Jean Bernardin réconcilie avec la dictée 

Et l'orthographe, c'est vraiment simple aussi ?
Jean Bernardin a décidé de relever le défi dans son atelier. Il demande d'abord aux participants de chercher ce qui peut poser problème aux élèves, en demandant de se focaliser sur la nature précise des problèmes rencontrés : accents, homophones, lettres muettes, inversion de lettres, identification des règles d'accord des verbes, correspondance graphie-phonie... Mais pour quelles raisons plausibles ? manque de connaissances ? d'attention ? de maîtrise de la catégorie de situation dans laquelle on leur demande d'utiliser leurs connaissances ?
Prenant l'exemple de la pratique de la dictée, il pose que pour certains élèves, le "j'ai eu zéro" se transforme vite en "je suis zéro". "Dans les formations que nous réalisons avec les publics adultes peu qualifiés, il suffit qu'on annonce certaines tâches pour voir les personnes se renfrogner, persuadées que la tâche qu'on va leur demander va les déqualifier aux yeux des autres".

Mais au fait, l'orthographe, ça sert à quoi ? Pour répondre à cette question, il invite les personnes présentes à faire... une dictée. Surprise. Il dicte. On s'applique à déjouer les pièges (orthographe non garantie, ndlr !) : "Mon père est marinier / Dans cette péniche / Ma mère dit : " La paix niche / Danse, marinier / Ma mer est habile / Mais ma bile est amère / Car mon père et ses verres / Ont les pieds fragiles"

L'atelier n'est pas loin de chavirer. "Mais ça ne veut rien dire !...". Après un court moment d'échanges collectifs, qui ne parviennent pas à lever toutes les ambiguités, on passe à la "correction" collective... Les débats sont sauvages... Marinier ? Mari niais ? Mari nié ? Sévère, ses vers ou ses verres ? Il n'est guère que sur la dernière phrase qu'on se met d'accord... "Justement, c'est par la fin qu'on va commencer"... Le verbe au pluriel impose deux sujets, et invalide de fait le père sévère... Mais alors, les pieds fragiles du verre de l'alcoolique, ou les pieds bancaux des vers du poète maladroit ? On cherche les liens... Certaines hypothèses restent à confirmer, mais la conclusion est claire : l'orthographe, c'est ce qui sert à comprendre le sens. Bobby Lapointe est démasqué, et le fait qu'il préfère le mari niais au mari nié ne doit pas nous faire perdre l'essentiel : l'orthographe n'est pas, selon la tautologie répandue, ce qui sert à ne pas faire de fautes, mais ce qui nous permet de comprendre la différence entre le boxeur qui pare les coups, le bijoutier qui pare les cous ou le couturier qui... parle et coud !
Donc, à l'école, la question du sens dans l'apprentissage de l'orthographe semble bien la question à traiter, notamment pour "construire la compétence orthographique". Des dictées, oui, mais pas n'importe quelles dictées. "Des dictées où on va comprendre que pour ne plus faire d'erreurs, il faut qu'on fasse un travail dans sa tête, un travail qui s'apprend".

Nouvelle dictée, "sans piège, cette fois". Deux phrases toutes simples, apparemment :
"Aujourd'hui, le chameau met son immense chapeau sur le bord du bureau près de la fenêtre.
Il y a longtemps que mon budget est au plus bas !"

Devant les participants étonnés de la simplicité de la tâche, Jean Bernardin se dévoile : "ce que je veux, c'est que vous m'expliquiez pourquoi ça s'écrit comme ça !". Travail de groupe, une nouvelle fois... Ca discute : "parce que c'est dans la liste des mots invariables ?" "au comme au, jour comme jour... Mais hui ?" se demande un animateur de quartier présent. "Pourquoi un E dans chameau ? Parce que "chamelle" ose un autre. "Et dans "immense", pourquoi deux M ?... "ça vient de mesure... Qu'on ne peut pas mesurer" propose une dame qui vient pour la première fois de voir le préfixe IN dans le mot... "Et l'accent circonflexe, il ne vient pas de fenestre comme dans défenestré ?" ose un autre groupe...
On passe à la mise en commun... On théorise. Le travail intellectuel se met à jour : "on doit faire lentement, à voix haute, collectivement, ce qu'on va ensuite demander aux élèves d'automatiser et de faire seul". On s'appuie sur les familles de mots, on discrimine les homophones... Mais il faut recourir à l'histoire de la langue pour comprendre les glissements successifs entre bure et les différents sens de bureau : sur lequel on travaille, avant de devenir le bureau de l'ordinateur ou du réseau virtuels.
"Contrairement à ce qu'on pense, l'orthographe française aide le lecteur à être en situation d'économie maximale : on lève toutes les ambiguités possibles. Evidemment, c'est pour l'écriveur que le travail d'apprentissage des conventions va être très long, puisque c'est sur lui que repose tout le travail... pour être compris de son destinataire."

L'Ecole n'est pas le lieu où on ne doit pas faire de fautes, mais apprendre à ne plus en faire... C'est ce changement de rapport à la langue qui est pour moi essentiel, pour les aider à comprendre que la norme de l'orthographe évolue au cours du temps, que ce qui est aujourd'hui juste était faux il y a quelques centaines d'années. "Leur apprendre progressivement à prendre une posture de grammairien, d'étymologiste, de linguiste pour qu'ils le deviennent, dans leur propre rapport à l'écrit..."


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Par MBrun , le dimanche 03 avril 2011.

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