Journée nationale de l’Ozp 

20 années de glissements sémantiques successifs, pour un retour à l’apologie des « talents » ?



« Il faut oser dire que le droit à l’Eduction est en partie bafoué en France » pose d’entrée Sylvain Broccolichi, maître de conférence à l’université d’Artois).  Mais comment varient les inégalités ? Quelles sont les tendances, à plusieurs échelles (internationales, nationales, régionales, locales…) ? Quel rôle pour les politiques publiques ? Grâce à dix ans de travail mené dans le cadre d’une équipe de chercheurs de renom, il a quelques éléments de réponse…


« Les variations locales sont très importantes, et amplifient les effets des politiques nationales. Si on veut comprendre ce qu’il faut faire, il faut comprendre les articulations entre les différents niveaux de responsabilité et d’action, pas isoler chaque échelon. C’est d’autant plus important que les politiques locales insistent sur des vitrines qui concernent des micro-publics d’élèves en masquant le fait que tous les autres ne sont pas concernés… »


Une importante recherche collective, menée de 2002 à 2010, a permis des résultats importants, rassemblés dans l’ouvrage « L’école, les pièges de la concurrence ». Les dernières années renforcent les intuitions initiales : les inégalités sociales de réussite scolaire se renforcent, davantage en France qu’ailleurs. Les enquêtes de PISA et de la DEPP le confirment, malgré les affichages publics de « l’égalité des chances »


Evidemment, des réponses simples sont valides : manque d’investissement dans les politiques publiques, comme le montre la baisse de la part du PNB consacrée à l’éducation.


Mais en approfondissant, les chercheurs arrivent aussi à repérer dans quels territoires les écarts se creusent particulièrement, et à l’inverse à quelles conditions ont lieu les réussites. Les territoires qui réussissent peu sont concentrés dans les régions urbanisées et ségrégées de la grande région parisienne, du nord de la France ou du Sud-Est. « Ce constat peut sembler ordinaire, mais il faut savoir que pendant longtemps, l’Ile de France a été un territoire qui affichait de meilleures réussites que les territoires ruraux ». Second résultat, plus inattendu, le fait que les collèges les plus ghettoïsés ne sont pas les seuls à moins réussir, mais que des déficits existent aussi, dans ces territoires, pour la plupart des collèges. « Ces départements en « sous-réussite » sont marqués par des disparités fortes entre les territoires. Les collèges sont sélectifs, par le biais des options, attirant les meilleurs élèves et accentuant les écarts dans un cercle vicieux asphyxiant pour les autres ».

En descendant encore plus près des établissements, les chercheurs repèrent également que les plus petites unités urbaines, qui sont marquées par un faible choix possible entre les collèges, sont moins inégalitaires. Au contraire, dans les grandes agglomérations, les inégalités augmentent fortement, allant jusqu’à toucher les classes favorisées. Mais est-ce parce les agglomérations sont grandes, ou parce que certaines zones sont ségréguées ? « Indiscutablement, ce qui importe n’est pas la taille, c’est le degré de ségrégations. C’est une bonne nouvelle pour ceux qui veulent agir… Il n’y a pas de fatalité de la ville ! »


Plus que par les politiques éducatives, il semble bien que c’est d’abord en agissant sur la ségrégation sociale et la concurrence entre établissements qu’on peut agir, comme le montre dans leur étude l’exemple de la Loire (St Etienne) qui obtient de meilleurs résultats qu’attendus, du fait du mélange des populations dans les établissements scolaires.


Au contraire, la suppression de la carte scolaire entraine une fuite des meilleurs élèves des établissements difficiles. Elle renforce le ressentiment des personnels qui travaillent dans les établissements difficiles, qui cherchent alors à garder des « bons élèves » en créant de « bonnes classes » qui leur permettent d’avoir un peu d’oxygène, mais créent en retour des tensions supplémentaires au sein des établissements et avec les familles, quand elles ne renforcent pas les tendances à la volonté d’exclusion. Côté élèves, le sentiment de discrimination peut prendre des consonances ethniques lorsque les physionomies des « bonnes classes » deviennent très différentes des filières de second rang…

« Pour résumer, les politiques publiques défaillantes et les contextes de concurrence finissent par renforcer l’échec et les inégalités, du fait des perturbations pédagogiques successives qui stigmatisent les « mauvais » établissements, et renforcent chez les personnels le sentiment de ne plus pouvoir agir, d’être seuls face à une tâche immense, avec des risques de fuite des enseignants comme des familles. Les apprentissages deviennent de plus en plus difficiles, et les inégalités en sortent renforcées » synthétise S. Broccholichi.



Quelles expériences positives, malgré tout ?

Et quand ça marche mieux ? « C’est lorsque sont possibles des alternatives au découragement, avec les multiples variables qui y contribuent » :

- les coopérations durables, dans et autour des établissements,

- les liens de confiance qui se tissent entre les écoles et le collège, entre les enseignants et avec les familles,

- les développement professionnels favorisés par des réflexions collectives, des accompagnements par des recherches-action ou des formations filées,

- les continuités éducatives assurées pour les élèves...

Alors, les résultats progressent réellement… »


Mais selon ses observations, ces expériences sont souvent éphémères, faute de continuité des politiques publiques, dont une illustration d’aujourd’hui est la baisse des moyens de formation continue. Parfois, le yoyo s’installe, faute de persistance de l’engagement : « Un collège suivi par notre équipe, qui obtenait des résultats extraordinaires dans les années 80, est devenu un des plus en difficultés du département dans les années 2000, du fait de la création d’un collège voisin qui a aspiré les bons élèves, avant de commencer récemment à remonter par l’engagement d’une nouvelle équipe. Les variations locales dans le temps sont très importantes, et les mobilisations locales peuvent aussi permettre de rapides progrès ».


« La politique de communication ne peut remplacer l’action dans la réalité » reprend Marc Douaire au nom de l’OZP. « On sait que des expériences de territoires produisent des effets lorsqu’elles sont soutenues et accompagnées ».

La salle réagit : « Mais vous ne dites rien de la place importante du chef d’établissement ou du rôle de la vie scolaire ? » questionne un bénévole intervenant dans un dispositif. « Attention de ne pas aller trop loin dans cette vision managériale. Un chef d’établissement ne peut rien sans s’appuyer sur une équipe expérimentée et investie qui prend le rôle de leader pédagogique, avec un appui institutionnel. Tous les acteurs sont décisifs pour aller chercher les élèves et les parents… » répond la tribune. Claire Keppler, du Se-UNSA, insiste sur la nécessité de dépasser l’organisation tayloriste dans les établissements, pour que chacun cesse de s’occuper uniquement de son pré carré. Un intervenant souligne les difficultés spécifiques de l’école primaire, notamment les inégalités de financement. Un autre s’inquiète de la précarisation croissante des conditions de vie des plus pauvres. Les constats de la salle sont convergents, mais comment les dépasser ?



SOMMAIRE



JC Emin

« On passe des RAR aux ECLAIR. Parle-t-on toujours de la même chose ? Derrière les mots, comment garder l’esprit ? » demande Elisabeth Bisot, inspectrice d’académie. Les questions assignées à la table-ronde ne sont pas minces… Ruptures ou continuité ?

Mettre le paquet sur le premier degré ? « On est en train de nous scier la branche de la pédagogie »

C’est à partir de la vision anglo-saxonne de « l’école inclusive » que Françoise Lorcerie ouvre son propos conclusif. Entre l’accroissement des phénomènes de concurrence en éducation et la baisse relative des résultats de l’école française, quelle perspective engager ?


Par MBrun , le mardi 24 mai 2011.

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