Les chrétiens dans l’Orient arabe: origines d’une diversité communautaire 

Par Frédéric Alpi


Les chrétiens du Proche-Orient arabe constituent des minorités religieuses dont la proportion par rapport à la population globale varie selon les pays. En l’absence de statistiques fiables ou officielles, on peut retenir un ordre de grandeur entre 5 et 10 % (peut-être plus en Égypte ; moins en Palestine-Israël, où ce rapport s’exprime, bien sûr, au regard de la seule population arabe musulmane ; le Liban est un cas particulier). Ces chrétiens sont répartis entre de nombreuses Églises distinctes et rivales, dont les divisions remontent aux querelles christologiques de l’Antiquité. C’est donc en suivant la chronologie des différents schismes que l’on peut présenter ces communautés.


Le concile œcuménique d’Éphèse (431) a condamné le patriarche Nestorius de Constantinople qui définissait deux personnes distinctes en Jésus-Christ, humaine et divine, attribuant à la Vierge Marie la seule maternité de la première (Mère du Christ et non Mère de Dieu). Cette doctrine fut donc bannie dans l’Empire romain mais les chrétiens de l’Empire perse (Mésopotamie incluse) l’ont adoptée, se constituant en Église séparée de l’Église orthodoxe et qui porte aujourd’hui le nom d’Église d’Orient (naguère appelée Église assyrienne). Au Moyen-Âge, cette chrétienté a été très prospère et missionnaire (jusqu’en Inde et en Chine). Aujourd’hui, elle est résiduelle en Irak et en Syrie du Nord-Est, et d’ailleurs divisée : le catholicos réside à Chicago (USA) ; un dissident est installé à Bagdad. La langue liturgique est le syriaque.


Le concile de Chalcédoine (451) a condamné la doctrine opposée de l’Unique nature du Verbe de Dieu incarné en Jésus-Christ (improprement appelée monophysisme). Cette décision a été très difficilement reçue en Orient romain et en Égypte, où ses partisans étaient majoritaires. Deux Églises schismatiques en ont donc résulté : l’Église copte orthodoxe en Égypte (majoritaire dans ce pays jusqu’au Moyen-Âge) et l’Église syro-orthodoxe, toujours implantée en Syrie et en Irak, ainsi qu’au Liban (mais il s’agit là surtout de réfugiés chrétiens de Turquie). Les langues liturgiques sont respectivement le copte et le syriaque. Le pape copte réside au Caire ; le patriarche syrien orthodoxe près de Damas.


Les empereurs romains d’Orient ont vainement essayé de résorber ces schismes, en tentant plusieurs formules de compromis. En 638, Héraclius proposa ainsi de ne considérer qu’une seule Volonté et deux Personnes en Jésus-Christ. Dite monothélite, cette doctrine n’a pas rencontré le succès escompté et finit par être condamnée elle-même au concile de Constantinople III (681). Cependant, séparé de l’Empire par la conquête islamique, un groupe minoritaire y était demeuré fidèle. À la faveur des croisades, ces chrétiens d’origine monothélite et qui s’étaient réfugiés dans la montagne libanaise se sont ralliés en bloc à l’Église catholique, abandonnant le monothélisme tout en gardant des usages liturgiques et disciplinaires particuliers. Il s’agit de l’Église maronite, rattachée au siège de Rome, implantée principalement au Liban mais présente aussi en Syrie, en Palestine et à Chypre. Les langues liturgiques sont le syriaque et l’arabe. Le patriarche maronite réside à Bkerké (Liban).


Les Arméniens se sont réfugiés massivement dans divers pays de l’Orient arabe à la suite du génocide de 1915 (suivis d’ailleurs par des chrétiens syriaques orthodoxes ou assyriens de Turquie). Ils sont très majoritairement affiliés à l’Église apostolique arménienne (dite aussi grégorienne, d’après Grégoire l’illuminateur, apôtre de l’Arménie au IVe s.), de confession pré-chalcédonienne (professant l’Unique nature du Verbe de Dieu incarné en Jésus-Christ). La Syrie et surtout le Liban abritent d’importantes communautés arméniennes non-arabes. La langue liturgique est l’arménien (classique). Le catholicos arménien de Sis (pour l’Église arménienne de Cilicie) réside à Antélias (Liban).


Majoritairement, hors l’Égypte, les chrétiens arabes appartiennent à l’Église orthodoxe qui est l’héritière de l’église impériale des époques tardo-antique et de rite byzantin. Ils dépendent historiquement du siège patriarcal d’Antioche, qui est en communion avec le Siège apostolique de Constantinople. Ils constituent la composante arabe de ce que nous appelons improprement l’orthodoxie (conjointement avec les chrétiens grecs ou slaves). Le patriarche orthodoxe d’Antioche réside à Damas. La langue liturgique est aujourd’hui surtout l’arabe (un peu de grec).


Les croisades ont introduit en Orient l’Église catholique romaine (dite ici latine), alors qu’elle était déjà séparée de l’Église orthodoxe (1054), comme elle de confession chalcédonienne. L’Église catholique possède certains groupes de fidèles dans divers pays arabes, rattachés directement au patriarche latin de Jérusalem (cf. infra). Depuis le concile de Vatican II (1965), la langue liturgique est ici l’arabe.


Dans la région, le prosélytisme catholique s’est surtout manifesté en suscitant des ralliements d’évêques appartenant aux diverses Églises orientales et qui, passant au dogme catholique (chalcédonien), devenaient les chefs de communautés unies à Rome, tout en gardant leur liturgie et leurs usages (on a appelé cette politique l’uniatisme). Ainsi, à l’exception de l’Église maronite, passée tout entière sous l’autorité romaine, on doit compter que chaque Église orientale s’est dédoublée et possède une variante catholique, implantée dans les mêmes pays que l’Église d’origine. L’Église chaldéenne catholique procède ainsi d’un schisme de l’Église d’Orient ; son patriarche réside à Bagdad. Celui de l’Église copte catholique, très minoritaire, réside au Caire ; celui de l’Église syrienne catholique, à Beyrouth, de même que celui de l’Église arménienne catholique. Enfin, l’Église grecque melkite-catholique regroupe des arabophones de rite byzantin de tout le Proche-Orient, Égypte comprise. C’est sans doute la plus importante en nombre de fidèles et la plus dynamique des Églises unies à Rome (Église maronite exclue) ; le siège patriarcal se trouve à Damas. Depuis le concile de Vatican II, ces Églises ont majoritairement adopté l’arabe comme langue liturgique.


À partir du XIXe s., des missions protestantes ont sillonné la région, fondant dans chaque communauté chrétienne, à l’instar des catholiques romains, des Églises évangéliques.


À Jérusalem, existent trois patriarcats particuliers, héritiers du patriarcat du Ve s., avec juridiction sur la Palestine : patriarcat gec orthodoxe ; patriarcat latin ; patriarcat arménien. Toutes les autres Églises chrétiennes sont représentées dans la ville sainte par des institutions spécifiques.


Ne sont pas abordées ici la question des chrétiens d’Orient en dehors de l’espace arabe (Turquie, Iran, Inde,…) ni celle de la survie de ces Églises en diaspora (Europe, USA, Amérique latine, Australie).


Chercheur au CNRS, Frédéric Alpi est actuellement en poste à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) à Beyrouth. Spécialiste d’épigraphie chrétienne, grecque et syriaque, il travaille avec plusieurs missions archéologiques au Liban et en Syrie. Ses recherches portent également sur les institutions ecclésiastiques du patriarcat d’Antioche, et il est l’auteur de La Route royale – Sévère d’Antioche et les Églises d’Orient (512-518), publié aux presses de l’IFPO en 2010.



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Par fjarraud , le mercredi 23 mars 2011.

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