s'il s'agissait de deux champs contigus ? L'analyse de la phrase n'a de sens qu'incluse dans la cohérence d'un texte. Une notion grammaticale, hors d'un contexte significatif, a bien peu de chance d'être enregistrée durablement par les élèves. L'Observation Réfléchie de la Langue introduite dans les programmes de l'école élémentaire il y a quelques années avait bien ce but ; il ne s'agit pas d'abandonner l'étude des catégories grammaticales, comme le sous-entend le rapport, mais de les aborder par l'observation et de les faire intégrer en leur donnant du sens. Quant à attaquer les programmes sur la terminologie linguistique, quel amalgame ! Le schéma narratif et le schéma actanciel ne sont pas des outils grammaticaux, mais stylistiques, qui apportent une aide précieuse à la lecture, à condition d'être utilisés pour donner du sens en évitant les erreurs de la systématisation vide. Quant à "la situation d'énonciation", au cœur de la communication, il est difficile de l'oublier d'un coup de plume, mais s'agit-il de grammaire ?

  • Alain Bentolila préconise une progression grammaticale. Certes, nous ne pouvons qu'applaudir cette intention que nous réclamons depuis longtemps. Mais parlons-nous de la même chose ? La progression dans l'enseignement de la grammaire ne peut s'appuyer que sur l'étude cognitive de l'enfant ; nous regrettons fortement, dans le système français, la solution de continuité entre les différents niveaux d'enseignement : à la fin de l'élémentaire, l'élève doit avoir vu toutes les notions grammaticales ; puis, au collège, on reprend tout à zéro, de manière plus approfondie certes, mais pour s'apercevoir, à l'entrée du lycée, que les notions nécessaires à une approche littéraire plus élaborée doivent à nouveau être reprises. Ne serait-il pas plus efficace d'établir une progression qui tiendrait compte des processus et fonctionnements cognitifs pour définir les notions indispensables à la fin de chaque cycle ? Il est bien illusoire de laisser croire que l'enfant apprend à maîtriser la langue en allant du simple au complexe ; l'apprentissage n'est pas linéaire et doit tenir compte des réalités des textes : nous nous sommes suffisamment arraché les cheveux sur des exercices de grammaire qui ne collent jamais avec la notion à faire passer, dès que nous sortons de la phrase-type cela ne fonctionne plus. Une langue vivante ne peut pas se réduire à un ensemble de règles, ce serait évidemment plus simple si c'était possible ; mais elle est constituée de ses invariables et de ses écarts ; que fera l'élève au premier écart qu'il rencontrera s'il n'a appris que les invariables.

  • La démagogie ambiante a tendance à disqualifier d'emblée les enseignants ; ils n'ont jamais cessé d'enseigner " la grammaire de phrase " ! Mais nous venons de souligner combien il est illusoire de croire qu'un apprentissage systématique des règles suffit. Quel type de " leçon de grammaire " le rapport va-t-il préconiser ? " L'observation, la manipulation et la réflexion " ne sont-elles pas le fondement de l'Observation Réfléchie de la Langue dans les programmes de l'école élémentaire ? Il est facile d'incriminer les enseignants, alors que l'horaire consacré au français, notamment au collège, a connu un émiettement progressif pendant que les champs à traiter se multiplient sans cesse. Le choix est souvent cornélien et il est bien difficile de valoriser à la fois l'oral, la littérature, la grammaire, l'orthographe (dont toute réforme si infime soit-elle est reniée)… Pourquoi pas, après ce " chantier de bon sens " sur la grammaire, un peu de bon sens aussi sur l'orthographe en donnant un coup de pouce aux recommandations de 1990 ? Force est de constater que, dans ce domaine, le silence règne.

Viviane YOUX, présidente de l'AFEF (Association française des enseignants de français)
http://www.afef.org

Page publiée le 28-11-2006



  • A propos du rapport d'Alain Bentolila sur la grammaire
  • Sylvie Plane, Professeure des universités en sciences du langage
    - Copernic et la grammaire
  • Jean-Pierre Jaffré, MoDyCo, UMR 7114 du CNRS
    - Quel est en effet l'intérêt d'un enseignement de la grammaire
    qui ne serait pas au service d'une compétence de communication ?
  • Antoine Fetet, maître formateur
    - Mettre les élèves devant des problèmes grammaticaux et orthographiques dont ils peuvent s'emparer
  • Vivane Youx, Association française des enseignants de français :
    - L'ambiguïté de propositions pertinentes sujettes à dérive
  • Patrick Picard :
    - une vision de grand-père, ou un pont entre la recherche et les enseignants ?
  • Pierre Frackowiak, Responsable du SI-EN UNSA du Nord :
    - Peut-on prendre le rapport BENTOLILA pour argent comptant?
  • Viviane Youx, Association française des enseignants de français :
    - de réelles inquiétudes de régressions démagogiques et dangereuses
Par fgiroud , le .

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