Yémen: une opposition plurielle 

Par  Franck Mermier

 

Au Yemen, la répression des manifestations réclamant le départ du président Saleh compte  plus de 80 morts fin mars, après la violente réaction du 18 mars. Quels sont les enjeux politiques de ce soulèvement ? Anthropologue, chercheur au CNRS (Laboratoire d’anthropologie urbaine, Ivry-sur-Seine), Franck Mermier fait pour nous le point sur la situation.

 

En 2011, Ali Abdallah Saleh fêtera ses trente-trois ans à la tête de l’Etat yéménite. La constitution de l’Unité, adoptée par référendum en 1991, stipulait le multipartisme, organisait un système électoral et le pluralisme de la presse. Seule république de la péninsule Arabique, le Yémen en est aussi le pays le plus pauvre. Ses ressources en pétrole et en gaz, d’ailleurs limitées, représentent l’essentiel du budget de l’Etat, tandis que sa population dépasse les 23 millions d’habitants et que le taux de chômage franchirait les 30 % parmi sa jeunesse. Au niveau politique, le mode de gouvernement du Président Saleh connaît, depuis la fin de la guerre de 1994 qui s’est conclue par la défaite des séparatistes du Parti socialiste au Sud, une dérive autoritaire de plus en plus marquée qui se combine avec tous les maux du clientélisme et d’une corruption généralisée. Cette centralisation du pouvoir se traduit notamment par le contrôle des postes clefs de l’appareil militaire et de sécurité par de proches parents du Président (fils et neveux notamment) et par des membres de sa tribu (Sanhân).

 

Le régime de Sanaa est aujourd’hui confronté à une aggravation des tensions aussi bien dans les régions du Nord que dans les provinces méridionales qui constituaient jusqu’en 1990 l’ex-République démocratique et populaire du Yémen avec Aden pour capitale. Ces conflits sont bien plus lourds de menaces pour le régime de Saleh que la présence d’Al-Qaida au Yémen. Depuis 2004, le conflit sanglant avec une rébellion zaydite(1) menée par les partisans d’al-Houthi a provoqué des milliers de victimes et le déplacement forcé d’au moins 100 000 habitants des régions septentrionales du Yémen. Depuis les années 2000, le mouvement de protestation contre la main mise du régime de Sanaa sur les provinces méridionales qui formaient, jusqu’en 1990, l’ex-Yémen du Sud n’a cessé de croître et de prendre un caractère nationaliste de plus en plus marqué.

 

La jeunesse urbaine a été en pointe dans l’organisation des premières manifestations contre le régime. Ses revendications sont relayées par le Forum commun qui regroupe principalement un parti islamo-tribal, le Rassemblement yéménite pour la réforme et le Parti socialiste yéménite. Le pouvoir s’est résolu à faire de premières concessions qui n’ont cependant pas calmé la contestation. Le 2 février 2011 le président Saleh a déclaré renoncer à briguer un troisième mandat en 2013, s’est dit opposé à la transmission héréditaire du pouvoir et a décidé  le report des élections législatives prévues en avril 2011. Il a aussi annoncé des mesures sociales comme le relèvement des salaires des fonctionnaires.

 

L’ampleur de la répression des manifestations, des dizaines de tués notamment au Sud, a renforcé la mobilisation populaire et fait craindre le spectre d’une nouvelle guerre interne. Comme le déclarait Hamid Al-Ahmar dans un entretien télévisé en janvier 2011 : « si le Président Saleh veut gouverner avec un bâton (sâmil) alors chacun sortira le sien ».

 

(1) Le zaydisme est une branche du chiisme. Il tire son nom de l’imam Zayd b. ‘Alî Zayn al-‘Âbidîn (mort en 740), un descendant de ‘Alî b. Abî Tâlib. Il se rattache au chiisme mais stipule que seuls les descendants de Fâtima, une épouse de ‘Alî, par ses fils Hasan et Husayn peuvent prétendre à l’imamat, la direction spirituelle et temporelle de la communauté musulmane.

Franck Mermier directeur du Centre français d’études yéménites de Sanaa de 1991 à 1997, directeur scientifique des études contemporaines à l’Institut français du Proche-Orient (Beyrouth), de 2005 à 2009. Ses recherches portent sur la citadinité et la production culturelle (notamment les milieux de l’édition à Beyrouth) dans le monde arabe. Sur le Yémen, il a entre autres publié Le Yémen contemporain (Karthala, 1999) avec R. Leveau et U. Steinbach et Le cheikh de la nuit. Sanaa : organisation des souks et société citadine (Actes Sud, Sindbad, 1997).



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Par fjarraud , le mercredi 23 mars 2011.

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