La fin programmée du Collège unique 

Entretien avec Hervé Hamon

 

Pour Hervé Hamon, le collège, en France, n’a jamais vraiment été unique, et les enseignants ont une lourde responsabilité dans la difficulté du système éducatif à faire face à l’échec scolaire.

 

 

Le collège en France a-t-il jamais été unique ?

Dès sa création dans les années 1970, si le collège unique avait l’ambition d’accueillir tous les élèves, il les éliminait en fait petit à petit par tranches. Il y a vingt ans, l’ensemble de la classe d’âge rentrait bien en sixième, mais un quart des élèves se voyait évincé du collège en fin de cinquième et seule une minorité parvenait en seconde générale. Aujourd’hui, avec les filières de traitement de la grande difficulté scolaire, beaucoup se retrouvent encore hors circuit. Le collège reste à plusieurs vitesses dans l’hypocrisie la plus totale. On peut donc plutôt parler d’un collège ouvert que d’un collège unique.

 

Comment expliquer ce renoncement démocratique de l’école républicaine ?

L’abandon du collège unique ne gêne en rien les couches moyennes et supérieures qui contournent la plus élémentaire mixité sociale, gavent leurs enfants de cours du soir défiscalisés et sont d’accord pour transformer les examens en concours. Il ne gêne pas non plus les enseignants qui préfèrent inscrire les carences des élèves au compte de ces derniers plutôt qu’à celui de l’institution. A l’extérieur, les enseignants se prononcent toujours pour le collège unique, mais en salle des profs, ils ne cessent de se plaindre des classes hétérogènes et reconnaissent que tous les élèves n’ont pas leur place au collège. En fait, à part les 15 ou 20 % de profs qui font un travail remarquable, la grande majorité ne sait tout simplement pas comment soutenir les élèves en difficulté. Ils ont du mal à repérer, à analyser, à évaluer les erreurs et à proposer des solutions pour sortir les élèves de l’échec scolaire. C’est pourquoi je pense que la permanence de la formation continue des enseignants et la modification de leur service représentent les grands chantiers de demain. Il faut lutter contre ces deux fléaux que sont la qualification à vie et la paresse professionnelle consistant à ne faire que ses heures de cours. Tant que les enseignants ne seront pas plus présents physiquement au collège, plus disponibles pour les élèves, le soutien scolaire public restera un phénomène marginal.

 

Peut-on toucher au service enseignant sans déclencher une grève générale ?

Je constate que le seuil de tolérance des enseignants à l’égard des nouveaux publics scolaires est plus élevé qu’il y a vingt ans. Pour les jeunes générations de profs notamment, les élèves ne se résument pas aux représentations idéalisées parfois transmises par les IUFM. Et l’idée qu’une classe hétérogène peut être une classe efficace commence à faire son chemin. Autrement dit, je crois que les recommandations de la commission Thélot avaient vu juste : il faut envisager une modification du métier moyennant contrepartie et négocier avec ceux des enseignants qui sont d’accord pour jouer le jeu. Il s’agit souvent des plus jeunes, et la démarche doit pouvoir s’effectuer au moment où on les recrute, car la tranche d’âge sortante a montré qu’elle ne semblait pas disposée à la réforme. Lors de mon enquête, j’ai rencontré beaucoup de jeunes profs de collèges très difficiles travaillant en équipes, échangeant leurs expériences, ne comptant pas leurs heures… Ils symbolisent ce que j’appelle « un bon prof de collège difficile » : capable d’intervenir dans un couloir en cas de bagarre entre deux élèves qui ne sont pas les siens, capable d’accepter de perdre cinq minutes d’installation à chaque heure de cours, capable de comprendre quelle est la durée d’attention maximum à respecter.

Bref, des professionnels véritablement impliqués dans la réussite des élèves tels qu’ils sont. Les mentalités peuvent donc bouger.

 

Comment analysez-vous la politique actuelle du ministre de l’Education concernant le collège ?

Gilles de Robien sera sans doute le seul des trois derniers ministres de l’Education à entrer dans l’histoire. Non parce qu’il aura multiplié les effets d’annonce, pourfendu la méthode globale déjà enterrée, esquissé une petite remise à plat des zep… Mais parce qu’avec sa volonté d’envoyer les enfants en apprentissage dès 14 ans, il aura réussi l’exploit d’entamer très officiellement le démantèlement du collège unique. Tant pis si l’apprentissage bas de gamme ne résout rien, tant pis si les entreprises ne veulent pas de stagiaires aussi précoces et fragiles. Tant pis si, en France, le « droit au retour » dans la filière dite « normale », constamment brandi, reste un vœu pieux. Le collège unique est désormais mis à mal, la pierre angulaire est fragmentée. On le sentait venir mais ce qui était moins prévisible, c’était que l’affaire se déroulerait sans anicroche, presque sans protestation, sinon rituelle. Quand le contrat d’embauche des rejetons issus des classes moyennes est insatisfaisant, c’est l’émeute. Mais quand on chasse de la sphère scolaire les « irréductibles » qui sont aussi les plus pauvres, c’est l’indifférence. Faut-il rappeler que notre postulat démocratique considère tous les enfants comme éducables !

 

 

Hervé Hamon

 

En 1984, ce professeur de philosophie et journaliste publiait au Seuil, avec Patrick Rotman, Tant qu’il y aura des profs. Vingt ans plus tard, il est revenu sur les lieux du crime et publie, seul cette fois, Tant qu’il y aura des élèves, Seuil, 2004.

 

Article paru dans la revue Sciences Humaines, N° spécial n°5 –

 

 

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