L'Etat de l'Ecole. Guide de la rentrée 2010 : Editorial : L'Ecole s'essouffle 

Par François Jarraud



L'Ecole ne va pas si mal. Elle en a d'autant plus de mérite que le climat général, l'usure politique, l'isolement des enseignants, les occasions perdues, tout la pousse à une désespérante immobilité.


François JarraudUn climat délétère


La signature de cette rentrée aurait pu être qu'elle débute par des manifestations. Mais l'éducation a connu d'autres mouvements qui ont parfois laissé des souvenirs fugaces. Ce ne sera pas le cas de l'atmosphère pesante et dégradante qui a recouvert le pays cet été. De menaces de prison pour les parents d'enfants délinquants en dénonciations xénophobes, le gouvernement et ses amis ont fait basculer le discours politique et créé dans le pays un sentiment de haine, de peur et de dégoût. Quand on dénonce publiquement des enfants, quand on les menace par ethnie entière, cela concerne l'Ecole. La façon dont a été mené le débat politique sur l'absentéisme, une vraie question scolaire pourtant, est un exemple de discussion funeste. D'autant que l'Ecole n'est pas à l'abri des phénomènes de discrimination, qu'elle subit déjà les contre coups de la ghettoïsation, accélérée par la suppression de la carte scolaire. On appréhende maintenant les conséquences des paroles des responsables politiques dans les classes et les cours de récréation. Quels arguments maintenant trouver pour scolariser les enfants des familles non sédentaires ? Comment défendre les principes de l' Ecole républicaine quand ses dirigeants les renient ?


Un ministre rattrapé par son destin


D’une certaine façon l’année scolaire 2009-2010 fut pour Luc Chatel une belle époque. N’est ce pas l’impopularité du ministre précédent qui mesure la popularité du nouveau maître ? Installé rue de Grenelle, Luc Chatel semblait protégé par le souvenir de Xavier Darcos. Les décisions les plus dures avaient déjà été prises. C’est Xavier Darcos qui avait eu la sordide idée de supprimer l’année de stage des nouveaux professeurs pour récupérer quelques milliers de postes, dilapidant ainsi l’avenir de l’Ecole pour sauvegarder un morceau du présent. Après le pourfendeur du pédagogisme, méprisant les instits « changeurs de couches », il était facile pour Luc Chatel de se présenter sous les habits de la tolérance et du respect. A l’arrogance et à la violence de Darcos succédait un ministre affable. Aussi, si Xavier Darcos avait réussi à faire l’union syndicale contre lui, Luc Chatel arrive à s’entendre avec certains syndicats et même, et ce n’est pas rien, à obtenir au Conseil supérieur de l’éducation des majorités qu’aucun de ses devanciers n’auraient pu espérer. Si Luc Chatel avait été nommé par Nicolas Sarkozy pour apaiser les relations avec les enseignants et faire passer les réformes sans faire de vagues, en juin dernier, il apparaissait avoir parfaitement réussi.


Le destin a finalement rattrapé Luc Chatel cet été. Au début il y a eu la publication des instructions adressées aux recteurs qui montrait à la fois une certaine dissimulation dans la poursuite des suppressions de postes et le refus de nombreux cadres de servir cette politique. Quelques jours plus tard, début juillet, le ministre décidait de rogner les moyens des mouvements pédagogiques. Sans tenir de discours anti-pédagogiques, ainsi reprenait-il le rôle que Darcos avait si bien joué quand Sarkozy, à Périgueux, appelait à la fin du pédagogisme. Puis est venu le discours sur la nouvelle politique prioritaire où l’obsession sécuritaire remplace la volonté de justice sociale. Et on voit mal comment Luc Chatel, porte-parole du gouvernement, pourra éviter de participer au glissement extrémiste du gouvernement Sarkozy. En dépit de dons certains de communication (mais Xavier Darcos les avait aussi), de l’important travail accompli pour connaître l’éducation et s’emparer des dossiers, la belle image du ministre s’est fracturée cet été. Peut-être se rappelle-t-il le destin de Darcos. Il était d’abord le conseiller qui avait su amener des enseignants à voter pour N Sarkozy en prenant position contre les mesures Robien, avant de devenir le ministre qui a poussé à la rébellion des milliers de profs et quelques centaines de cadres et finalement un perdant politique.


Des enseignants entre engagement, rébellion, déréliction et exil


Et les profs dans tout cela ?  L'Observatoire des jeunes enseignants nous permet de suivre leurs humeurs. Il confirme le maintien de la vocation. La moitié des jeunes profs font un métier dont ils ont rêvé enfant et 71% évoquent le mot "vocation" (+5% par rapport à 2001). Pour autant le décalage est sérieux entre le métier rêvé et la réalité. 57% avaient sous-estimés l'impact du métier dans la vie privée (+17% depuis 2001 !) et 48% la charge de travail (+15%). 81% sont satisfaits du métier (-6%). Mais le principal enseignement c'est le développement de la morosité et le sentiment de dévalorisation. Neuf jeunes enseignants sur dix estiment que le métier s'est plutôt dévalorisé.  Ils n'étaient que 59% en 2001. La dégradation de l'image du métier est donc extrêmement forte.


A cela il y a des raisons objectives. Certes le salaire qui s'est dégradé au long des années et finalement cet abaissement va être  figé par le gel salarial déjà décidé par le gouvernement. Il y a la réforme des retraites.  Mais il y a plus que cela. L'écart croissant entre le métier rêvé et le métier réel. La réforme de la formation des enseignants envoie maintenant directement dans les établissements des universitaires brillants qui découvrent en classe que l'enseignement est un métier. Combien vont se fracasser dans une profession quasiment totalement dépourvue de médecine du travail ? Quelles perspectives de carrière offre-t-on aux enseignants chevronnés qui souhaiteraient découvrir autre chose ou transmettre autrement ? La fameuse seconde carrière reste une promesse.


Enfin il y a le fossé idéologique entre l'Etat, autoritaire, tatillon, xénophobe hélas, et les valeurs de l'Ecole. La fracture pédagogique est clairement apparue au primaire sous Robien et Darcos. L'été a agrandi la faille. Fait sans précédent, des milliers de profs ont choisi la voie de la rébellion ouverte, assumant pleinement leur désobéissance. Les récentes déclarations gouvernementales, les recommandations de l'ONU tendent à leur donner un bel avenir. D'autres préfèrent une forme d'exil intérieur pour se protéger. Beaucoup vivent leur isolement comme un abandon. Des milliers continuent à  s'investir dans le métier, à pousser fort leurs élèves, à croire dans les valeurs de l'Ecole républicaine et l'efficacité de la pédagogie.


Des problèmes non résolus


Cet "Etat de l'Ecole" fait le point sur les douze travaux de Luc Chatel. Commençons par les plus vastes. L'Ecole doit lutter contre l'échec scolaire. Or les très récentes décisions concernant l'enseignement prioritaire montrent que le gouvernement privilégie l'orientation sécuritaire à la justice sociale. Quand il faudrait porter l'effort sur l'école élémentaire et le préélémentaire, le programme CLAIR ne parle que des collèges et des lycées. Il faudrait aussi lutter contre les inégalités et les discriminations. Le discours gouvernemental tend plutôt à les défendre. Il faudrait élever le niveau de compétences comme la France s'y est engagée dans le cadre du processus de Lisbonne. Mais ces nouveaux diplômés on ne peut les trouver que dans les classes populaires ce qui nous renvoie à l'enseignement prioritaire. Enfin il serait temps d'entrer dans ce que JM Fourgous appelle l'école du XXIème siècle, c'est-à-dire intégrer pleinement les TICE dans l'éducation et donner aux enfants l'école et l'éducation numérique dont ils ont besoin pour leur avenir. On attend toujours le fameux plan numérique du ministère…


Bien d'autres défis attendent l'Ecole cette année. Comment maintenir l'égalité des territoires quand les moyens sont réduits ? Comment manager l'Ecole pour en améliorer les performances ? Comment accompagner la réforme du lycée pour qu'elle puisse donner ses fruits ? Quelle réforme pour le collège ? Quelle réforme des rythmes scolaires ? Comment évaluer les élèves ? Et les enseignants ? Ce guide donne bien des exemples des nécessaires débats qu'elle doit faire aboutir.


Ne pas perdre de vue les réussites de l'Ecole


Tout semble réuni pour que l'année soit difficile pour l'Ecole. Mais tout est là aussi pour une réelle évolution. On peut évoquer les statistiques. La France est le pays qui dispose de l'enseignement préélémentaire le plus développé. Le système éducatif a réussi à faire passer la France du certif au bac en quelques décennies. Même si bien des problèmes demeurent la massification du secondaire est un défi que l'Ecole a su relever. Le pays entre maintenant dans celle du supérieur. Il faut avoir croisé les enseignants innovants, comme le Café l'a fait à Dax cette année, pour connaître l'énergie et la créativité dont les enseignants sont capables. Le pouvoir peut y puiser. Mais l'Ecole a  besoin d'un projet cohérent avec ses valeurs. Quel gouvernement saura lui donner ?


François Jarraud



Sur le site du Café

Par fjarraud , le dimanche 29 août 2010.

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